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LA CULTURE DU FOOTBALL

Ces athlètes qui font de hautes études

Combiner le sport avec la vie d’étudiant universitaire demande une détermination titanesque.
Photo par Stephen Baker via Unsplash

Les Alouettes de Montréal ont invité VICE à passer la saison 2018 au sein de l’équipe. Notre dossier spécial sur la culture du football est disponible ici.

Les semaines de 70 heures sont monnaie courante pour les quatre athlètes que nous avons interviewés. Jouer au football professionnel et réussir ses études, c’est déjà un défi, qui devient encore plus chronophage lorsqu’il est question de domaines aussi exigeants que ceux de la santé, du droit ou de l'ingénierie.

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Émile Chênevert est étudiant de dernière année en médecine à l’Université Laval. Son coéquipier chez le Rouge et Or, Aleck Brodeur, étudie pour devenir pharmacien. Zach Annen est joueur de ligne offensive pour les Alouettes de Montréal. Il a fait ses études à l’Université de Carleton en ingénierie aérospatiale. Et Marc-Olivier Brouillette, ancien de la LCF et des Carabins de l’Université de Montréal, est membre du Barreau du Québec depuis quatre ans. Ils ont accepté de nous dire comment ils ont géré leur horaire.

Comment on fait pour concilier le football avec des études aussi prenantes?

Zach : Il faut savoir gérer son temps. C’est une qualité qui se développe au fil des années, mais au foot universitaire, plus tu vieillis, plus tu obtiens du temps de jeu.

Émile : Avant d’entrer en médecine, c’est clair que j’étais stressé. Je vais-tu manquer des entraînements? Oublier un examen? Il faut se dédier corps et âme sans compromis.

Aleck : C’est une question de passion. J’ai entre 30 et 45 heures de cours par semaine, 15 heures d’entraînement, et c’est sans compter la game et les cours que je travaille la fin de semaine. Parfois je demande à quelqu’un de prendre mes notes pour aller pratiquer. Mais c’est sûr, c’est du sept jours sur sept.

Marc-Olivier : Ça prend une éthique de travail, ce que j’ai hérité de ma mère. Mon père est décédé quand j’étais jeune, et je l’ai regardée élever seule deux enfants, en plus de son emploi. Ça m’a aussi inculqué une résilience qui va être essentielle pendant le parcours universitaire.

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L’université, c’est censé être le fun. Est-ce que votre vie sociale en a pris un coup?

Zach : Heureusement, sur le terrain, on est pas juste des coéquipiers, on est aussi des amis avec un horaire semblable. Ça aidait. On pouvait se voir après les pratiques.

Émile : Je vais quand même à des partys. Ça m’est arrivé de manquer des soirées parce que je devais étudier, pis ça ne marchait pas. Je manquais de concentration, j’avais la tête ailleurs parce que je m’imaginais avec mes amis.

Aleck : C’est une expérience unique de jouer au foot universitaire, surtout à Laval. Je me rappelle d’une pratique à 5 h 30 le matin où j’étais malade. J’avais les yeux à moitié ouverts… je me disais : maudit que j’haïs ça, mais maudit que je n’échangerais ça pour rien au monde. Une victoire à la Coupe Vanier, ça vaut ben plus qu’une soirée d’initiation au bar.

Marc-Olivier : Oui, il y a des sacrifices à faire. Mais je me suis fixé très jeune l’objectif de jouer au foot professionnel. Arrivé aux derniers milles, quand il reste juste deux sessions à compléter et que tu sais que des recruteurs te regardent, ta motivation est au maximum.

Comment on fait pour garder l’équilibre dans sa vie privée?

Zach : Quand j’étais à l’université, j’ai lu la série de science-fiction Hyperion au complet, six grosses briques! C’est vraiment primordial de se garder du temps pour relaxer.

Émile : Disons qu’il faut avoir de bons amis. Quand on est dans le jus en fin de session, devant une montagne qui paraît infranchissable, il faut pas attaquer le problème la tête pleine. C’est mieux de prendre une soirée off, décompresser et ensuite te mettre au travail avec une attitude positive.

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Aleck : Tu ne peux pas t’infliger un horaire de fou en permanence, c’est dangereux pour la santé mentale. Ton entourage doit être prêt à faire des concessions et à te soutenir. Pour ce qui est du dating, les autres doivent être très compréhensifs. Avec mon ancienne blonde, on se voyait surtout quand on étudiait ensemble. Parfois on écoutait un film le soir, mais c’était rare.

Marc-Olivier : Les moments de détente sont nécessaires, mais ils ne seront peut-être pas les mêmes que ceux d’un étudiant universitaire typique, qui cherche un party chaque semaine!

Quel est le lien entre vos études et le football?

Zach : Quand je compare les cahiers de jeu au matériel que je devais apprendre par cœur à l’université, c’est rien. Cette capacité à apprendre vite me sert sur le terrain. À ma troisième année universitaire, j’ai changé de position. Le coach était épaté de la vitesse à laquelle j’ai appris les nouveaux jeux.

Émile : Ton corps est mis à l’épreuve lors des matchs. Des notions en médecine te servent nécessairement. Je peux m’autodiagnostiquer certaines blessures. Ce que je vois dans mes cours au sujet des commotions cérébrales me permet aussi d’être plus vigilant par rapport à ça.

Aleck : En pharmacie, on étudie les pathologies au même titre que les médecins. Ça me permet de me traiter, de savoir quel antidouleur je peux prendre, quand et où appliquer un combo froid-chaud quand j’ai un inconfort musculaire… Émile et moi, nos coéquipiers viennent souvent nous voir, parce qu’ils connaissent nos champs d’études. S’ils ne se sentent pas bien après avoir pris un antibiotique à la suite d’une infection, on peut regarder avec eux les symptômes et les guider pour contrer les effets secondaires, par exemple.

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Marc-Olivier : Clairement, après avoir appris un Code civil, un playbook, ça ne me faisait pas trop peur. J’apprenais rapidement les nouveaux plans de match chaque semaine.

Qu’est-ce que ces études poussées vous apportent concrètement en tant que joueurs de football?

Zach : La gestion du temps, le sens des priorités… mais surtout la discipline.

Émile : En anglais, on dit coachability, la capacité à te faire enseigner, on pourrait dire. Au foot, on est constamment en mode apprentissage. Il faut appliquer le changement sur un point technique souvent dans la minute qui suit.

Aleck : Quand j’étudiais les jeux, je me disais… si j’ai appris 180 médicaments pour le cancer en trois jours, je peux apprendre ça!

Marc-Olivier : Il y a beaucoup de similitudes entre le droit et le sport en général. Les règlements au football, c’est comme le Code civil du Québec. Le foot, comme le droit, c’est de la performance, mais surtout beaucoup de préparation. Tu affrontes un adversaire, tu dois élaborer une stratégie à l’intérieur d’un cadre donné. C’est la même chose en droit. Et il va y avoir un gagnant et un perdant, à la fin du procès.

Est-ce que le choix d’entreprendre des études dans votre domaine était une façon de se protéger contre les carrières courtes au football?

Zach : Quand j’ai été recruté pour jouer au football, j’avais de bonnes notes à l’école. La LCF, ce n’était même pas dans mes plans. Je savais qu’une blessure pouvait mettre fin rapidement à ma carrière. Je me sens privilégié de jouer encore, mais je suis content d’avoir un travail qui m’attend après.

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Émile : La médecine a toujours été ma priorité. Mes choix, du cégep à l’université, ont toujours été faits en fonction de ça et du football. Mon but en jouant avec le Rouge et Or, ce n’était pas nécessairement de passer chez les pros ensuite, mais d’être médecin.

Aleck : Je suis conscient que je suis petit pour la position à laquelle j’évolue, sur la ligne défensive. Je me fais pas trop d’attente. Je n’ai pas de plan A football, plan B pharmacie ou vice versa. Tant que j’ai la passion, j’aimerais continuer à jouer. Par rapport aux salaires de football, je ne cacherai pas que c’est le fun d’avoir un métier qui peut rapporter autant, mais ça ne sera jamais ma motivation principale. Parfois, je me fais un peu niaiser avec ça : « Toi t’es correct, tu vas faire bien de l’argent. » Mais c’est tout le temps sur le ton de la blague.

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Marc-Olivier : Avant d’entamer ma carrière professionnelle au football, j’ai eu une période de réflexion. J’avais l’opportunité de commencer à pratiquer le droit dans un cabinet. Mais j’ai eu une discussion avec un avocat qui skiait au niveau national. Il avait pris la décision de lâcher le sport pour commencer sa carrière d’avocat tout de suite. Il me disait le regretter immensément. On va toujours avoir besoin d’avocats, mais la fenêtre d’opportunité, pour jouer au sport professionnel, est tellement courte qu’il faut en profiter.