Un coup d’œil sur la vraie vie des jeunes de Kids

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Un coup d’œil sur la vraie vie des jeunes de Kids

Qu'ils soient en train de fumer sur le lit dans des chandails trop grands ou de s'embrasser en sous-vêtements, la collection est crue et empreinte de vulnérabilité : des photos intimes prises de l'intérieur.

Cet article est tiré du numéro photo du magazine VICE.

Avant qu'un groupe de yuppies excentriques prennent d'assaut les rues de Manhattan, elles appartenaient aux jeunes. C'étaient les années 90. Il y avait des bandes d'ados cassés de différents quartiers dans l'East Village. High vivait sur St. Marks Place. Sa mère était relaxe. Son appartement servait de base principale du groupe. Là où ils mangeaient et dormaient. Ils fumaient du pot, buvaient des 40 onces dans des sacs de papier brun, fêtaient sur les toits et faisaient du skate dans le Washington Square Park. C'est là que Leo Fitzpatrick, Justin Pierce et Harmony Korine ont rencontré Larry Clark. Plus tard, des millions de jeunes entreraient dans leur monde. Ils sont devenus célèbres après avoir joué dans le film culte de Clark, Kids, fixement braqué sur une version fictive de leur vie. Le ménage du maire Giuliani a ensuite changé New York. Avant, High, son amie Mel et leur groupe s'y amusaient. « À 14 ans, c'était aussi facile d'acheter de la bière à l'épicerie du coin que de la boisson au magasin de spiritueux et que de la marijuana ou de la coke dans mon immeuble. On nous laissait entrer dans les clubs et les trains étaient merdiques », écrit Mel dans un livre de photos qu'elle prépare avec High, That's a Crazy One. Aucune des deux n'a joué dans Kids, mais leurs amis oui, et c'était leur communauté et leur culture que cherchait Clark. Dans son film, on regarde la jeunesse dans les yeux : une vie marginale de sexe explicite, de consommation de drogue et de violence. Si Kids semble avoir immortalisé quelque chose d'important parce qu'il a des apparences de réalité, High et Mel n'y voient pas la réalité du tout. Pour elles, c'est plutôt une exploitation de la réalité. Clark a tiré profit de jeunes brillants sans arriver à montrer la beauté de leur monde. D'abord, ils n'étaient pas aussi fous de sexe qu'on les dépeint dans le film. Plus important, dans Kids, on a l'impression que tout ce que veulent les gars, c'est baiser les filles, mais, dans la vraie vie, les filles n'étaient pas des conquêtes sexuelles. Gars et filles étaient égaux et meilleurs amis. Plus de 20 ans après Kids, High et Mel ont rassemblé des photos de leur groupe qu'elles ont prises au début des années 90. « High et moi, on a photographié nos amis pendant presque toute notre adolescence, ce qui donne un portrait complet de ce que beaucoup de gens ont essayé de saisir de l'extérieur », écrit Mel en introduction de sa série. Leurs photos documentent simplement leur vie : un ado dans le cadre d'une fenêtre d'un couloir d'East 4th Street, les murs craquelés et décrépis; High et Mel avec jean et collant déchirés sur un toit de St. Marks; un garçon avec un jean baggy qui dort dans un wagon de la ligne R vers Brooklyn, étendu sur les sièges comme si c'était un lit. Qu'ils soient en train de fumer sur le lit dans des chandails trop grands ou de s'embrasser en sous-vêtements, la collection est crue et empreinte de vulnérabilité : des photos intimes prises de l'intérieur. High et Mel avaient hésité à montrer ces photos si personnelles, mais toutes deux savent qu'elles sont significatives. La photo d'un enfant avec chandail en flanelle extralarge, jean bleu pâle, bottes d'armée, skate sous le bras illustre la désillusion et l'angoisse qui sont le lot de chaque génération. Ces années d'adolescence étaient la fin des temps d'une culture qui n'est jamais vraiment morte. La ville n'était pas muselée à cette époque. Elle était brutale et dangereuse; pour Mel, High et leur groupe, elle était amusante. Si tous les actes de rébellion d'aujourd'hui sont publiés sur Instagram, ces ados, eux, ne s'objetisaient pas. Leur groupe était une famille. Ils passaient leurs journées ensemble. Ils se terraient dans des diners, fumaient sans arrêt et buvaient du café pour éviter de rentrer à la maison. « On était là où on était censés être », écrit Joanna, une autre membre du groupe. « On était qui on était censés être. » Aujourd'hui, l'intersection de St. Marks et de 1st Avenue est culturellement méconnaissable pour eux. Mais même si les gens, les magasins et la valeur des appartements ont changé, le coin est en quelque sorte immortel. Il sera là aussi longtemps que la ville existera, un rappel éternel du moment où leurs vies se sont croisées, tout comme ces rues. Ces souvenirs, bien qu'importants, ne sont pas toujours faciles. « La réalité, écrit Mel, c'est que certains d'entre nous en sont sortis, que d'autres ont coulé, et que d'autres encore sont entre les deux. » Ils parlent « d'amis qui n'en sont pas sortis. Qui sont restés coincés dans des pièges, des choses qui leur ont éventuellement enlevé la vie ». Certains ont été entraînés trop loin par une vague de fond de dépendance, de pauvreté ou même de pressions d'Hollywood. Justin Pierce, qui a joué Casper dans Kids et poursuivi sa carrière d'acteur pendant quelques années, s'est suicidé en 2000 dans sa chambre d'hôtel du Bellagio à Las Vegas. « Je veux que le monde sache qu'au-delà de tout ce qu'on a vu à l'écran, tu étais un ami farouchement loyal », écrit Mel à son sujet. Au téléphone, elle me dit que tout a changé après la mort de Justin. C'était la force unificatrice qui gardait le groupe hors de l'eau, et, si sa mort en a poussé quelques-uns à faire le ménage dans leur vie, elle a eu l'effet contraire sur d'autres. On explore leur adolescence dans ces photos, on devient témoins d'un groupe d'ados condamnés qui avaient pour plus grande possession la connaissance de leur identité. Ils auraient tout fait pour s'entraider, mais ne pouvaient parfois rien pour eux-mêmes. Quels que soient l'endroit et les années, le passage à l'âge adulte est brutal. Ces années semblent éternelles, mais, un jour, elles sont derrière, et votre liberté vous est enlevée. Les amis restent, mais au prix de grands efforts. Les vies prennent des directions différentes, empruntent des trajets trop longs pour revenir en arrière. Quand Mel, High et leurs amis se sont regroupés, c'était la chose la plus naturelle, et ce l'était aussi quand ils sont partis dans tous les sens. Tous les revenus de la vente de That's A Crazy One seront versés au programme d'art et de photographie du département de l'Éducation de la ville de New York.

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