photos trouvées aux puces

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Ma collection de photos trouvées aux puces

Faux ours polaires, sapins de Noël et coucheries documentées : dans la vie des gens ordinaires du XXe siècle.

Quiconque fréquente les marchés aux puces les connaît : ces boîtes remplies de vieux albums, de cartes postales et de photos entreposées sur des stands couverts de bric-à-brac. À chaque fois, impossible de résister à l'envie d'inspecter ces photos de vacances, portraits de famille et autres clichés aléatoires. Qui étaient ces gens et pourquoi ont-ils pris ces photos ?

Siegfried Sanders parcourt les puces pour dénicher ces clichés oubliés. Il recherche en priorité les photos bizarres, incompréhensibles, et qui de fait, n'ont jamais été destinées au public. Il conserve aussi les photographies professionnelles tombées dans l'oubli, auxquelles il redonne une deuxième vie sur son site.

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Sa collection comprend une multitude de portraits de femmes et de modèles nus. Elle est évidemment très représentative de la façon dont les femmes étaient photographiées au début du XXe siècle. La collection comprend également des clichés incongrus : des nains, des ours polaires, des sapins de Noël et des tenues impossibles. Avec lui, je suis revenu sur sa collection.

VICE : Depuis quand collectionnes-tu ces photos et comment ça a commencé ?
Siegfried Sanders : Je suis marchand d'art et galeriste à Hambourg, donc j'étais déjà un habitué des puces et des antiquaires. Un jour, ma femme et moi avons acheté un cabinet pour notre bureau. Il était rempli de photos des anciens propriétaires.

Il s'agissait d'un couple sans enfants. Les 20 ou 30 albums comprenaient essentiellement des photos du chien et de la femme. Ce qui est étrange, c'est que le mec avait coupé sa femme sur toutes les photos – on ne voyait jamais sa tête. Sur les photos où elle sort le chien, on voit seulement la laisse et un bras. Pendant des années, il a documenté la vie de son chien, sans jamais y inclure celle de sa femme. J'ai trouvé cela vraiment intéressant du point de vue psychologique.

Savez-vous quelque chose des anciens propriétaires, et des circonstances où ont été prises ces photos ?
Les timbres fournissent parfois des indices. Toutes les photos de la collection « Women » ont été prises par des professionnels, qui utilisaient des éclairages. Si la plupart n'ont jamais percé, on compte tout de même une légende parmi eux : Julian Mandel, photographe parisien, qui exerçait dans les années 1920 et 1930. Il a réalisé un millier de cartes postales, mais impossible de trouver la moindre information sur lui. D'après les rumeurs, il serait devenu célèbre sous un pseudonyme pour que sa réputation ne soit pas ternie par ces « déchets » – les photos de femmes nues.

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Ce qui peut sembler normal vu le thème des photos.
Exactement. Il y a aussi la légende de Monsieur X, un Parisien aisé qui prenait soin des prostituées du coin. Il les photographiait dans des hôtels ou dans la nature. Il a ensuite confié toutes les photos à un éditeur, qui avait pour condition de les publier après sa mort – tous les négatifs avaient été détruits. L'autre condition était que son identité ne soit jamais révélée ; sa famille ne s'en serait jamais remise. Croyez-le ou non, mais il y a beaucoup de mecs légendaires comme ça. Souvent néanmoins, je ne sais absolument rien des photos. C'est le cas pour les photos d'Allemagne de l'Est.

Ces clichés montrent des femmes en lingerie, sans doute pour un catalogue, devant différents décors. On dirait que les photos ont été prises dans un studio, mais en y regardant de plus près, on s'aperçoit que c'est un appartement privé. D'autres clichés officieux démontrent que le photographe était plus intéressé par les modèles que par les vêtements.
Ça sent vraiment les années 1960 et 1970. Ça ressemble un peu à du F.C. Grundlach : des compositions semi-abstraites dans des chambres en carton. Quoique Grundlach eût des décors de première main. Là, c'est juste une boîte en carton avec des cordes.

Le contexte historique de l'Allemagne de l'Est joue un rôle important en ce qui concerne les origines de ces photos.
C'est certain. J'ai contacté quelqu'un qui a travaillé à la Poste en RDA. Il avait monté un réseau de modèles semi-professionnels. Son truc, c'était de photographier des mariages, surtout quand les invités venaient de l'Ouest. Il développait les photos la nuit et les revendait à des Allemands de l'Ouest le lendemain. Il gagnait pas mal d'argent comme ça. Cet argent lui servait ensuite à engager des femmes pour poser nues. Il les contactait par le biais d'annonces secrètes dans les journaux locaux.

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C'était des femmes banales – des médecins, vendeuses, etc. Évidemment, elles ne voulaient pas que ces photos éclatent au grand jour. Certaines gagnaient beaucoup grâce à ça, bien plus qu'avec leur job habituel. Ensuite, le facteur vendait ou échangeait les photos dans son cercle d'amis.

Il serait intéressant de savoir à qui ces photos étaient destinées.
L'absurdité des clichés m'intéresse plus que la dimension historique. Par exemple, j'ai toute une série de sapins de Noël. C'est un avocat qui photographiait son sapin chaque année, mais sa famille n'apparaissait jamais. Ça me rappelle un peu Harvey Keitel dans le film Smoke, où il prend en photo le coin de sa rue tous les jours. Ces séries sont souvent importantes pour les gens qui les réalisent, elles les poussent à la méditation, même si au premier abord cela paraît un peu fou.

La collection offre un panel de moments douteux, banals, amusants ou sérieux. Qu'est-ce qui lie toutes ces photos ?
Certaines sont mystérieuses en effet, d'autres nous semblent un peu plus familières. Beaucoup sont captivantes, sans raison particulière. En tant que spectateur, c'est toujours un voyage dans ma propre conscience. Pourquoi telle personne photographie telle chose de telle façon ? Cette question représente le point de départ de chaque photo. En publiant ces séries, je veux montrer que la vie est beaucoup plus colorée que ce que l'on se l'imagine – avec une bonne part de morale et de jugements.

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Certaines des séries de la collection comme « Wet Laundry », « Man Photographs Woman », « Outdoors », ou « Flowerpower » dépeignent des moments ordinaires, qui en tant que série, paraissent néanmoins absurdes.
Prendre une photo est quelque chose de très spécial. Il faut un appareil, et à l'époque, c'est l'homme de la maison qui le gardait et qui l'utilisait. Cela lui permettait de montrer tout ce qu'il possédait. C'est pour ça qu'il y a autant de photos de voitures, de vélos, de petites amies ou de chiens.

Il y a aussi des scènes qui se répètent. Par exemple, cette femme dans sa tenue du dimanche à côté d'un bouquet de magnolias. Ça vient peut-être d'un film ou d'un magazine, parce que cette image revient souvent.

Vous avez notamment découvert la série « Geliebte Margret », reprise sur de nombreux blogs.
J'ai des contacts dans beaucoup de marchés aux puces qui me mettent plein de photos, de magazines et de pellicules de côté. C'est comme ça que j'ai eu ces photos. Je les ai vendues à la Galerie Zander et je suis heureux qu'elles soient devenues célèbres.

« Margret — the Chronicle of an Affair » retrace l'adultère entre Margret et son patron – tous deux mariés – en Allemagne de l'Ouest en 1970. Il l'a prise en photo à chacune de leurs rencontres, et a conservé les photos dans une sorte de journal. Il a ajouté des annotations et des commentaires sur les changements d'humeur de Margret, sur ses pellicules et ses poils pubiens. Ils se sont séparés au bout de quelques mois.
Ces histoires de double vie m'intéressent beaucoup. Cela donne un aperçu d'une partie cachée de la vie d'un homme ordinaire, comme dans le film Down to Earth, où l'on ne connaît pas la fin.

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Vous allez continuer sur votre lancée ?
Je vais peut-être découvrir le prochain Helmut Newton en arpentant les puces, qui sait. Ce dont je suis certain, c'est qu'il y a surtout beaucoup de photographes qui méritent de ne pas tomber dans l'oubli. Je suis heureux que les gens visitent mon site et cherchent à connaître les histoires derrière toutes ces photos.

Toutes les images sont publiées avec l'aimable autorisation de Siegfried Sander. Josephine s'occupe du blog photo Edit for the Masses.