Fact-checking : les requins peuvent-ils pleuvoir comme dans Sharknado ?

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Fact-checking : les requins peuvent-ils pleuvoir comme dans Sharknado ?

La science est formelle : ce n'est pas parce que vous vivez à Chambéry ou à Sochaux que vous êtes à l'abri.
Genono
par Genono

Sharknado est le genre de film dont tout le monde a déjà entendu parler au moins une fois, pour des raisons plus folkloriques qu'artistiques, grâce à son synopsis aussi simpliste que génial : une tornade monstrueuse déclenche une pluie de requins tueurs sur Los Angeles. Loin d'être un chef d'œuvre cinématographique, ou de pouvoir prétendre à un Oscar de la photographie, ce nanar très assumé s'est forgé une solide réputation – au point de devenir culte pour toute une génération d'amateurs de navets - et a généré des recettes importantes, notamment grâce à un merchandising poussé, et un concept de produits dérivés poussé à jusqu'à l'extrême : des habituels t-shirts et figurines aux moins habituels chapeaux de chats jusqu'aux très improbables robots en bois à 150 euros. Au delà du film et des produits dérivés, on trouve aussi un jeu vidéo – mauvais, évidemment -, un livre « Comment survivre à un Sharknado et autres désastres naturels », un faux-documentaire sur le tournage du film, un comic-book, mais aussi des apparitions des personnages principaux dans d'autres œuvres de fiction, comme Fin dans Lavalantula – un autre sommet du cinéma - ou Roberta Warren dans la série Z-Nation.

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Devenu une véritable franchise, Sharknado, vu au départ comme une simple blague, représente aujourd'hui un business, mais aussi l'apothéose de la carrière d'acteurs fabuleux comme Ian Ziering –le mec qui jouait Steve, le meilleur ami de Brandon, dans Beverly Hills - ou Tara Reid – une publicité vivante pour Photoshop -, tandis que le succès grandissant de la série attire de nouvelles têtes d'affiches incroyables, comme Cody Linley – le mec d'Hannah Montana, bordel ! - et surtout David Hasselhoff. Avec un peu de chance, dans deux ou trois épisodes, la tornade de requins affrontera Sylvester Stallone, Robert De Niro et Jean-Claude Van Damme dans un cross-over Sharknado-Expendables qui explosera tous les records de mauvais goût et de box-office.

CEPENDANT

Malgré ce pitch incroyable, ce casting cinq étoiles, et ce succès manstrr, Sharknado souffre d'une grosse tare : sa vraisemblance scientifique. Hollywood peut bien nous faire croire à une invasion extra-terrestre, à des tortues transformées en ninjas humanoïdes, ou à l'anéantissement de la race humaine par des morts-vivants, il est difficile d'imaginer qu'une pluie de requins tueurs puisse effectivement survenir un jour à Los Angeles. Et pourtant, tout n'est pas si simple. De nombreux indices laissent à penser que cette possibilité existe, malgré un taux d'improbabilité équivalent à réussir seize mille fois de suite un water bottle flip parfait depuis une voiture roulant à plus de 90km/h.

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En fait, vous ne le savez probablement pas, mais un prequel à Sharknado s'est déroulé en Virginie l'année dernière, quand un bébé-requin est tombé du ciel et a atterri dans la cour d'une petite maison. Bon, il ne s'agissait pas d'une tempête extraordinaire, ni d'une vraie pluie de gros requins balaises comme un Street Shark, mais c'est un bon début. A priori, le bébé serait tombé des griffes d'un gros oiseau, qui l'aurait capturé au large et aurait voulu le transporter jusqu'à son nid. Rien de bien excitant, d'autant que le requin était évidemment mort.

La courte histoire de l'humanité nous conte un nombre incalculable de pluies d'animaux ou d'objets insolites. La Bible raconte notamment deux épisodes, l'un négatif et l'autre positif : une pluie de grenouilles en Egypte, sous forme de punition divine ; et une pluie de cailles dans le désert, représentée comme une bénédiction pour les Hébreux affamés. Tout au long de l'histoire moderne ou plus ancienne, de nombreux témoignages plus ou moins fiables et plus ou moins exagérés nous sont parvenus. Même si on ne peut pas toujours tirer de conclusions particulièrement pertinentes, une chose est certaine : ces phénomènes quasi-paranormaux se retrouvent dans toutes les cultures, dans tous les coins du monde, et à toutes les époques.

Les corps sont parfois vivants, parfois morts. Lorsque que les animaux en question sont retrouvés en vie, et en bonnes conditions – comme par exemples les grenouilles de Leicester, dans le Massachussetts, en 1953 -, on estime qu'ils ont été « pêchés » à une distance proche de leur point de chute. En revanche, dans certains cas, les organismes sont carrément congelés, voire même contenus dans des petits cubes de glace, comme s'ils avaient été projetés à une altitude où la température est négative. Et puis, il y a les cas complètement insolites, comme cette pluie de balles de golf en Floride, en 2010, ou cette pluie de charbon à Killburn en 1877. Moins hollywoodien qu'une chute de requins géants – vous imaginez un Golfnado ou un Charbonado, sérieusement ?- mais suffisant pour nous laisser espérer des tornades suffisamment spectaculaires.

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Parmi les pluies d'êtres vivants les plus sensationnelles, l'averse de serpents survenue à Memphis en 1877 est particulièrement notable. Moins balaises que les requins blancs, mais possiblement aussi dangereux, les reptiles ont un fort potentiel horrorifique. Un Snakenado aurait de la gueule, à condition de donner aux animaux quelques attributs effrayants supplémentaires : une taille démesurée, la capacité de voler ou de devenir invisible, voire même des pistolets laser à la place des yeux. Tout aussi fantastique pour créer la panique, et beaucoup plus fréquent : la pluie d'araignées. Dans ce cas, le phénomène est créé volontairement par ces saloperies de bestioles, qui grimpent au sommet des arbres, tissent des fils de soie en forme de parachute, et se laissent porter par le vent. C'est assez fabuleux, d'autant qu'elles font ça par milliers –une colonie peut représenter jusqu'à 50000 individus-, et que leur corpulence est assez respectable.

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, les pluies d'animaux sont de plus en fréquentes – et ne sont donc pas le fruit de croyances populaires antiques, ou de phénomènes déformés et amplifiés par une tradition orale pas toujours fiable. Vous vous souvenez peut-être du début d'année 2011 : 5000 oiseaux tombent sur la ville de Beebe, en Arkansas. 3 jours plus tard, 500 autres individus s'écrasent en Louisiane, suivis d'une autre centaine en Suède. Incroyable. Trois jours plus tard, l'hécatombe reprend au Québec, puis en Italie. Des dizaines d'explications différentes ont été avancées, mais aucune ne permet d'expliquer autant de cas sur une période aussi courte – à l'exception de la punition divine.

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De manière générale, il existe de nombreuses manières d'expliquer une pluie d'animaux. Il faut cependant distinguer deux types de pluies : celles concernant les animaux volants, et les autres. Etant donné que nous nous intéressons aux requins, c'est évidemment le deuxième cas qui nous intéresse. Mais pour assouvir votre curiosité, expliquons brièvement pourquoi les pluies d'oiseaux, chauve-souris, papillons, sont si fréquentes. C'est très simple : ce sont des animaux volants. Ils sont donc dans les airs. S'ils meurent, ils tombent. Si quelque chose provoque la mort de plusieurs individus, ils tombent tous. Qu'est ce qui peut provoquer la mort simultanée de dizaines, voire de centaines d'animaux ? Souvent, c'est un mouvement de panique lors de vols de groupe. En apercevant un prédateur, un avion, un hélicoptère, ou en entendant un bruit inquiétant, les volatiles peuvent entrer en collision les uns avec les autres, de la même manière qu'une foule paniquée finit par se piétiner toute seule. Dans d'autres cas, il s'agit d'intoxications alimentaires de masse, comme quand des centaines de jaseurs d'Amérique se sont écrasés en Géorgie en 2009 après avoir consommé des baies de bambou toxiques. Parfois, c'est à cause d'une pollution passagère excessive, d'émanations de gaz de schiste. Le cas plus basique des tornades et autres bourrasques hyper-violentes est souvent l'explication la plus plausible, notamment dans le cas des chauves-souris.

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Ok pour les volatiles. Ils sont en haut, ils meurent, ils tombent. La logique est respectée. Mais bordel, comment une grenouille, un poisson, un serpent ou une foutue crevette peut-elle se retrouver en haut ? Figurez-vous que sur ce point, la crédibilité scientifique de Sharknado est inattaquable : la tornade, trombe venteuse, rafale, coup de vent, est la seule et unique explication possible. Il faut cependant comprendre que dans de nombreux cas, il ne s'agit pas à proprement parler de pluie. Les animaux se retrouvent effectivement à un endroit où ils ne devraient pas être, mais sans forcément être tombés du ciel. Pour les poissons, il s'agit souvent d'une migration semi-terrestre ayant mal tourné. Les poissons-chats, les anguilles, ou les brochets, sont par exemple capables de se déplacer sur une terre humide sur des distances suffisamment courtes, dans l'espoir de rejoindre un point d'eau plus propice à leur survie ou à leur reproduction. Il suffit qu'un banc se lance sur la terre ferme, et ne puisse pas atteindre son but à temps –ou que la marée se retire, que le lit de la rivière rétrécisse- pour que l'on retrouve des centaines de poissons morts sur la terre ferme et qu'on imagine qu'ils sont tombés du ciel.

Il faut aussi prendre en compte deux points importants concernant les tornades : d'une part, elles sont capables d'aspirer entièrement le contenu d'un petit point d'eau – y compris sa faune, donc - et de tout recracher quelques minutes plus tard, en un point précis ; d'autre part, elles peuvent récolter des animaux sur une étendue énorme, avant de tous les relâcher au même moment au même endroit – ce qui explique les concentrations parfois irréelles d'individus retombés sur une surface minuscule.

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Jusqu'ici, les grands épisodes venteux n'ont drainé que des animaux légers, petits, et facilement transportables. On n'a jamais vu de troupeau de vaches s'envoler de la campagne pour être redéposé en plein centre-ville. Pourtant, si l'on se fie à la référence scientifique infaillible qu'est le film Twister, une vache peut être prise au milieu d'une tornade.

En réalité, il y a effectivement des chances qu'un animal aussi lourd qu'une vache décolle – même s'il serait plutôt plaqué au sol, ou contre un mur. Le vent peut détruire une maison ou déplacer des voitures, mais un corps vivant obéit à une dynamique qui, en théorie, doit pouvoir lui permettre de s'adapter et de rester au sol. Mais dans le cas de vents hyper-violents, évidemment, la nature se montrera trop forte. On n'a jamais vu de troupeau complet s'envoler pour être redeposé en un point précis, à l'image des grenouilles ou des poissons, mais en démultipliant la puissance des tornades, c'est techniquement possible. La planète Terre nous offre, de par sa position dans le système solaire, sa taille, son atmosphère, et toutes ses merveilleuses caractéristiques, les conditions idéales pour vivre. Mais dès lors qu'on parle d'intempéries spectaculaires et violentes, elle fait bien pale figure face à d'autres planètes plus ou moins proches, comme 2MASS J21392676+0220226, une naine brune qui abrite une tempête 80 fois plus grande que Jupiter. A priori, suffisant pour souffler une centaine de requins, voire même pour faire décoller la planète entière.

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Sans aller jusqu'à ces extrémités, contentons-nous de regarder plus proche de nous. Sur Uranus par exemple, les vents peuvent atteindre les 2000km/h sans trop forcer. Mais on objectera sur le fait que la Terre ne peut pas espérer obtenir les mêmes records qu'une géante gazeuse. Prenons Titan, la plus grosse lune de Saturne : tellurique, et de taille proche de celle de la Terre. Les vents peuvent y dépasser les 700km/h, tandis qu'une tempête saisonnière crée des vortex énormes dans son atmosphère. Il y a donc un espoir de voir ces conditions se recréer sur terre, à la faveur d'une pollution atmosphérique particulière, d'un trou dans la couche d'ozone un peu trop gros, ou de saisons un peu trop marquées, voire même du battement d'ailes d'un papillon en Australie. Peu importe, Dame Nature trouvera bien un moyen pour nous faire rêver et de créer une tempête suffisante pour faire flipper même Jessica Chastain.

Récapitulons : les pluies d'animaux vivants, c'est possible ; la tempête gargantuesque, c'est possible. En fait, pour combiner les deux et créer une super-attaque de requins sur une mégalopole américaine, la condition la plus difficilement réalisable tient dans la concentration énorme de squales nécessaire pour envahir une si grande ville. Le requin blanc, comme la plupart des espèces de grands requins, est plus ou moins solitaire. Il peut se retrouver au milieu d'un petit groupe, mais rarement longtemps, et jamais plus de quelques individus. Sauf dans un cas. Un cas créé par la nature pour donner vie à Sharknado.

Chaque été, au large de la Californie (tiens, tiens), des milliers de grands blancs – les requins, pas les skinheads - se réunissent pendant une trentaine de jours sur un territoire minuscule - 75000 km², plutôt balaise pour un humain en trottinette, mais une broutille pour une espèce qui peut parcourir un océan aller-retour en 9 mois. Personne ne sait pourquoi autant d'individus se retrouvent au même endroit, au même moment, sur une courte période. Il n'y a, a priori, aucune raison alimentaire – c'est un coin plutôt pauvre en victuailles -, ni aucun intérêt particulier pour la reproduction de l'espèce – personne n'a pu observer d'orgie marine. On suppose qu'il s'agit d'une question d'ordre social, mais la sociologie squalistique étant une discipline jusqu'ici peu développée, rien ne permet vraiment de le confirmer.

Réfléchissez donc. Des milliers de requins mangeurs d'hommes, répartis sur une petite aire géographique, à deux pas de Los Angeles. Ils savent. Ils attendent. Les requins ressentent des choses que nous avons du mal à mesurer avec nos meilleures technologies, comme les vibrations de l'eau les plus infimes. Los Angeles est située au beau milieu de la faille de San Andreas. The Big One, le fameux tremblement de terre monstrueux qui finira par frapper la ville – c'est inéluctable. Un tel cataclysme, qui pourrait dépasser 9 degrés de magnitude sur l'échelle de Richter, n'aurait pas pour seule conséquence de détruire la ville : un séisme d'une telle ampleur risque de créer un tsunami énorme.

Des milliers de requins concentrés sur une même zone géographique, à proximité de Los Angeles, avec un risque énorme de tsunami. Le scénario de Sharknado est tout à fait plausible. L'heure arrive. Et seul Ian Ziering pourra vous sauver.