Palestine Bruxelles
Société

Pourquoi il faut s’opposer aux postures qui déshumanisent la Palestine

Bruxelles s’est rassemblée en soutien au peuple civil palestinien. L’occasion de rappeler que l’absence de prise en compte du contexte fait le jeu des forces réactionnaires.
Gen Ueda
Brussels, BE
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Brussels, BE

Depuis les attaques du Hamas survenues le 7 octobre, on parle à nouveau de Palestine et Israël. Le bilan à l’heure où cet article est publié est de 1 200 morts du côté israélien, 1 050 côté palestinien – c’est le bilan le plus lourd depuis 2014, et surtout, Israël n’a jamais connu autant de morts en une attaque.

Tout d’un coup, toute une partie de la population se mue en disciples de la paix, alors même que des décennies de colonisation et de massacres se sont déroulées sous leurs yeux indifférents. Il semble que dans certains esprits, il n’est de paix que lorsque seule la Palestine souffre. Leur notion de la paix, c’est quand la réaction palestinienne est contenue, grâce à de multiples attaques : Gaza bombardée, des civil·es tué·es, des habitant·es délogé·es… Alors forcément, quand il y a réaction, le terme « terrorisme » est censé nous montrer instantanément qui sont vraiment les méchants, les tueurs d’enfants. 

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Comme le rappelle Alain Gresh dans un article publié il y a quelques jours, « à chaque fois que les Palestiniens se révoltent, l’Occident – si prompt à glorifier la résistance des Ukrainiens – invoque le terrorisme. » Or, ce terrorisme existe-t-il seulement du côté palestinien ? Comme il le dit plus tard dans son texte, c’est « la poursuite de l’occupation qui est le ressort de la violence ». Ça ne veut pas pour autant dire qu’on est insensible aux attaques trash perpétrées contre les civil·es israélien·nes, encore moins qu’on s’en réjouit – faut-il le préciser… Mais tout simplement, certains choix de langage et l’absence de prise en compte du contexte dérangent.

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Dans certains articles, on parle de « personnes tuées » en Israël alors qu’on évoque, dans la phrase suivante, des « personnes décédées » en Palestine. C’est pas anodin. Aussi, on évoque le « conflit », sans parler d’occupation, de colonisation. Sans parler du fait qu’on rend « antisémitisme » synonyme de « antisioniste », nous rendant coupables de défendre la cause palestinienne – même s’il y a de quoi redouter une nouvelle montée d’antisémitisme. Doit-on encore rappeler qu’on peut être pro-Palestine sans haïr la communauté juive, sans être un fanatique du Hamas ? Parfois, les drames dans l’actualité nous font réaliser que rien n’est acquis, visiblement. C’est en tout cas à ce jeu malsain que s’adonnent certain·es, notamment des « influencers » qui traquent en stories les posts pro-Palestine. Bref, on s’indigne pour un côté, l’autre peut crever.

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Quand on se dit adepte de la paix seulement quand Israël est frappé par les attaques, et qu’on pose une lecture uniquement basée sous l’angle de la religion, autant dire qu’on s’en tape de la souffrance des Palestinien·nes. Dans l’émoi, on oublie que la question de la colonisation est centrale. Mais ne pas prendre en compte ce contexte serait faire le jeu d’un État génocidaire. Dans le sillage des éléments de langage utilisés naissent des réactions et des comportements orientés qui légitiment un État criminel et sa rhétorique martiale.

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Comme l’a évoqué l’historienne Stéphanie Latte Abdallah dans le 28 minutes sur Arte, il faut que ces questions puissent être prises en charge – celles de l’horreur des crimes de guerre et de l’occupation des territoires – pour que le sujet de la Palestine ne soit pas utilisé à mauvais escient. « En revanche, si on abandonne complètement cette cause, alors on laisse aussi la place à d’autres à s’en saisir, » poursuit-elle. 

En tant que défenseur·se des droits humains, affligé·e par la situation que vivent les Palestinien·es, on peut vite se voir accusé·e à notre tour de ne se lever que pour un camp, alors que le Hamas produit des atrocités sur la population israélienne. Mais comment prendre position sans évoquer la Palestine quand les manifestations publiques concentrent à elles seules une partialité qu’on n’aurait pas osé imaginer : en reprenant la rhétorique de l’oppresseur, sans un mot pour le peuple palestinien ; en condamnant les attaques du Hamas sans évoquer le projet d’apartheid d’Israël ; en affichant le seul drapeau blanc et bleu sur la tour Eiffel, la porte de Brandebourg ou le bâtiment de la Commission Européenne alors qu’il y a un mois, un drapeau palestinien près de la gare du Midi avait été vite couvert, qualifié d’antisémite.

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Toutes les vies comptent-elles de la même façon ? En début de semaine, Yoav Galant, le ministre israélien de la Défense, a déclaré que les Palestinien·nes étaient « des animaux humains ». Plus précisément : « Nous imposons un siège total contre la ville de Gaza. Il n'y a pas d'électricité, pas de nourriture, pas d'eau, pas de carburant. Tout est fermé. Nous combattons les animaux humains et nous agissons en conséquence. » Comment ne pas se lever aux côtés de la Palestine quand de tels propos sont normalisés ?

Aussi, la violation du droit international que constitue ce « siège complet » conduit au massacre de civil·es à Gaza, dont de nombreux enfants, qui constituent une grande partie des habitant·es. En juin 2022, l'ONG britannique Save the Children rapportait que 80% des enfants dans la bande de Gaza souffraient de détresse émotionnelle. La majorité des mineurs dans l’enclave palestinienne – ou ghetto à ciel ouvert, puisqu’on parle de choisir les bons mots – n’a connu que la vie sous le blocus imposé par Israël il y a près de 15 ans, depuis la prise de contrôle du territoire par le Hamas.

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Alors, s'il est primordial de rappeler que la population israélienne ne peut être assimilée à son gouvernement, cet effet de désolidarisation envers le peuple palestinien a amené les Bruxellois·es à répondre à l’appel lancé par des ONG, des organisations politiques et syndicales de gauche, pour se rassembler devant le bâtiment du Ministère des affaires étrangères le mercredi 11 octobre, en soutien aux victimes civiles de Gaza. Des milliers de personnes se sont réunies pour manifester la légitimité du peuple palestinien à exister.

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Parmi les absent·es du rassemblement, Sanad Latifa, originaire de Gaza et basé en Belgique. « Je sais ce qu'est la guerre », nous confie-t-il. Le photographe, qui a largement documenté la situation dans sa ville, dit avoir perdu beaucoup de ses ami·es et collègues journalistes à cause des bombardements israéliens, mais les frappes de ces derniers jours ont atteint un niveau inédit. « Ma maison se trouve à la frontière, poursuit-il. Je ne sais pas ce qui est arrivé à ma famille. Je n'ai aucune nouvelle. Ça fait 75 ans qu'on nous tue et qu'on nous torture, mais personne n’y porte attention. Chaque jour est un massacre. »

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Au moment où Sanad nous parle, le ministère palestinien des Affaires étrangères et des expatriés annonce qu’Israël a fait usage d’armes au phosphore blanc pour bombarder des zones à l’intérieur de la bande de Gaza. 

Il nous est quasi impossible de maîtriser tous les aspects en jeu dans les débats qu’ouvrent cette situation, mais il faut garder en tête qu’à force de chicaner, subir la parole des médias ou s’engouffrer dans la sombre voie de la haine, il y a le risque d’oublier les personnes qui souffrent, avant que l’indifférence nous gagne. Face aux gouvernements d'extrême droite et aux belligérants, les peuples seront toujours les premiers perdants.

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