Elle transforme sa collection d'insectes en art

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Elle transforme sa collection d'insectes en art

« J’ai envie de parler de la nature humaine à travers les insectes »

Cet article fait partie de la série «Les vraies affaires ».

Quand on pense à une collection d’insectes, on imagine des papillons de toutes les couleurs parfaitement épinglés sur un tableau blanc. Chez Félixe, ils sont gardés au congélateur dans des sacs Ziploc, à côté de la crème glacée. « Je peux les sortir pendant deux heures maximum avant que les fourmis commencent à venir les manger. » Mouches, coccinelles, scarabées, libellules, Félixe collectionne les insectes sans distinction. Pas de recherche de perfection non plus : certains sont abimés voire carrément démembrés. « J’aime les insectes moches, je les trouve poétiques, mais comme souvent ça dégoûte les gens, j’essaie d’en trouver aussi de plus jolis pour avoir une collection équilibrée. » L’esthétique importe peu. Pour Félixe, les insectes représentent surtout une métaphore de la nature humaine.

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Félixe Bouvry est étudiante à Concordia en arts visuels. Le soir, elle est agente administrative dans un hôpital. Contrairement à certains collectionneurs obsessionnels qui connaissent tout de leur sujet, elle n’a jamais lu un livre d’entomologie, n’est pas fan des insectariums et ne connaît pas non plus les noms scientifiques de ses petites bêtes. C’est leur éphémérité qui l’intéresse.

« Les insectes me font beaucoup réfléchir à la mort. On leur accorde moins d’importance qu’aux humains ou qu’à d’autres animaux. Mais je pense qu’on réalise en les regardant que, même si notre cycle de vie est plus long, il est quand même semblable. »

Tout a commencé avec un projet d’école, une collection de 48 mouches dans des flacons. Depuis, Félixe expose régulièrement ses insectes dans des galeries et lors de manifestations artistiques. Chaque fois, elle met en avant ses réflexions philosophiques. Dans une des vidéos qu’elle a exposées dernièrement, « Petite mort », elle prête des pensées abstraites à une chenille qu’elle filme jusqu’à son dernier souffle. « Je travaille dans un hôpital et j’ai longuement travaillé avec des gens en fin de vie, ça m’a beaucoup marqué. C’est pour ça que j’ai envie de parler de la nature humaine à travers les insectes, d’explorer la fin de leur existence. »

« On ne pleure pas la mort d’un insecte, on ne va pas faire de cérémonie pour un scarabée. Mais quand ils sont exposés devant un public, ça donne le temps d’être un peu plus ému par leur vie et leur mort, de réaliser qu’ils ont été parmi nous. »

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Ce qui est bien avec une collection d’insectes abimés, c’est que ça ne coûte pas grand-chose. « On peut trouver 100 criquets pour 3 dollars dans les animaleries », explique Félixe. Elle trouve souvent de nouveaux ajouts à sa collection en regardant par terre dans la rue. Ses amis pensent aussi à elle. « Ils sont vraiment cutes. Dès qu’ils trouvent un insecte mort, ils me l’apportent! » Celui qui a coûté le plus cher, c’est son papillon de Madagascar : 40 $.

Mais si à l’achat les insectes ne ruinent pas Félixe, lorsqu’elle prépare une exposition, c’est une autre affaire. « Certains projets me prennent des centaines d’heures. Je dois archiver, photographier, filmer, numériser. Ce qui est difficile quand on expose des insectes, c’est qu’ils sont minuscules et extrêmement nombreux, et que chacun d’entre eux demande une préparation minutieuse. » Il lui faut alors créer un mini studio de photographie et de cinéma dans son appartement.

Aujourd’hui, ce qui manque à la collection de Félixe, c’est une mante religieuse. C’est son insecte préféré parce que c’est celui qui a la vision la plus proche de celle de l’humain. « J’ai eu deux cocons de mantes religieuses pendant six mois à la maison. Je les avais achetés 30 $ environ. J’avais peur, parce qu’il parait qu’il peut y avoir 600 œufs là dedans! Je cauchemardais que j’étais envahie par des centaines de mantes religieuses. Mais finalement, ils n’ont pas éclos. » Félixe en cherche toujours une, mais vivante si possible. Elle voudrait savoir si, avec son excellente vision, la mante religieuse pourrait se reconnaître en se regardant dans un miroir, et filmer l’expérience. Le but reste le même, soit de pousser encore plus loin la réflexion sur ce qui nous rapproche de ces petits invertébrés.

« Grâce à eux, je réalise que je suis moins importante que je le pense. Ça banalise beaucoup de choses angoissantes. C’est le fun d’avoir la paix par rapport à ça. » Cet article a été publié grâce au soutien de la Banque Nationale.