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Interviews

Derrière les murs de la Castellane

L'ancien boxeur Youssouf Djibaba nous a parlé du quotidien dans la cité marseillaise et de l'ennui des jeunes qui y vivent.

Youssouf Djibaba pendant un match. Toutes les photos sont publiées avec son aimable autorisation

Le mois dernier, un énième règlement de compte à la Kalachnikov s'est produit dans la cité de la Castellane à Marseille, connue pour être une plaque tournante du trafic de drogue. Face à ces nouvelles violences, les habitants et des enseignants du quartier ont décidé de lancer un cri d'alarme, estimant « être abandonnés de tous ».

C'est un sentiment partagé par Youssouf Djibaba, qui est né et a grandi dans cette cité marseillaise. L'ancien champion de boxe devenu écrivain m'a parlé du quotidien de ces jeunes, rongés par l'ennui, qui tentent de se forger un avenir.

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VICE : Comment expliques-tu les récents événements à la Castellane ?
Youssouf Djibaba : La Castellane est délaissée. Quand je vois toutes les ordures qui s'accumulent à côté de Grand Littoral [Centre commercial situé dans les quartiers nord, ndlr], je me dis que dans d'autres quartiers de Marseille, ça ne se passerait pas comme ça. On ne laisserait pas les gens vivre dans la saleté. Mais à la Castellane, on peut tout se permettre. Samia Ghali, la maire de notre secteur, laisse la merde car elle s'en fout. Après, elle va dire que la Castellane est une cité sensible. C'est vrai que c'est une cité sensible, mais elle ne fait rien pour que ça s'arrange. Du coup, les habitants se sentent complètement délaissés, et cette situation crée des tensions et de la violence. On ne motive pas les jeunes à aller travailler, à faire des activités, en dehors des quartiers nord. La seule perspective qu'on leur donne, c'est de devenir vendeur à Grand Littoral.

Les jeunes de la cité ont le sentiment d'être laissés pour compte.
Quand le minot se lève, il ne voit que des bâtiments autour de lui. Aujourd'hui, il y a des gamins qui n'ont jamais vu le vieux port [le centre ville de Marseille], parce que les parents n'ont pas les moyens de leur faire découvrir leur ville. Quand il y a eu l'année culturelle en 2013 à Marseille, les quartiers n'en ont pas profité. Tout s'est concentré dans le centre ville. Pourtant, ça aurait été bien que les minots puissent découvrir des spectacles, des expositions. Mais on préfère nous parquer et nous enfermer dans notre cité. Tu te rends compte, il n'y a qu'un bus qui passe dans la cité. La Castellane est une ville dans la ville. C'est une véritable forteresse : personne ne peut y entrer, on a notre propre politique et les magasins sont tenus par les habitants de la Castellane. Quand le maire, Jean-Claude Gaudin, nous dit qu'on est tous pareils à Marseille, que tous les secteurs sont logés à la même enseigne, c'est faux. C'est grave de laisser les quartiers nord à l'abandon.

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Dan ton premier livre Comme des rois, tu parles beaucoup des grands frères – des mecs plus vieux qui encadraient les petits dans la cité. Pourquoi sont-ils importants pour toi ?
À la Castellane comme ailleurs dans les quartiers nord, ils ont joué un rôle majeur. Ils nous ont éduqués et appris des vrais valeurs. Je voulais qu'ils se rendent compte de leur importance. Quand j'étais petit, mes grands frères étaient des repères. Ils faisaient en sorte que je ne fasse pas de bêtises comme voler. Ils me poussaient à exercer des activités. Ils m'ont toujours incité à faire quelque chose de ma vie. C'est grâce à eux que j'ai fait de la boxe. Ce sport m'a beaucoup aidé. J'étais un enfant agressif qui bégayait beaucoup. J'avais besoin de canaliser ma violence. Quand j'ai découvert cet univers, j'ai tout de suite accroché. L'endroit était sombre, on écoutait du rap en boxant. Si je n'avais pas eu la boxe dans ma vie, je n'aurai pas eu les mêmes possibilités. Aujourd'hui, ces grands frères ont quasiment disparu. Ils sont devenus pères de famille et ne peuvent plus s'occuper des petits. De plus, je pense qu'ils sont complètement perdus face à la nouvelle génération. Les minots ont changé. Avant, les gamins voulaient être footballeur, rappeur. Maintenant, ils sont intéressés par l'argent, la virgule, les trucs clinquants. Ils veulent se faire de l'argent facile et briller à n'importe quel prix.

Quelles sont les raisons de ce changement ?
C'est un ensemble. Aujourd'hui, le vrai problème, c'est que les acteurs sociaux n'ont plus les moyens de faire face à la situation. Quand j'étais travailleur social à la Castellane ou à la Rose, j'ai vu à quel point il était difficile de se rendre sur le terrain et de proposer des activités. Les parents sont aussi responsables. Les miens m'ont toujours encadré. Je ne pouvais pas déconner. Je me rappelle quand je faisais une bêtise, le voisin m'en mettait une. On était responsable les uns les autres, il y avait beaucoup de solidarité. Aujourd'hui, être aidé est devenu un privilège.

À ton avis, qu'est-ce qu'il faut faire pour stopper cette violence ?
Il faut mettre en place un dispositif policier. Il ne faut pas se leurrer, il en faut un : on trouve tellement d'armes dans les quartiers. Mais, ce n'est pas tout. Il faut redonner de l'espoir à ces jeunes. Ils se sentent enfermés dans leurs cités. Ils ne sortent pas de leurs bâtiments. Ils zonent en bas des tours. Il faut trouver des solutions pour combattre leur ennui, pour leur trouver des emplois. Il y a des minots qui ne font rien de leurs journées, et qui essayent de taper à des portes pour avoir des jobs, en vain. Il voit que le mec d'à côté se fait 100 euros la journée en restant assis, à guetter les flics. Du coup, les gamins veulent faire la même chose. Je connais un jeune qui devait faire une formation payée 300 euros par mois et qui a préféré dealer parce que ça lui rapportait plus. Aujourd'hui, les gamins n'ont plus envie de travailler. Ils savent que s'ils dealent, ils peuvent se faire beaucoup d'argent en un minimum de temps. Même chose pour certaines familles qui n'ont que les prestations sociales pour vivre et qui acceptent de garder de la marchandise pour 1 000 euros la semaine.

Au vu de ton parcours, as-tu l'impression de servir d'exemple à la jeune génération ?
Je n'aime pas trop qu'on me dise que je suis un exemple. J'ai toujours eu du mal avec cette étiquette. Pour mon premier livre, j'ai écrit sous pseudo car je ne voulais pas qu'on sache que c'était moi. Je suis juste quelqu'un qui avait un objectif et qui l'a réalisé. Tout à l'heure, je vais aller dans un collège pour parler de mon livre et débattre avec les collégiens sur le quotidien des cités. Si cette intervention donne aux gamins l'envie de lire, ça sera une victoire pour moi. J'essaye de faire la même chose que mes anciens grands frères. Mais avec le recul, quand je vois ce qui se passe à la Castellane, je me demande si j'ai réussi à avoir une quelconque utilité pour ces gamins.

Le livre de Youssouf Djibaba, Comme des rois, est disponible aux éditions Wildproject.