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Société

Fuck la virginité

Mon hymen ou absence d’hymen n’a pas à être comparé au gros lot du 6/49.
Jan van den Hoecke (1635)

Voir le loup. Être vaccinée au jus de génisse. Perdre son chapeau de chinois. Se faire popper la cerise. Forcer la barricade. Perdre son capital. Dire adieu à sa vertu. Ouvrir le berlingot. Et perdre sa fleur, qui ferait référence à la fleur d'oranger, un symbole de la virginité, utilisée pour confectionner les bouquets des mariées. Toutes des expressions liées à la perte de la virginité.

La virginité est une conception avant tout sociale, dire adieu à sa vertu est une notion à dépasser et à redéfinir, parce qu'elle est souvent utilisée pour contrôler la sexualité des femmes et déterminer leur valeur. Mon hymen ou absence d'hymen n'a pas à être comparé au gros lot du 6/49.

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L'hymen est un dieu couronné de fleurs

Le mot hymen est dérivé du dieu romain Hyménée, fils de Bacchus et de Vénus. Il est présenté comme un jeune homme blond portant des couronnes de fleurs et tenant de la main droite un flambeau, et de la gauche un voile de couleur jaune, une couleur liée aux coutumes nuptiales romaines. Hyménée aurait délivré des jeunes filles déracinées de leur famille par des pirates. Reconnaissantes, les jeunes filles auraient entonné un chant magnifique pour louanger leur héros. Ces chants seraient devenus des hymnes nuptiaux et Hyménée, le dieu du mariage.
L'hymen aurait donc toujours été lié avec le mariage, qu'il soit païen ou religieux. Un hymen à célébrer, à louanger, lorsqu'il est donné. Un hymen, non seulement comme membrane illusoirement protectrice contre l'immoralité et les méchants pirates, mais aussi comme serment d'appartenance, comme soumission de celle qui s'offre à celui qui la sauve d'un monde dangereux et pervers, son époux.

Un fardeau chez l'homme, une vertu chez la femme

Même si nous ne sommes plus limités à un modèle de relation qui renforce le pouvoir d'un sexe sur l'autre, la virginité contribue encore aujourd'hui à des stéréotypes qui me donnent envie de donner des coups de talons hauts de quatre pouces aux distributrices de condoms parfumés aux fraises.

À la suite d'un statut Facebook sur le sujet, Carl, un ami, a démontré que dès le début de notre éducation sexuelle, « l'accent était mis sur l'importance de trouver la bonne personne, mettant une pression inouïe sur nous et nous donnant cette fausse impression que, si nous ne vivions pas notre première fois avec l'amour de notre vie, nous nous étions forcément fait avoir dans le processus. On avait profité de nous. On nous avait enlevé ce quelque chose qui ne reviendrait jamais. Ce sont les filles qui souffrent davantage de cette éducation. »

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La virginité, vue comme un fardeau chez l'homme et une vertu chez la femme, est épuisante à supporter. Une amie, Frankie, n'a pas hésité à franchir ce qui la séparait du clan des salopes salies par un coup de pénis : « Pour moi la virginité était pesante et je souhaitais surtout m'en débarrasser pour que les mecs arrêtent de me prendre pour une biche sans défense! »

Le mythe de la boucherie inoubliable

L'historienne Yvonne Knibiehler précise qu'à une époque, pour perdre sa virginité, une femme devait se faire pénétrer, en jouir, puis procréer. La majorité des médecins occidentaux et des théologiens croyaient alors qu'une femme ne pouvait pas avoir d'enfant si elle n'avait pas d'orgasme. L'autonomie des femmes était niée, leur corps marqué par le pouvoir des hommes : celui de prendre sa pseudo fleur d'oranger, de l'amener au septième ciel et de l'engrosser. Si le plaisir féminin était au moins souhaité, ça a drastiquement changé dans la moitié du 18e siècle, quand les médecins ont découvert la fonction des ovaires et l'inutilité probante de l'orgasme féminin dans la procréation.

La virginité renforce la stigmatisation et le sentiment d'être inadéquat pour les personnes qui ne se mettent pas à quatre pattes pour recevoir avec joie une graine dans leur vagin

La première fois, un rite de passage pour laisser sa pureté au placard, est depuis un événement effrayant pour les filles, car il est perçu comme inévitablement douloureux et saignant. Même si très peu de chiffres corroborent ou non des draps tachés, l'hymen étant parfois exsangue, le journaliste Antonio Fishetti, dans son livre L'Angoisse du morpion avant le coït, avance que le mythe de la boucherie n'est qu'un mythe, seulement 34 % de femmes saignant lors de leur ouverture de berlingot.

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Douloureux, digne d'une scène de film d'horreur, la première fois se doit aussi d'être inoubliable. Une femme doit voir sa vie changer par le frottement d'un pénis contre ses parois vaginales. Soraya, une amie, n'est pas convaincue : « Moi je ne m'en rappelle plus vraiment. Au moins je sais c'était avec qui. » Perdre sa virginité est un acte si mémorable qu'il porte un nom, alors que d'autres événements annonçant un tournant dans la vie de tout le monde n'ont pas de nom véritable. La première fois qu'on fait un pas, la première fois qu'on lit une nouvelle d'Alice Munroe, la première fois qu'on boit un gin-tonic : il n'y a pas de terme qui désigne ces aventures importantes, ni l'idée qu'en goûtant du gin Tanqueray nous perdons quelque chose.

« Quand est-ce qu'une lesbienne perd sa virginité? »

Le concept de la perte de la virginité est aussi problématique parce qu'il n'est pensé que lors de pratiques sexuelles hétéronormatives. La virginité renforce la stigmatisation et le sentiment d'être inadéquat pour les personnes qui ne se mettent pas à quatre pattes pour recevoir avec joie une graine dans leur vagin.

« Quand est-ce qu'une lesbienne perd sa virginité? » et « Si tu es lesbienne tu resteras toujours vierge? » sont des questionnements répétés sur des pages et des pages, une fois que les mots « lesbienne » et « virginité » sont googlés. La virginité invalide et efface toutes les expériences des personnes asexuelles, homosexuelles, queer, bisexuelles et hétérosexuelles qui ne pâment pas d'envie devant la norme sexuelle d'un pénis introduit dans le vagin.

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Le point de vue de Rachel, une amie, concorde : « J'aime ça dire que j'ai perdu ma virginité sur Mechanical Animals alors que mon chum n'aimait pas Marilyn Manson, mais, au fond, est-ce que ma première fois, c'est celle où il m'a doigtée et que j'ai eu mal parce que ça brisait mon hymen? Ou est-ce la fois où on a fait du sexe oral? Et si ma première expérience sexuelle s'était passée avec une fille, comment j'aurais mesuré ça? Le concept de virginité accorde beaucoup trop d'importance à la pénétration pénis dans le vagin. C'est bien le fun, je dis pas le contraire, mais surévalué. »

Un hymen intact ou non n'est pas la mesure appropriée pour juger la pureté ou l'expérience sexuelle de quiconque. Programmé pour s'autodétruire, l'hymen n'a même pas à se faire défoncer par un concombre ou un dildo en forme de dauphin pour disparaître. Plus on vieillit, plus l'hymen tombe en lambeaux. Gérard Zwang, un pionnier de la gynécologie moderne, sexologue militant et auteur d' Éloge du con : Défense et illustration du sexe féminin, rappelle qu'en 40 ans de pratique, il n'a jamais vu d'hymen imperforé : « Ça fait partie des phobies infondées, comme le vagin denté. » Examiné, le corps de vierges de 50 ans n'a pas d'hymen intact. L'intégrité anatomique des femmes n'existe donc pas et ne passe pas par des portes de bunker résistant à tout désir socialement immoral.

Accéder enfin au grand mystère

Comment redéfinir la virginité et la perte de celle-ci? Est-ce nécessaire de la vendre, afin de se foutre totalement des diktats moraux entourant la valeur de la virginité? Ou de rester vierge comme acte de résistance contre les normes et la pression de la société? J'ai posé la question à des femmes autour de moi.

Mathilda estime que ça reste une étape marquante, un rite de passage et que, s'il faut l'exprimer autrement, ce pourrait être comme une « célébration », sans connexion à une pureté perdue ou donnée. Pour Kristen, le fait de ne pas se sentir jugée sur l'âge et le moment de sa première pénétration l'a aidée à vivre un échange qui lui a révélé sa force et sa féminité : « Ma famille est athée. Je n'ai pas souffert d'une pression religieuse. Quand je me confiais à mon père, il me disait toujours de suivre mon cœur. Grâce à sa confiance, je n'ai aucun regret. La sexualité est un échange et un partage. La dénigrer reviendrait à me dénigrer. Je suis si lasse des sentiments de culpabilité judéo-chrétiens rattachés à la sexualité. La sexualité féminine n'est pas démoniaque. »

Rachel a elle aussi eu l'impression de gagner quelque chose : « Je m'estime chanceuse d'avoir grandi dans un milieu qui m'a permis de ne pas me sentir honteuse face au sexe. En perdant ma virginité, je me sentais au contraire gagnante : je savais enfin c'était quoi, fourrer. »
Jeanne propose d'oublier totalement l'expression « perdre sa virginité » et de la remplacer par des termes plus proactifs : « Faire l'amour. Ou simplement coucher avec quelqu'un. On est maître de notre corps, de nos envies. » Ce serait une façon de gagner en autonomie, d'instaurer l'idée de révélations sexuelles, de début sexuel, de nouvelles possibilités, et non de regrets moraux et religieux.

Réduire la virginité à une perte et à un détail anatomique est une erreur sexiste et hétéronormative. Ça ne réussit qu'à propager des craintes, des jugements sur qui est une salope ou une biche innocente. La virginité est une construction sociale et religieuse et personne n'a besoin de lier sa sexualité à des expressions rétrogrades comme « perdre son chapeau de chinois ».