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Les allergies alimentaires ont foutu ma vie en l’air

Comment la peur des cacahuètes a rendu mon existence infernale.
Illustration : Valentine Gallardo

J'ai toujours souffert d'une allergie mortelle aux arachides. Par un miracle que j'attribue à ma mère et à la bouffe chinoise du New Jersey des années 1990, ça n'a jamais affecté mon enfance. Quand mes camarades de classe me demandaient : « Qu'est-ce qu'il se passe si tu manges du beurre de cacahuètes ? », je répondais simplement : « Ma cage thoracique se ferme et je meurs ». Je n'avais encore qu'une conception abstraite de mon allergie.

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Ma première crise s'est déclenchée il y a moins de deux ans, alors que je visitais Berlin. C'était la faute d'une cacahuète accidentelle, un passager clandestin dans le sandwich au pain noir et aux graines de mon mec. Juste après la première bouchée, j'ai réalisé que ma gorge réagissait bizarrement. À partir de ce moment-là, je ne me souviens plus vraiment du reste de ma journée. J'ai juste l'image d'une marche depuis un pont jusqu'à la station de métro la plus proche, dans laquelle je me suis assise un instant et ai tenté d'avaler ma salive. J'ai fini par m'injecter une dose d'épinéphrine dans la jambe, puis il y a eu une décharge d'adrénaline, un coup de fil confus, l'arrivée des secours et enfin l'ambulance. Mais tout cela reste très flou.

« La cacahuète est toujours en vous », m'a précisé dans un anglais teinté d'allemand le dernier docteur que j'ai vu ce jour-là. Si le sens exact de sa déclaration s'est probablement perdu au cours de la traduction, je l'ai quand même prise au pied de la lettre. Après m'avoir transmis l'image rassurante d'une cacahuète logée quelque part dans mon corps, ce médecin m'a prescrit des corticoïdes pendant une semaine – une pratique standard afin d'éviter une seconde réaction allergique.

Aux États-Unis, on estime que 15 millions de personnes sont allergiques à au moins un aliment – soit un enfant sur 13 selon le FARE (Food Allergy Research & Education ). D'après les Centers for Disease Control and Prevention , la proportion d'enfants allergiques a crû entre 1997 et 2011, passant de 3,4 à 5,1%. Cette augmentation significative a été attribuée à toutes sortes de causes, allant de l'hygiénisme généralisé à la pollution en passant par le régime alimentaire des femmes enceintes. Au cours des années 2000, on a conseillé aux parents d'éviter de nourrir les très jeunes enfants avec les allergènes les plus répandus. Aujourd'hui, les médecins considèrent le fait de ne pas donner de cacahuètes aux enfants comme étant la cause du développement d'une allergie.

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Quelle que soit leur origine, les allergies aux arachides provoquent souvent la plus grave des réactions biologiques : l'anaphylaxie. Lors de l'ingestion d'un allergène, le système immunitaire du corps humain identifie à tort une substance comme étant dangereuse. Il l'attaque en libérant des molécules dans le sang, dont l'histamine. Cette dernière provoque des démangeaisons, des éternuements, une respiration sifflante et de l'urticaire – des symptômes pénibles mais non létaux. En revanche, lors d'une anaphylaxie, le corps tout entier entre en guerre. Le système immunitaire de la victime est saturé de molécules au point qu'elle arrête de respirer, s'évanouit, puis meurt.

Les signes avant-coureurs de l'anaphylaxie peuvent être identifiés – difficulté à respirer et déglutir, pouls faible, gonflement du visage et de la langue, maux d'estomac et perte de conscience. Les médecins apprennent aux patients à reconnaître ces symptômes et à s'auto-administrer une dose d'épinéphrine avant d'appeler immédiatement le Samu. Selon le FARE, retarder la prise d'une dose d'adrénaline peut entraîner la mort dans les 30 minutes qui suivent.

Photo via l'utilisateur Flickr euromagic

Quelques mois après ce premier incident, j'ai mangé un sandwich qui avait été préalablement coupé avec un couteau imprégné d'huile d'arachide. Sans attendre, j'ai prévenu un collègue qui m'a emmenée aux urgences où l'on m'a prescrit les corticoïdes dont j'avais besoin. Ces médicaments m'ont rendue paranoïaque et fébrile pendant au moins une semaine.

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J'ai commencé à ressentir les symptômes d'une crise allergique à des moments inattendus. Je me suis mise à prendre du Benadryl – un antihistaminique – comme d'autres prennent du Xanax. Quand je montais dans un train, je ne pouvais pas m'empêcher de fixer les passagers mangeant des cacahuètes.

Ce sentiment de stress constant est assez répandu chez les personnes ayant une allergie grave – tout particulièrement lorsqu'elles ont déjà subi une réaction anaphylactique. Un rapport européen publié cette année dans Chemical Immunology and Allergy insiste sur l'impact que peut avoir une allergie sur « la qualité de vie ». Certaines personnes allergiques se mettent à éviter toute forme d'interaction sociale, et peuvent même sombrer dans la dépression.

À chaque fois que je mange un plat que je n'ai pas préparé, une sensation d'étranglement me saisit au niveau de la gorge.

Un type de 24 ans, allergique aux noix et aux fruits de mer, m'a décrit les effets psychologiques de ses allergies. Quand il était enfant, il était tellement inquiet à l'idée d'être victime d'un choc anaphylactique qu'il se restreignait sur la nourriture. Il a dû suivre une thérapie cognitive pendant des années. Une fois admis à l'université, il a continué à souffrir d'une « angoisse » périodique.

Sloane Miller, spécialisée dans les allergies alimentaires, est l'auteure du livre Allergic Girl : Adventures in Living Well with Food Allergies (« Les aventures d'Allergic Girl : Bien vivre avec des allergies alimentaires »). Selon elle, l'un des plus gros défis à surmonter pour les personnes allergiques vient du fait que cette peur est tout à fait rationnelle. « En tant que professionnels de la santé mentale, nous sommes souvent amenés à gérer des peurs irrationnelles, m'a-t-elle dit. Mais dans le cas d'une allergie alimentaire, mourir en ingérant de la nourriture est possible. C'est un risque réel et la peur qui l'entoure est donc complexe. »

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De plus, les signes avant-coureurs d'un choc anaphylactique sont similaires aux symptômes d'une crise d'angoisse. Du coup, certains patients sont mal diagnostiqués. Ils reçoivent des traitements lourds et inadaptés, puis finissent par confondre une réaction allergique et une crise d'angoisse, et sombrent dans une spirale de stress.

Je ne fais pas exception. À chaque fois que je mange un plat que je n'ai pas préparé, une sensation d'étranglement me saisit au niveau de la gorge. Je me suis d'ailleurs rendue trois fois dans une unité d'urgence de la ville de New York simplement pour avoir l'esprit en paix. L'air vif et aseptisé de l'hôpital me réconforte.

La pire expérience de ma vie s'est produite au cours d'un vol entre Honolulu et New York, d'une durée de 9h30. Ma grand-mère venait de mourir et je rentrais chez moi afin d'assister à ses funérailles. Le simple fait d'anticiper la durée du vol m'a fait fondre en larmes à l'aéroport. J'ai réussi à embarquer, mais lors des trois premières heures de vol, j'étais convaincue d'avoir ingéré un résidu de cacahuète. Je me voyais déjà mourir d'asphyxie au-dessus du Pacifique.

Je me sentais incapable de bouger, séparée des personnes autour de moi par une membrane. J'ai même enregistré un message d'urgence sur mon téléphone qui ressemblait à ça : « Mortellement allergique aux ARACHIDES !!! Choc anaphylactique et asthme. Appelez les urgences. Possible réaction à Honolulu, corticoïdes prescrits pour l'avion. A pris des corticoïdes à 15 heures à Hawaï. A pris un demi Benadryl à 17 heures, sentiment de gonflement dans la gorge et asthme. A pris un demi Benadryl à 18 heures. » Ce n'est que quatre heures plus tard, après avoir pris deux autres Benadryl, mangé une bonne quantité de bonbons et regardé la moitié de Fast and Furious 7, que j'ai réalisé que je respirais sans peine.

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Peu après ce vol, je suis allée voir un nouvel allergologue. Ma détresse émotionnelle devait être palpable car elle m'a tout de suite demandé si j'étais angoissée. J'étais tellement surprise par cette question – et si reconnaissante qu'on me la pose enfin – que j'ai presque pleuré. En près de 30 ans, aucun professionnel n'avait fait mention du stress qu'une allergie alimentaire mortelle peut causer.

« L'angoisse est tout à fait répandue chez les gens souffrant d'allergies comme la vôtre, m'a-t-elle assuré. Ce n'est pas surprenant car dans votre cas, la menace est réelle. »

L'objectif n'est plus de me débarrasser de mon problème de cacahuète, mais de détruire cette peur qui me paralyse.

Aujourd'hui, je réalise que ce vol de plus de neuf heures m'a permis d'évoluer. La situation devenait sans issue, je n'avais plus le choix – si je voulais aller bien, il fallait que je le veuille vraiment. J'ai atterri à New York au petit matin, puis j'ai pris le train jusqu'à ma ville natale, dans le New Jersey, pour assister aux funérailles de ma grand-mère. Les émotions ressenties n'avaient alors plus rien à voir avec mon allergie.

La cacahuète est toujours en vous . Avec le recul, la déclaration du médecin allemand s'est peu à peu transformée en un mantra digne de la sagesse bouddhiste. L'objectif n'est plus de me débarrasser de mon problème de cacahuète, mais de détruire cette peur qui me paralyse. Et puis, quand les respirations profondes et les longues marches ne suffisent plus, il y a toujours le vin pour me soulager.