Insomnie des DJ
Santé

Des jeunes DJ Belges nous parlent de leur manque de sommeil chronique

Les problèmes d’insomnie sont-ils propres au job de DJ ?
EV
Brussels, BE
Zéphir Moreels
illustrations Zéphir Moreels

1 Belge sur 9 prend des antidépresseurs et près de 6 personnes se suicident chaque jour en Belgique. C'est le cinquième taux le plus élevé en Europe. Les jeunes figurent parmi les plus concerné·es par ces fléaux. Du coup de blues au suicide, trouvez ici nos articles sur la santé mentale.

Le métier de DJ n'est pas un 9 to 5. Habituellement, iels travaillent au milieu de la nuit et parcourent parfois des milliers de kilomètres pour faire danser des gens animés par le même esprit de fête. L'absence de rythme, l'adrénaline et le fait de mixer à des heures pas possibles font partie du métier de DJ. Dans l'industrie de la musique, on parle de plus en plus de la nécessité de régulariser le nombre de gigs ou de jours par an qu’un·e DJ peut travailler. Paradoxal, puisque cette industrie encourage le style de vie rock 'n' roll de ces mêmes DJs. Mais qu'en disent les DJs elleux-mêmes ? San Soda, Zoey Hasselbank, TRiXY, et Jonas Lion nous parlent de leurs problèmes de sommeil et de la façon dont iels les traitent.

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Stabilité zéro

« Je joue trois fois par semaine, généralement aux heures d’affluence, soit entre 1 et 3 heures du matin. Mixer, c’est mon travail à plein temps. Je n'ai rien d'autre à côté », dit Zoey Hasselbank. « Parfois, j'ai du mal à refuser un booking. Faut bien remplir le frigo. Quand je rentre chez moi, je suis crevée et je reste au lit toute la journée, il y a rien à faire à ça. J’ai moins de mal à faire une sieste que de dormir la nuit. Je n'ai vraiment pas un rythme de sommeil stable. »

Les années les plus intenses de Nicolas Geysens (San Soda) sont derrière. Jusqu’à il y a deux ans, il jouait près de trois fois par semaine, pour un total de 120 à 130 gigs par an. « Ces dernières années, je fais entre 80 et 100 concerts par an, et j'ai 2 ou 3 week-ends libres. »

Pour Jonas, les choses sont un peu différentes puisqu’il combine actuellement sa carrière de DJ avec un job de rédacteur en chef chez Red Bull Elektropedia : « J'ai la chance d'avoir un emploi pour lequel je peux choisir mes heures de travail. Il y a plus de liberté. » Mais ça n’a pas toujours été le cas : « Avant ça, j'avais un emploi de bureau classique et je faisais la navette tous les jours entre Anvers et Bruxelles. À l'époque, je mixais principalement en fin de semaine, donc je ne me reposais pas le week-end et je devais me remettre au travail dès le lundi. »

En plus d’être DJ à temps partiel, Lindsay Goethals (TRiXY), a également un job à temps plein : « Au début, je voyais le DJing comme un hobby, jusqu'à ce que je devienne résidente au Decadance. J’avais un boulot à mi-temps et je mixais chaque semaine. J'ai vraiment commencé à voir ça comme un second travail. Quand le Decadance a fermé ses portes, je suis retournée travailler à temps plein. Maintenant, je mixe encore deux à trois fois par mois. »

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Le stress pré-set

C’est assez stressant de préparer un set, et chaque DJ le fait d'une manière différente. Pour San Soda, c’est une sorte de stress contrôlé - surtout à la veille du set : « C'était différent avant. Le jeudi, j'écoutais des disques jusqu'à tard dans la nuit pour préparer mes sets. Parfois, ça n’avait vraiment pas de fin. Si je recevais des disques que j’avais acheté, je voulais quand même les écouter et les inclure dans le set. »

Selon lui, c’est grâce à son expérience et son approche spécifique qu’il parvient à rechercher un processus de préparation sain. Pour San Soda, il n'y a pas de frontières musicales et ses sets durent généralement trois à quatre heures, ce qui crée beaucoup de possibilités, mais rend aussi beaucoup plus laborieux la sélection des disques, les transitions des passages lents à ceux plus rapides, d'anciens disques à de nouveaux, ou encore de jazz à l'électro. « Il s'agit de savoir si ton esprit est apaisé, ou si c’est le chaos. Mais après autant d’années de mix, je connais si bien "mon" son et ma collection de disques est si vaste que le puzzle est devenu plus facile à assembler », dit San Soda.

L'adrénaline post-set

Il n'est pas toujours possible de trouver le sommeil après un set. L'adrénaline qu'iels ressentent après avoir mixé joue un rôle important chez tou·tes les DJs.

San Soda ne réussit à dormir qu'après le dernier set du week-end : « J'ai généralement deux nuits de deux à cinq heures de sommeil et je n’arrive à bien dormir que dimanche parce que le week-end est terminé. Et là je dors facilement huit heures. » Jonas n'a aucun problème pour dormir après un set : « Je dors facilement. J'ai juste beaucoup de mal à me réveiller mentalement. Je n'arrive pas à sortir des starting-blocks. Quand je dois prendre un vol, ça passe ; mais quand je dois travailler, c'est vraiment horrible. »

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TRiXY se sent tellement excitée après un set, qu'elle a du mal à s’arrêter : « En général, je ne dors que quelques heures. Le dimanche soir, j'ai toujours du mal à m'endormir et je dois attaquer ma semaine de travail le lendemain. »

Zoey, à l’inverse, se sent souvent à bout après un set : « Quand j'ai fini de mixer, je disparais toujours. J’ai du mal à parler aux gens par exemple. Après un set, je n'arrive pas à avoir ce déclic dans ma tête. Et je ne m'endors pas avant 6-7 heures du matin. »

Risques de burnout

La définition exacte de burnout est complexe, mais les DJs admettent tou·tes qu'iels ont ressenti quelque chose de proche, à un moment donné. Même s'iels préfèrent ne pas utiliser ce terme.

« Quand j'ai commencé mon nouveau job, j’ai craqué », confie TRiXY. « Je n'appelle pas ça un burnout, mais c'était intense. Je n'en pouvais plus. À cette période, je me sentais vraiment mal quand je mixais. Je ne me sentais plus à ma place, ni dans ma musique, ni à mon travail. Je n'étais pas satisfaite de mes sets parce que j'étais trop stressée. Je suis quelqu’un de très positif et j’ai beaucoup d'énergie, mais parfois, il faut s’avoir s’écouter. »

Zoey dit qu'elle reconnaît chez elle les symptômes d'un burnout. Pendant ses jours de congé, elle passe son temps à dormir et n'a envie de rien. Elle éprouve aussi ce problème quand elle doit aller mixer : « J'ai du mal à sortir du lit et je dois vraiment me forcer pour y aller. Je reste au lit jusqu'à la dernière minute et je ne sors que quand il est vraiment temps de partir. »

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Tout est allé très vite pour San Soda pendant les cinq premières années de sa carrière mais il préfère ne pas utiliser le terme burnout : « C'est une conséquence logique après des années d'efforts physiques et mentaux incessants. » Il a eu du mal à dormir pendant environ deux ans. « Je donne vraiment tout pendant un set. En plus de la fatigue physique - principalement à cause des voyages - c’est aussi difficile émotionnellement quand tu mixes pendant plusieurs heures tous les week-ends. Bien sûr que ça fait des ravages. »

Jonas était tellement fatigué après le travail qu’il a commencé à détester mixer. « C’était dur. J'ai continué pendant deux ans, mais j'ai dû faire un choix, car mon travail de DJ en souffrait et je n’arrivais plus à suivre. Mes week-ends passaient trop vite et je n'avais pas le temps de me reposer parce que dès lundi, je retournais au travail. »

Comment gérer les troubles du sommeil ?

Pour San Soda, la solution est claire : il faut relativiser. « La pression de la carrière est forte : on se retrouve soudain sous les feux des projecteurs et ça va très vite. C'est l'impression que te donnent les médias, les amis, les collègues, etc. Il y a une sorte d'attente sociale plus importante, dont les conséquences dépassent largement le cadre de l'industrie de la musique. Arriver à m’écouter et tout remettre en perspective a été l'étape la plus importante pour retrouver une sorte de paix intérieure. »

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Jonas aussi a pris sa carrière un peu trop au sérieux : « J'ai renoncé à mon temps libre et à mon repos, c’était très lourd mentalement. J'ai un peu ralenti maintenant. Le fait d’avoir décidé que le DJing ne serait plus une priorité dans ma vie, m'a permis d’y reprendre goût. »

TRiXY n'est pas DJ à plein temps mais si elle l'était, elle ferait plus de sport et essayerait de vivre plus sainement. Depuis qu'elle a recommencé à travailler à temps plein, elle accorde déjà beaucoup d'importance à l'équilibre entre le travail et la vie personnelle « sinon, ce sera trop difficile à combiner. J'avais l'habitude d’accepter plus facilement les petits gigs, mais maintenant je suis beaucoup plus sélective. »

Pour Jonas aussi, faire du sport et vivre sainement en général est une priorité : « Tu profites du fait d'être en forme, surtout si tu es debout toute la nuit. J’ai compris qu'un mode de vie plus sain doit rester une priorité. »

Tou·tes reconnaissent l'importance d'un mode de vie sain, d'un bon équilibre entre vie professionnelle et vie privée et de la capacité à faire face à la pression. C'est une responsabilité qui incombe aux DJs elleux-mêmes, mais aussi à l'industrie de la musique.

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