Ce qui se cache sans doute derrière la guerre civile au sein de la mafia montréalaise
THE CANADIAN PRESS/Graham Hughes

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Crime

Ce qui se cache sans doute derrière la guerre civile au sein de la mafia montréalaise

En 2016, il y a eu 13 incendies criminels ou tentatives d'incendie liés à la mafia montréalaise, dont 11 contre des entreprises en lien avec les Rizzuto.

Le salon de coiffure Streakz à Laval n'a pas brûlé tout seul. Les flammes se sont propagées à un dépanneur, une boulangerie et une crèmerie, et les ont aussi détruits. D'après un reportage télévisé, un bidon d'essence a été lancé dans le salon de coiffure et des bombonnes de propane à proximité ont décuplé la force de l'incendie.

C'est le deuxième salon Streakz à brûler dans une même semaine. Un incendie en avait détruit un premier, aussi à Laval, le jeudi 5 janvier vers 2 h du matin. Selon la police, les pompiers avaient aussi noté la présence d'accélérant.

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Les deux salons appartenaient à Caterina Miceli, la femme de Carmelo « Mini-me » Cannistraro, qui dirigeait une entreprise de paris sportifs liés à la famille mafieuse autrefois dominante à Montréal, les Rizzuto. Il a été arrêté en 2006 dans le cadre de l'enquête Colisée et a plaidé coupable en 2011.

Ces salons sont les derniers d'une série d'incendies criminels visant les entreprises en lien avec les Rizzuto. Selon un article de La Presse publié en décembre, il y a eu 13 incendies criminels ou tentatives d'incendie liés à la mafia montréalaise en 2016, dont 11 contre des entreprises en lien avec les Rizzuto.

Et on ne se limite pas aux incendies. Trois membres hauts gradés du clan Rizzuto ont été assassinés l'an dernier : Lorenzo Giordano, 52 ans, en mars, Rocco Sollecito, 67 ans, en mai, et Vincenzo Spagnolo, 65 ans, en octobre.

Les porteurs de cercueil aux funérailles du parrain Vito Rizzuto à Montréal, le 30 décembre 2013. Photo : Graham Hughes, La Presse canadienne

Le clan Rizzuto, qui a régné sur Montréal sans trop de difficultés pendant près de 40 ans, semble assiégé par des ennemis depuis le décès du parrain, Vitto Rizzuto, il y a trois ans. Mais qui exactement allume des incendies, pose des bombes et assassine les membres de moins en moins nombreux du groupe de loyaux aux Rizzuto?

Plusieurs théories se concurrencent. Certains ont supposé que la mafia de Toronto travaille à affaiblir la famille montréalaise; d'autres que ce sont les Hells Angels. D'autres encore pensent que la mafia montréalaise succombe à des rivalités internes, pour des raisons peut-être de territoire. La faction sicilienne loyale à Rizzuto serait peu à peu décimée par une faction calabraise, composée de ceux qui sont loyaux à la famille Cotroni, dont le règne s'est achevé dans le sang : elle a été renversée par Nicolo « Nick » Rizzuto, le père de Vito, entre la fin des années 70 et le début des années 80. Ce dernier est mort en 2010, assassiné.

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Pour Antonio Nicaso, écrivain spécialisé en crime organisé et professeur de Toronto, il est évident que le conflit au sein de la mafia montréalaise a pris naissance dans ses rangs. Par contre, il ne s'agirait pas d'une opposition entre Siciliens et Calabrais.

« C'est comme avoir plusieurs coqs dans un même poulailler », explique-t-il. Quand Rizzuto est mort des suites d'un cancer du poumon en décembre 2013, après une longue période peine purgée dans une prison américaine en raison de sa participation à un triple meurtre à Brooklyn en 1981, les activités jusque-là fermement dirigées par la famille ont déraillé.

« Il y a une opposition entre l'ancienne garde et ce qu'on appelle les renégats », explique Antonio Nicaso. Ces derniers n'aiment pas l'idée de remplacer Rizzuto par un quelqu'un d'autre et d'ainsi rétablir la monarchie qui a dirigé la mafia montréalaise pendant plus 30 ans.

Ils voudraient selon lui une « organisation plus démocratique », dans laquelle le pouvoir ne serait pas dans les mains d'un petit groupe ou d'un parrain.

Il croit possible qu'une alliance ontarienne entre les Hells Angels et la branche ontarienne de Ndrangheta, l'organisation criminelle de Calabre, finance ou soutien d'une autre façon la faction des renégats. Il n'existe aucune preuve de cette hypothèse, mais, selon lui, elle est sensée d'un point de vue stratégique.

« Ils aiment l'idée de remplacer la monarchie par une confédération de clans, parce qu'ils n'auront plus à négocier avec une organisation aussi forte et imposante qu'auparavant. Il est préférable pour eux de se retrouver dans un environnement criminel où chacun est sur un pied d'égalité, plutôt que de devoir composer avec une personne au sommet qui dirige et donne des directives à tout le monde. »

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Leonardo Rizzuto (à droite), sa sœur Bettina et sa mère Giovanni Cammalleri (au centre) quittent les funérailles du parrain de la mafia, Vito Rizzuto, à Montréal, le 30 décembre 2013. Graham Hughes, La Presse canadienne

Par contre, bien qu'il soit facile d'y voir un conflit déchirant en morceaux le territoire de la pègre montréalaise entre loyaux aux Calabrais d'un côté et loyaux aux Siciliens de l'autre, la réalité serait plus complexe. Antonio Nicaso fait remarquer que, par exemple, Raynald Desjardins, un Québécois, était l'un des membres les plus hauts gradés du clan Rizzuto, jusqu'à ce qu'il prenne ses distances.

Oui, convient-il, il y a des Calabrais qui essaient de détruire les Rizzuto, mais « ceux qui tentent de renverser la vieille garde ne sont pas tous des Calabrais ». Au fil des décennies, les Rizzuto se sont fait beaucoup d'ennemis, mais ils ont aussi créé une organisation très riche. Comme le clan est à présent sans chef et affaibli, l'occasion de porter un coup fatal et de se diviser le butin ne pourrait pas être plus belle. Une alliance de circonstances composée de plusieurs groupes, chacun avec ses propres motifs, se serait donc formée dans l'intention de mettre fin à la mainmise des Rizzuto sur les activités criminelles à Montréal.

Néanmoins, la violence est, et a toujours été, mauvaise pour les affaires, d'après Antonio Nicaso. Plus tôt ce sera terminé, mieux ce sera pour toutes les parties impliquées. Quand les meurtres et les incendies prendront fin, c'est sans doute que le règne de la famille Rizzuto sera terminé, et ce, pour toujours.

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