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Drogues et festivals : mieux vaut encadrer la consommation que de la nier

C’est de nouveau la saison des petits yeux et des pupilles dilatées dans les festivals, partout au Québec.
Crédit photo : Daniel J. Pierce

Et sur le terrain, de plus en plus d'événements adoptent l'approche par réduction des méfaits, pour limiter les conséquences négatives liées à l'usage des drogues, plutôt que de tenter de les éliminer.

C'est notamment le cas d'Evenko, qui organisera ce week-end le festival Osheaga et un peu plus tard cet été, ÎleSoniq. Pour mieux encadrer la consommation de drogue, le promoteur travaille en collaboration avec le Groupe de recherche et d'intervention psychosociale (GRIP) depuis quatre ans. L'organisme veut éduquer les festivaliers sur les drogues consommées de façon récréative.

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« On a créé une section qui s'appelle Le Havre, qui est un safe space où l'on retrouve des personnes ressources pour répondre aux besoins des festivaliers, sans jugement, dit le porte-parole d'Evenko, Philip Vanden Brande. Notre but ultime est que le monde se sente en sécurité. Mais la détection des substances interdites à l'entrée du site, par la fouille, est notre priorité. Automatiquement, les gens sont remis aux autorités. »

Le fait qu'une grosse organisation comme Evenko endosse cette approche a créé un effet boule de neige dans le milieu des festivals. Mais il existe encore des récalcitrants qui refusent les services du GRIP, qui se résument généralement à une table où des intervenants offrent de l'information.

« Pour un promoteur, ça veut dire d'assumer qu'il y a de la consommation, dit la coordonnatrice du GRIP, Jessica Turmel. Ils ne sont pas tous prêts à aller jusque-là. Cela dit, on n'a pas assez d'effectifs pour remplir la demande. »

Heureusement, la crise du fentanyl annoncée pour cet été par certains acteurs du milieu communautaire n'a pas eu lieu au Québec. Mais elle fait rage à Toronto, où quatre personnes sont mortes de surdose entre jeudi et dimanche dernier. Et les promoteurs québécois sont sur le qui-vive.

« Ça prend juste une personne pour gâcher le party de tout le monde, dit le cofondateur des Piknic Electronik, Nicolas Cournoyer. On voit venir le fentanyl depuis longtemps de l'Ouest canadien et on sait qu'il y en a à Montréal. Jusqu'à maintenant, tout va bien. Mais le risque zéro n'existe pas. T'as beau avoir les meilleures mesures du monde, on n'est pas à l'abri de ça. »

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Même si le Piknic Electronik se veut un événement familial qui a lieu en plein jour les dimanches au parc Jean-Drapeau, l'organisateur ne se fait pas d'illusions : les gens consomment.

« C'est un travail de coulisses, ajoute-t-il. On a eu plusieurs surdoses de GHB dans le passé. On va parler avec la gang qui consomme et on s'informe où elle s'approvisionne et si elle fait des mélanges. On ne veut pas être moralisateurs. Et on ne va pas appeler la police. On a une clientèle fidèle et on ne peut pas se permettre d'avoir une attitude de marde. »

L'an dernier, les organisateurs du festival de musique électronique Eclipse, qui a lieu à Sainte-Thérèse-de-la-Gatineau, ont eu toute une frousse quand sept personnes ont quitté la fête en ambulance après avoir consommé des drogues injectables. Ces surdoses n'étaient pas dues au fentanyl, mais cette année les promoteurs de l'événement ne veulent rien laisser au hasard.

Auparavant, l'organisation s'occupait de former à l'interne une brigade responsable de veiller au bien-être des 3000 festivaliers qui convergent vers le site en forêt pendant les cinq jours de fête. Mais cette année, une équipe médicale pilotée par la Clinique Caméléon sera sur place, en plus d'une vingtaine de bénévoles du GRIP.

« Notre bulle du bien-être et de l'innocence a été pétée l'an dernier, raconte Francis Jourdain, qui formait la brigade bénévole l'an dernier. Maintenant, on sait que ça peut déraper. C'est une question de santé, mais ça fait aussi du mal à l'image du festival. On ne veut pas passer pour une bande de drogués. On est des tripeux de musique. »

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Le cofondateur du festival, Éric Amyot, remarque quant à lui que la clientèle se renouvelle. La foule est de plus en plus jeune et elle demande un peu plus d'encadrement. « L'an dernier, ils n'avaient pas nécessairement leur "kit de survie" et il y a eu des mix dangereux. »

Tous les organisateurs d'événement contactés par VICE rendent disponible la naloxone, l'antidote au fentanyl, administrée par injection ou par vaporisateur nasal. Toutefois, aucun n'offre l'analyse de substances telle que proposée en Colombie-Britannique depuis une quinzaine d'années au festival de musique électronique Shambala. Le gouvernement de la province a d'ailleurs annoncé un programme d'intervention contre la crise des opioïdes qui inclut notamment le testing.

En février, VICE annonçait que le gouvernement n'était pas fermé à l'idée d'accorder des exemptions pour l'analyse de substance. Mais, jusqu'à maintenant, le service est illégal puisqu'il demande nécessairement la manipulation de stupéfiants interdits.

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Au contraire de Shambala, aucun festival québécois ne veut se mouiller et offrir les tests , en raison des interdits. Le GRIP a longtemps envisagé la désobéissance, mais l'organisme a finalement opté pour le droit chemin. Jessica Turmel en est d'ailleurs à remplir la demande d'exemption fédérale. Mais, même si l'analyse de substance a prouvé dans l'Ouest qu'elle pouvait sauver des vies, elle doute d'être en mesure d'en faire cet été au Québec.

« Il va falloir faire des demandes de financement parce qu'un spectromètre, qui indique la composition moléculaire d'une substance donnée, vaut une centaine de milliers de dollars, dit-elle. Il faut aussi former des employés. On roule avec seulement 33 000 $ par année. Les gens ne savent pas à quel point on est pauvres. »

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