Voici pourquoi les écolos veulent revenir à la case départ avec Énergie Est
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Voici pourquoi les écolos veulent revenir à la case départ avec Énergie Est

Tout ce que vous devez savoir sur la situation actuelle.

La course contre la montre est un concept récurrent dans la lutte contre les changements climatiques. Dans le cas de l'évaluation environnementale du projet d'oléoduc Énergie Est, qui doit traverser le Québec pour acheminer au Nouveau-Brunswick du pétrole albertain, le temps pourrait jouer en faveur des militants écologistes.

Une histoire de conflits d'intérêts

On se rappelle qu'en septembre, les trois membres du comité d'audience de l'Office national de l'énergie (ONE) s'étaient eux-mêmes retirés du processus d'évaluation environnementale. On les soupçonnait de ne pas avoir été impartiaux tout au long du processus; on venait d'apprendre que deux des trois commissaires avaient rencontré secrètement Jean Charest alors qu'il était conseiller pour TransCanada.

Un avis de motion déposé par des groupes environnementaux exigeait leur départ et prévoyait porter la cause devant les tribunaux si les trois membres demeuraient à la tête du processus.

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Les commissaires se sont récusés, l'affaire n'est pas allée devant les tribunaux. Trois nouvelles personnes ont été formellement nommées à la tête du comité en début de semaine; trois personnes bilingues et au parcours sans tache, du moins en apparence.

Tout reprendre du début

Même si de nouvelles personnes sont à la tête du comité, et que celles-ci devraient déterminer la façon dont va se dérouler le processus d'évaluation dans les prochaines semaines, les groupes environnementaux redoutent que le processus soit repris là où il a été laissé.

Ils y voient là un problème majeur : les décisions qui ont été prises par les précédents commissaires influeraient toujours sur le processus d'évaluation. Par exemple, les anciens commissaires de l'ONE ont déterminé que les conséquences environnementales en amont du projet de pipeline ne pourraient pas être débattues. Ainsi, on peut débattre des impacts potentiels de la construction, de la mise en terre des tuyaux, mais pas des impacts sur l'augmentation de la production de pétrole des gaz bitumineux.

« C'est une question que veulent soulever les groupes environnementaux, c'est clair. Mais c'est une question qui a été écartée », insiste l'avocat spécialisé en environnement et vice-président du Centre québécois de la protection de l'environnement, Jean Baril. « Personne ne va pouvoir poser des questions ou exiger de déposer des documents qui pourraient démontrer qu'Énergie Est augmenterait de tel pourcentage la production de gaz à effet de serre au Canada. Le nerf de la guerre, c'est vraiment la production à la source. »

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Il déplore également que seuls les citoyens directement touchés par le projet soient admis aux audiences, c'est-à-dire ceux étant directement incommodés par le pipeline, qui pourrait par exemple traverser leur propriété. Un processus comme celui de BAPE permet en revanche à tous les citoyens d'aller exprimer des inquiétudes ou de poser des questions.

Pour annuler les décisions prises par l'ancien comité, le groupe environnementaliste Transition Initiative Kenora (TIK) a opté pour les voies officielles en début de semaine, en déposant un avis de motion à l'ONE. TIK exige qu'ils reprennent le processus du départ, sans quoi ils devront se défendre en cour. Le nouveau comité d'audience « examinera la requête et rendra une décision que [l'ONE partagera] dès que disponible », a indiqué l'organisme par courriel.

De son côté, TransCanada attend « avec impatience la reprise du processus réglementaire d'Énergie Est afin de pouvoir démontrer comment ce projet servira l'intérêt national ».

Gagner du temps, gagner sa cause

Les problèmes liés à l'ONE ne se limitent pas à la partialité du comité; ils remontent à la façon dont l'organisme est régi. La Loi canadienne sur l'évaluation environnementale mise sur pied par les Conservateurs en 2012 dicte les critères que l'organisme doit respecter et comporte « toutes sortes de restrictions », rappelle Jean Baril. C'est en fonction de cette loi que tous ne peuvent s'exprimer en audience ou que certains sujets ne peuvent être abordés.

Dès leur arrivée au pouvoir, les Libéraux ont entrepris de modifier le processus d'évaluation environnementale et mènent présentement des consultations à cet effet. C'est ici que le temps est crucial. L'avis de motion de TIK permettrait peut-être aux environnementalistes de faire jouer l'horloge en leur faveur, croit Jean Baril.

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L'avocat estime à environ un an et demi le temps que pourrait « perdre » Énergie Est si l'avis de motion de TIK menait l'ONE devant les tribunaux. Entre-temps, il serait possible que la nouvelle loi libérale sur l'évaluation environnementale soit adoptée. Si le processus repartait à zéro et que le gouvernement entre-temps modifiait la loi, les citoyens pourraient aborder en audiences les sujets qui leur tiennent à cœur et ainsi réduire les chances d'acceptation des projets.

Si la directrice générale de TIK, Teika Newton, se défend d'avoir agi dans le but de causer un délai dans le processus actuel, elle reconnaît qu'il pourrait être bénéfique de retarder la reprise des audiences jusqu'à ce qu'une nouvelle loi soit en vigueur.

« Je dirais que c'est certainement ce que je souhaite. C'est vrai. Si on continue d'évaluer les projets avec la Loi de 2012, on va faire face aux mêmes problèmes chaque fois. Considérant à quel point on est près de la mise en application des réformes, il semble logique de profiter des avantages des changements, plutôt que d'essayer de poursuivre le processus avec un système défectueux. »

Les environnementalistes perdent-ils leur temps?

Les groupes environnementaux font carrément fausse route en s'attaquant au processus d'évaluation de l'ONE et au projet de pipeline Énergie Est, croit le professeur titulaire de la Chaire de recherche sur la gestion du secteur de l'énergie de HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau.

Il soutient que bloquer Énergie Est n'empêchera pas l'augmentation de la production de pétrole albertain, compte tenu des autres projets présentement sur la table. Fin novembre, le gouvernement Trudeau a donné le feu vert à deux projets d'oléoducs : le projet de prolongement du pipeline Trans Mountain, qui relie l'Alberta à Burnaby, en Colombie-Britannique, ainsi que celui de la canalisation 3 d'Enbridge, de l'Alberta jusqu'au Wisconsin.

L'élection de Donald Trump laisse également présager que le projet d'oléoduc Keystone XL, dont le tracé traverse l'Amérique de l'Alberta jusqu'au Texas, pourra enfin voir le jour. Toutes des possibilités de faire jaillir plus d'or noir des terres de l'Alberta.

Selon le professeur, le seul combat à mener est celui de la consommation : c'est l'étape qui émet le plus de gaz à effet de serre et c'est aussi le levier qui permettra de mettre un terme à l'industrie. « On consomme du pétrole chaque année un peu plus que la précédente, et la tendance est encore à l'augmentation. S'il y a moins de consommateurs, vous savez quoi? Les producteurs vont se rendre compte que le marché n'est plus là. Ils vont faire d'autres choses. »

Sans consommateurs, les pipelines vont s'assécher d'eux-mêmes. On imagine mal un écologiste le contredire sur ce point.