Lucas (30 ans), infirmier
Lucas : Je suis infirmier depuis une dizaine d’années.Tu peux me résumer la situation actuelle en ce qui te concerne ?
C’est simple : normalement t’es à 1 infirmier·e pour 5 patient·es. Là, dans mon service, on est à 1 infirmier·e pour 12 patient·es. Et la nuit, c’est parfois 1 infirmier·e pour 25 patient·es. On est dans une logique de soins de vitesse, au lieu de prendre le temps de soigner les gens et les écouter.Et ça c’était déjà le cas avant la pandémie ?
Oui, c’est un peu pareil depuis que j’ai commencé à travailler. En France c’est la même chose ; j’y ai travaillé dans le privé et, avec une aide-soignante, j’étais le seul infirmier pour 58 patient·es dans un service de revalidation. On est vraiment sur des chiffres : les dirigeant·es regardent des papiers avec des numéros – et des euros surtout –, plus que des vies humaines. Ça devient assez pesant quand t’es soignant que t’es obligé de finir tard si tu veux faire ton travail correctement, faire les choses proprement comme on aime les faire.
Y’a donc pas eu de déclic de la part du gouvernement ces derniers mois ?Pour te dire, on parlait d’une prime Covid pour les soignant·es qui ont pris des risques – et y’en a qui sont même mort·es –, mais on n’en a jamais vu la couleur. De toute façon, de l'argent OK, mais on veut plutôt des moyens, tu vois ? Une prime c’est bien, mais on veut une revalorisation des métiers de la santé.Ça passe par un rééquilibrage au niveau des budgets par rapport à ce qui est investi dans l'armement, par exemple ?« On laisse les personnes mourir parce qu’on ne peut pas les soigner alors qu’elles ont cotisé toute leur vie ; c’est ça aussi qu’il faut se dire. Au final, le service public, il sert à quoi ? »
Quand tu vois le prix d’un missile, ça doit valoir 20 000 jours d'hospitalisation… Y’a des priorités ; on est sur un population qui vieillit là. On laisse les personnes mourir parce qu’on ne peut pas les soigner alors qu’elles ont cotisé toute leur vie ; c’est ça aussi qu’il faut se dire. Au final, le service public, il sert à quoi ? Les dirigeant·es ont des gros salaires ; OK iels ont fait des grosses études, mais y’a des professionnel·les qui souffrent et qui n'ont pas besoin d’un gros salaire mais de la reconnaissance et des moyens. Juste pour qu’on n’ait pas la boule au ventre quand on va travailler et se dire : « J’ai fait ça de cette façon, et j’aurais pas dû. »
Mouna (41 ans), infirmière et membre du collectif La Santé en Lutte
Mouna : Je suis infirmière depuis 15 ansLa Santé en Lutte, ça existe depuis quand ?
En fait, le mouvement en lui-même est né il y a 1 an et je suis dedans depuis quelques mois, bien avant la pandémie. Les aides-soignant·es ont tou·tes des revendications mais avant, on les avait chacun·e dans notre coin. Là, c'est l'occasion de rassembler les soignant·es, les brancardier·es, les technicien·nes de surface, les médecins et les autres pour revendiquer, lutter.Revendiquer quoi ?
Le refinancement. Principalement. Mais un vrai refinancement, pour éviter toute cette marchandisation de soins et remettre l'humain au coeur.
Il y a quelques semaines, on parlait de 600 millions d’euros débloqués pour les soins de santé.« Quand vous voyez ce qui a été sabré dans les soins de santé ces dernières années, ça se chiffre en milliards, et là on parle de 600 millions d'euros ? C'est juste pas possible, on va jamais pouvoir rattraper les pertes. »
Quand vous voyez ce qui a été sabré dans les soins de santé ces dernières années, ça se chiffre en milliards, et là on parle de 600 millions d'euros ? C'est juste pas possible, on va jamais pouvoir rattraper les pertes. On veut aussi plus de reconnaissance pour ce qu'on fait. On a bien vu lors de cette crise. Les éboueur·ses, technicien·nes de surface, les vendeur·ses des supermarché, les facteur·ices ; il y a beaucoup de métiers à revaloriser.
Lutter avec nous. Être là, comme aujourd’hui.
Justine (35 ans), urgentiste
Justine : Aux urgences de Liège, aussi bien dans l'hôpital que sur le SMUR ou sur l'ambulance.T'as senti une différence au niveau des conditions de travail pendant la pandémie ?
Oui, on nous demandait de travailler à 200% contre une maladie dont on ne connaissait quasi rien. On a vraiment fait tout ce qu'on pouvait pour aider les gens, même avec la peur d'aller travailler. Alors que la plupart des gens étaient confinés, nous, on travaillait avec le même salaire mais dans des conditions insoutenables, à courir partout ; surtout qu’au début, la maladie était très virulente.C’est un sentiment d’impuissance ? De la frustration ?
Personnellement, si c'était à refaire, j'aurais préféré être confinée et rester chez moi en sécurité que d'être obligée d'aller au front, parfois sans arme et contre l’inconnu. On se battait, on faisait tout ce qu'on pouvait pour les gens… Mais on savait que dans la prise en charge des patient·es les plus graves, malgré les bons soins, beaucoup allaient décéder ; et ça, ça a été très compliqué pour nous.
« On faisait tout ce qu'on pouvait pour les gens… Mais on savait que dans la prise en charge des patient·es les plus graves, malgré les bons soins, beaucoup allaient décéder ; et ça, ça a été très compliqué pour nous. »
Niveau moyens, notre hôpital a quand même essayé de faire au mieux. Ça a été un début chaotique pour tout le monde mais je pense qu'iels ont essayé de faire ce qu'iels pouvaient pour nous donner un maximum de moyens pour essayer d'éviter la propagation du virus et traiter au mieux les patient·es. Mais on n'avait pas de recul par rapport à cette maladie. On a fait ce qu'on a pu pour sauver les gens, mais on en a perdu quand même.C'est quoi tes revendications à l’heure actuelle ?
On souhaiterait plus d'effectif, une revalorisation salariale et surtout une reconnaissance et du respect de la part de la population. Maintenant que ça s'est tassé et que le cours de la vie a plus ou moins repris, je sens qu'on s'en fout un peu des soins. Ma plus grande demande, c'est qu'on soit respecté·es, même si la crise est passée.
Régis (23 ans), agent d’accueil
Régis : J’ai travaillé un mois et demi comme intérimaire à section Testing Covid-19 de l’hôpital Saint-Jean, à Bruxelles.Tu faisais quoi ?
Je devais accueillir les gens avec ou sans rendez-vous et les trier en fonction de leurs symptômes pour les tests Covid.T’étais en première ligne en pleine pandémie alors.
C’était moi qui m'occupais des gens en premier, ouais. À combien de personnes j’ai dû annoncer qu’on devait les refuser par manque de place ? Genre j’ai eu quatre frères qui avaient perdu leur père au Maroc et c’est moi qui devait leur annoncer qu’ils ne pouvaient pas passer le test parce qu’on avait pas assez de place, et donc qu’ils ne pouvaient pas retourner au Maroc.
Et toi qui n’a pas évolué dans ce milieu très longtemps, t’as remarqué des manques de moyens ?« C’est pas possible de donner des soins personnalisés dans ces conditions, parce qu’il faut travailler à la chaîne. »
On était clairement en sous-effectif. J’étais parfois seul pour gérer 100 personnes qui attendaient. Je devais aller voir tout le monde, demander leurs symptômes… Forcément, les gens étaient sous tension aussi, donc pas moyen d’être humain : tu dois aller vite. Même les testeur·ses étaient tou·tes occupé·es ; ça trainait parce qu’il n’y avait pas assez de personnel. Le manque d’effectif, ça joue vraiment sur la pression et sur les soins dont les gens vont bénéficier. C’est pas possible de donner des soins personnalisés dans ces conditions, parce qu’il faut travailler à la chaîne. Puis y’a les salaires…Vous en parliez entre vous ?
Moi j’étais que dans le service Testing, mais ouais, il y avait des infirmier·es qui venaient d’autres sections qui me disaient que ça faisait un bail que c’était plus tenable.
Catherine (53 ans), infirmière
Catherine : Je suis infirmière depuis 31 ansLes revendications datent de quand en ce qui te concerne ?
C’est pas la première fois que je manifeste. Ça fait une dizaine d’années qu’il y a des revendications.Ça s’est empiré depuis ?
Oui, ça empire. J’avoue que je ne sais pas où iels mettent leur argent mais c’est en tous cas pas dans les hôpitaux. On est de moins en moins de personnel et du coup, la charge de travail est de plus en plus élevée évidemment. Notre métier, bien qu’on l’aime, est de plus en plus difficile. Il y a pas mal de charges administratives aussi.
Non. On nous a pris·es pour les hero·ïnes, on nous applaudissait à 20 heures, et maintenant on a l'impression que c’est fini ; on ne pense plus à nous. Or, nos revendications existent depuis longtemps. Au plus fort de la pandémie, ça a été parce qu’on a été solidaires entre nous, mais maintenant on veut être soutenu·es par la population pour obtenir ce qu’on revendique depuis des années. On ne demande pas forcément de l'argent ; on veut être plus nombreux·ses sur le terrain pour pouvoir faire notre métier comme on veut le faire. Le salaire, c’est pas le moteur. Ce qu’on veut, c’est plus de temps à consacrer aux patient·es. Autre chose : que ce soit reconnu comme un métier pénible. C’est quand même pas normal de devoir bosser jusqu'à 67 ans dans ce métier.
Ça changerait quoi que ce soit reconnu comme métier pénible ?« On nous applaudissait à 20 heures, et maintenant on a l'impression que c’est fini ; on ne pense plus à nous. Or, nos revendications existent depuis longtemps. »
Une fin de carrière mieux aménagée. C’est aussi une reconnaissance symbolique de la lourdeur du métier, de tout ce qu’on fait. On fait des nuits, on travaille un week-end sur deux…Concernant la reconnaissance de la population, qu’est ce que les gens peuvent faire ? On se sent pas mal impuissant·es en vrai.
Être là à nos côtés en manif par exemple. La population a bien dû se rendre compte pendant la pandémie de l'importance des soins, de l’importance des pharmacien·nes, des médecins, des aides-soignant·es… Au plus on est pour revendiquer, au plus ça aura de poids.Suivez VICE Belgique sur Instagram.