Du street art qui dérange à Québec
Toutes les photos sont une gracieuseté de Wartin Pantois

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Culture

Du street art qui dérange à Québec

L’artiste Wartin Pantois utilise des collages d’images de junkies pour revendiquer un site d’injection supervisée dans Saint-Roch

Le street artist Wartin Pantois est habitué à la nature éphémère de son travail, mais la disparition de son dernier projet s'est avérée particulièrement rapide.

Hier, des employés de la Ville de Québec ont enlevé la moitié des œuvres qu'il avait exposées la fin de semaine dernière dans le quartier de Saint-Roch : des images-chocs montrant des utilisateurs de drogues injectables en train de consommer.

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Avec cette nouvelle série, intitulée Santé pour tous, l'artiste connu pour ses collages percutants inspirés par Ernest Pignon Ernest et Banksy dit qu'il voulait montrer la nécessité des sites d'injection supervisée dans le quartier. Pendant que Montréal se prépare à lancer les trois premiers centres de la province, plusieurs organismes locaux espèrent que le service sera aussi bientôt offert aux résidents de la capitale.

On a contacté Wartin Pantois, un pseudonyme qu'il utilise pour garder l'anonymat, pour en apprendre davantage sur le projet.

VICE : Plusieurs de tes collages ont maintenant été enlevés? Qu'est-ce qui s'est passé? Wartin Pantois : Là, il reste deux collages sur cinq. Une des œuvres avait déjà disparu moins de 24 h après avoir été installée la fin de semaine dernière, mais je crois que celle-là avait été volée.

Hier, je me suis aperçu que deux autres œuvres avaient été décollées, que la Ville de Québec avait procédé à la censure des œuvres. En tout cas, de celles qu'ils ont trouvées.

C'est un peu trop éphémère à mon goût, mais je trouve ça comique, que la ville ait déployé des ressources pour enlever ce qu'ils jugeaient impropre à voir. Moi, mon travail est fait, le projet a beaucoup été diffusé dans les médias.

Les sites d'injection supervisée, c'est une cause qui te tient à cœur? « Santé pour tous », c'est un projet que j'ai commencé l'automne dernier. J'étais allé à une conférence qui portait sur le sujet, sur les centres, leur implantation, où ça en est au Québec. C'était donné par un expert du domaine. J'ai appris des choses et j'ai mis ça en lien avec ce que j'avais entendu dire des centres d'injection supervisée.

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Il y a déjà eu une consultation publique dans Saint-Roch et il y avait une longue liste de critères d'acceptation sociale, 18 critères. Après avoir assisté à la conférence, ces critères-là m'ont semblé plutôt de l'ordre de peurs non fondées ou de préjugés. Par exemple, il y avait « D'accord pour un centre d'injection supervisée, mais il ne faut pas que ça augmente la criminalité » ou bien « D'accord pour un centre d'injection supervisée, mais il ne faut pas que ça fasse baisser la valeur de nos immeubles ». Il y avait toutes sortes de critères comme ça vraiment basés sur rien alors que les services d'injection supervisée, en gros, ça a une valeur ajoutée pour un quartier : il va y avoir moins d'injections dans les lieux publics, ça permet de réduire les seringues souillées qu'on pourrait retrouver dans les parcs, ça aide à la santé des utilisateurs, ça diminue l'échange de seringues et donc la transmission de VIH et d'hépatite C, ça diminue la chance de mourir d'une overdose.

Il y a plein d'avantages justement pour les utilisateurs, mais aussi pour la communauté autour. Mais ce que j'avais entendu dire des critères d'acceptabilité sociale, c'était comme si avoir ça dans notre quartier allait être un drame. Mais au contraire, c'est un plus.

Ça s'appelle « Santé pour tous » parce que c'est bon pour tout le monde, pour les utilisateurs et la population.

Comment as-tu conçu ces images? L'intervention comme telle, je l'ai fait en lien avec un organisme [d'aide aux toxicomanes] du quartier qui s'appelle Point de repères. Je suis allé les voir, je leur ai proposé mon projet et ils ont embarqué, ils étaient enthousiastes. Pour [les images], j'ai photographié des utilisateurs de drogues injectables qui m'ont été présentés par l'organisme. C'était une belle collaboration.

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Ce sont des photos imprimées en noir et blanc, grandeur nature, que je rehausse à la feuille d'or. Ensuite, je fais mes collages à proximité de boîtes de récupération de seringues. J'essaye de faire des œuvres vraiment in situ pour que les images fassent parler des lieux, pour que ça soit cohérent. Ce qui m'oblige des fois à faire des interventions dans des lieux publics.

Il y a un endroit qui est très prisé par les utilisateurs de drogues, c'est les toilettes de la bibliothèque Gabrielle Roy, qui est au centre-ville de Québec. Donc, j'ai fait un collage carrément devant la bibliothèque, sur un petit muret. Je choisis des endroits où je n'abîmerai pas l'espace urbain, je ne fais pas ça sur des maisons privées. J'essaye d'avoir une éthique de travail pour que mon message passe sans les inconvénients d'agir sans permission.

Dans ma démarche, j'essaye de mettre en lumière des réalités humaines sensibles, qu'on souhaite parfois occulter. Je veux les remettre à l'ordre du jour.

Ce sont des images qui ont visiblement dérangé certaines personnes. Tu me disais que certaines d'entre elles avaient été vandalisées de façon assez particulière? Le street art, c'est éphémère, je vis bien avec ça, les œuvres sont souvent abîmées par le temps, par l'hiver. Mais là, ça m'a surpris parce que, seulement une journée ou deux après l'installation, y a une œuvre qui a carrément disparu, qui a été arrachée, mais deux autres qui ont été vandalisées, un peu comme censurées sauvagement.

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Les œuvres avaient été grattées aux endroits mêmes où il y avait les seringues, les mains qui tenaient les seringues à l'endroit de l'injection. Je ne peux pas lui en vouloir à cette personne-là. Moi, j'interprète ça comme quelque chose d'insoutenable pour la personne qui a voulu cacher ou enlever ce geste qui est difficile à voir, à accepter. L'œuvre est vivante, toutes mes œuvres de street art, je les lègue à la rue, en pâture aux intempéries et au vandalisme. Dans ce cas, je ne crois pas que ça soit du pur vandalisme gratuit. Comme ce sont seulement les mains qui tenaient les seringues qui ont été censurées, je me dis que c'est quelqu'un que ça a touché un peu plus négativement.

J'essaye d'être compréhensif avec cette personne-là. Y a peut-être quelqu'un de son entourage qui a des problèmes de drogues injectables, peut-être que lui en a eu dans le passé.

Je veux surprendre, pas nécessairement choquer. Les images doivent être parlantes, parce que si elles sont aperçues au détour d'une rue par hasard, ça doit impliquer tout de suite un questionnement. Est-ce que c'est une vraie personne, qu'est-ce qu'elle fait là? Je veux toucher les gens par mon art.

Mais cette série-là, sans le message autour, juste l'image, je comprends que les gens aient pu le prendre un peu mal. Mais je l'ai fait vraiment pour passer l'image qu'un centre d'injection, c'était bon pour quartier.

Comment se sont sentis les utilisateurs de drogues injectables, quand tu les a photographiés? Quand je suis allé les rencontrer à Point de repères, je leur ai parlé des autres interventions que j'avais faites, sur les sans-abri et les personnes qui avaient été expulsées de leur logement. Je leur ai expliqué ma démarche et pourquoi je m'intéressais à ce sujet. Ils ont accepté, et le plus intéressant, c'est qu'ils m'ont donné des idées sur où installer les œuvres. Dans le shooting photo aussi, je ne les ai vraiment pas dirigés, ils avaient des idées de positionnement pour les photos, c'est presque eux qui ont mené le projet, du moins la séance de photos. C'est grâce à eux que le projet a vu le jour.

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Quelle est leur position sur les sites d'injection supervisée? C'est ça qui a fait en sorte qu'ils ont embarqué dans le projet, c'est qu'eux aussi pensent que ce service est un besoin. Le centre d'injection supervisée, faut surtout qu'il réponde à leurs critères à eux, faut qu'il soit à proximité, faut que ça soit un organisme communautaire qui fait la gestion pour que ça soit un lieu où ils ont le goût d'aller. Genre, il ne faut pas que ça soit dans hôpital à 5 km de chez eux.

Quelles sortes de réactions est-ce que ça a engendrées? C'est mon projet qui a été le plus diffusé dans les médias sociaux jusqu'à maintenant. J'ai eu beaucoup de commentaires positifs. C'est sûr que le fait que les œuvres aient été vandalisées, c'est le message le moins positif que je reçois. Mais, sinon, j'ai vraiment eu du feedback très positif d'organismes pancanadiens qui prônent l'établissement de centres d'injection supervisée. Ils sont contents que j'aie mis le sujet à l'ordre du jour. Ce sont des images qui peuvent être utilisées par la suite pour la sensibilisation.

Et les mononcles et matantes qui ont peur des sites d'injection supervisée, eux? C'est surtout à eux que je m'adresse, en fait. C'est pour ça qu'il y a le message en plus de l'image. Les images peuvent choquer, mais il faut se dire que c'est une réalité qui existe et que, s'il y a un centre d'injection supervisée, ça va réduire ces scènes. Dans le fond, c'est une possibilité réelle que Saint-Roch ait un centre d'injection supervisée, donc il faut vraiment que les gens comprennent que c'est positif pour tout le monde.

Brigitte Noël est sur Twitter.