Manifestation Palestine Israel Hebron
Photo : Nayef Haslamoun / REUTERS
Société

Biden ou pas, personne n’a l’air de vouloir se bouger pour la Palestine

« Je pense que la solidarité avec la Palestine devrait s'imposer à tout être humain qui se préoccupe des droits humains, de la liberté, de la démocratie, de l'autodétermination. »
Gen Ueda
Brussels, BE

L’arrivée au pouvoir de Donald Trump en 2017 a réduit à néant les espoirs de paix entre la Palestine et Israël. Une mesure trumpienne parmi d’autres : le déménagement en grande pompe de l’ambassade américaine en Israël de Tel-Aviv à Jérusalem en 2018 – l’année du 70ème anniversaire de la proclamation de l’Etat d’Israël –, une manière de concrétiser la reconnaissance de la ville Sainte comme la capitale du pays. En poste à l'ambassade US, David Friedman, fervent partisan de la colonisation et de l'annexion par Israël des territoires occupés.

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Ce seul move illustre pas mal à quel point le mandat de Trump a été catastrophique pour une Palestine qui s’isole de plus en plus. 

Avant Trump, Barack Obama avait fait de la paix israélo-palestinienne un objectif majeur avec, en tête, une solution à deux États. Après huit ans d’exercice, et un projet relégué au second plan par divers événements qui mobiliseront davantage l’administration Obama, on ne retiendra que son incapacité à ratisser un terrain d’entente fertile. 

Vice-président durant ces huit années et officiellement le prochain POTUS, Joe Biden pourra-t-il vraiment lancer des initiatives diplomatiques ? En attendant, la Palestine est lâchée par les autres pays du monde arabe. Les citoyen·nes européen·nes, peut-être lassé·es par ces conflits qui durent depuis une plombe et dont les tenants et les aboutissants sont peu intelligibles pour le grand public, donnent l’impression de moins en moins se mobiliser.

On a parlé à Alain Gresh, ancien rédac chef du Monde diplomatique, fondateur du média Orient XXI et spécialiste du conflit israélo-palestinien. Gresh est notamment l’un des intervenants du documentaire « Le char et l’olivier » de Roland Nurier.

VICE : Trump a été une cata pour la Palestine. Qu’est-ce qu’on peut attendre de Joe Biden ? 
Alain Gresh :
Jusqu'à présent, les États-Unis, tout en soutenant fortement Israël, voulaient garder une espèce de posture de go-between entre Israël et Palestine. Avec Trump, ils ont renoncé à cette posture, notamment en transférant leur ambassade à Jérusalem, en fermant les bureaux de l'OLP à Washington, en coupant les financements à l’UNRWA (le programme des Nations unies pour l'aide aux réfugié·es palestinien·nes dans le Proche-Orient – un financement qui, en janvier de la même année, était passé de 360 millions à 60 millions, NDLR), en proposant un plan fait d'annexion pur et simple, de reconnaissance de la souveraineté israélienne sur la Cisjordanie donc, effectivement, tout ça est un désastre pour la Palestine. 

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De ce point de vue, l'arrivée de Biden ne va pas changer grand chose. Il y a peu de chances qu'il y ait des conséquences sur l'avenir des négociations : d'abord parce que je pense que sa priorité sera l'Iran. S'il réintègre, comme il l'a dit, l'accord sur le nucléaire iranien, il va subir des pressions immenses de la part d'Israël. Il va devoir ouvrir un front intérieur important et il n'aura donc pas envie d'en ouvrir un deuxième concernant la Palestine. L’élection de Biden va changer les choses dans le sens où, selon moi, il va y avoir une la réouverture de l'OLP à Washington, et la reprise du financement de l'UNRWA aussi. Il y aura aussi une reprise de contacts avec l'Autorité palestinienne, mais je ne suis pas sûr que ça aura des effets sur la situation sur le terrain. On va peut-être avoir une amélioration de façade mais je ne pense pas que ça aura beaucoup de conséquences sur la solution du problème palestinien.

« Toute solution de paix nécessite d'imposer des choses à Israël, sauf qu’Israël n'a jamais été aussi à droite, n'a jamais été aussi déterminé à ne rien céder et n'a jamais eu une telle influence sur les partis américains. »

Négocier pour un accord de paix, c’est aussi devoir affronter Israël...
Pour amener le Gouvernement Netanyahou à faire des concessions, il faut des pressions d'une telle ampleur que je ne pense pas que les États-Unis soient prêts à le faire.

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C’est pour ça que Barack Obama n’a pas pu faire grand chose ? D’ailleurs, est-ce que son engagement était vraiment crédible ?
Non. On voit bien qu'il a essayé à un moment mais il s'y est mal pris. Le problème aujourd'hui, c'est que je ne vois pas les États-Unis s'engager dans un vrai bras de fer avec Israël. Toute solution de paix nécessite d'imposer des choses à Israël, sauf qu’Israël n'a jamais été aussi à droite, n'a jamais été aussi déterminé à ne rien céder et n'a jamais eu une telle influence sur les partis américains. Le point positif avec l’élection de Biden, c'est l'émergence d'une aile de gauche au sein du Parti démocrate qui est assez déterminée, mais elle pèse encore très peu aux États-Unis.

« La direction palestinienne n'a pas vraiment de stratégie, elle ne sait pas quoi faire. Elle est coincée entre les pressions américaines, l'indifférence de beaucoup d'États du monde et un rapprochement entre plusieurs pays arabes et Israël. »

C'est quand même une bonne nouvelle pour Mahmoud Abbas...
À Ramallah, je pense que Mahmoud Abbas se réjouit. Il doit pouvoir donner l'impression que quelque chose avance, alors que rien n'avance. L'élection de Biden lui donne d'une certaine manière une bouffée d'oxygène, parce qu’il est dans une impasse totale et que depuis dix ans, il voit sa politique en faillite totale. Ça va peut-être lui donner un peu plus de moyens financiers, mais dans la réalité, l'isolement de la Palestine, même par rapport aux autres pays du monde arabe, montre que leur marge de manœuvre est assez étroite. 

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La direction palestinienne n'a pas vraiment de stratégie, elle ne sait pas quoi faire. Elle est coincée entre les pressions américaines, l'indifférence de beaucoup d'États du monde – y compris européens – et un rapprochement entre plusieurs pays arabes et Israël, qui se fait au détriment de la Palestine. 

On dirait que l'Iran est le dernier pays arabe qui soutient indéfectiblement la Palestine. 
Pour une partie des élites dirigeantes, elles peuvent l'acter : la Palestine n'est pas leur priorité. À supposer qu'elle l'ait déjà été. Ce qui est plus difficile à mesurer, c'est l'impact sur les opinions publiques dans le monde arabe. La Palestine reste, je pense, un sujet important là-bas, mais dans un monde où la liberté d'expression est assez réduite, ça reste difficile à mesurer. Le Centre arabe de recherche et d'études politiques de Doha, qui fait un sondage tous les deux ans sur l'opinion publique, montre quand même qu'il reste un fort sentiment de solidarité avec la Palestine ; mais comment ça peut se transformer en terme de politique, c'est difficile à dire (Selon le rapport sorti en octobre 2020, entre 66% et 94% des répondant·es – selon les pays – estiment que la cause palestinienne concerne tous les pays arabes, et pas seulement le seul peuple palestinien, NDLR.). D'autant plus que la direction palestinienne, comme je l'ai dit, n'a plus de projet. C'est difficile pour ces États de soutenir une cause pour laquelle ils ne voient aucune perspective. 

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Depuis 1967, même dans les années 1980, la perspective était la reconnaissance d’un État palestinien indépendant, aux côtés d'un État israélien. L'OLP a été porteuse de ça. Aujourd’hui, ni l'autorité palestinienne ni le Hamas n'ont de stratégie, sinon une stratégie purement défensive – ce qui ne favorise pas la solidarité dans les pays arabes. Il faut dire aussi qu'en Syrie, en Irak ou au Yémen, le niveau de problèmes internes est tel que les gens ont d'autres préoccupations immédiates beaucoup plus vitales, au sens propre : survivre et reconstruire le pays. 

« La position des gouvernements européens par rapport à la Palestine est lâche. Ils n'osent pas prendre position malgré tout ce qui se passe sur le terrain. »

On peut espérer que c’est une question de temps ? 
On n'assiste pas à une mobilisation importante de la rue pour l'instant, mais ça peut revenir aussi. C'est toujours difficile à savoir parce qu’on est, dans le monde arabe, au cœur d’une période particulièrement répressive. De ce point de vue, le monde arabe des années 2000, avant le Printemps arabe, paraît aujourd'hui comme un oasis de démocratie par rapport au monde arabe d'aujourd'hui.

En Europe, les mobilisations sont plutôt confidentielles…
Du point de vue des mobilisations internationales, BDS (« Boycott, Divestment and Sanctions » est un mouvement international qui vise au boycott d'Israël, NDLR.) a permis certaines formes de mobilisations mais ça reste encore à un niveau très limité. Si on prend les gouvernements européens, leur position est lâche par rapport à la Palestine. Ils n'osent pas prendre position malgré tout ce qui se passe sur le terrain.

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Les gouvernements européens appréhendent tant les États-Unis ? 
Il y a plein d'éléments qui entrent en compte. Il y a évidemment la pression américaine. Et puis il y a tout le concept de guerre contre le terrorisme qui a complètement modifié notre vision du conflit israélo-palestinien, avec tout le discours d'Israël qui dit lutter contre le terrorisme. Ce genre de discours trouve beaucoup plus d'écho chez nous maintenant qu'il y a vingt ans. On l'a vu au moment des attaques contre Charlie Hebdo : des responsables politiques en France ont affirmé qu'on devrait s'inspirer des méthodes israéliennes. Il y a tout un travail de lobbying israélien extrêmement bien organisé, avec des visites ou des publications – pour lesquelles la Palestine ne peut rien. Tous ces éléments comptent dans un affaiblissement relatif de la solidarité internationale avec la Palestine.

« On est dans une situation d'apartheid. »

S’il faut oublier nos gouvernements, qui pourrait encore avoir du pouvoir au niveau international ? 
L'ONU est ce qu'en font ses États membres. Quand on sait le poids que pèse les États-Unis dans l'ONU... Même les alliés traditionnels comme la Russie ou la Chine ne font pas vraiment pression. Ces pays font des déclarations mais on sait que les relations bilatérales entre la Russie et Israël sont excellentes, et les relations personnelles entre Poutine et Netanyahou aussi, donc il n’y a pas vraiment de raisons pour que le gouvernement israélien cède. Ce qui peut avoir un rôle, c'est la Cour pénale internationale, parce que ça me semble être l’un des lieux sur lesquels on peut s'appuyer pour condamner une politique qui est, à mon avis, une politique d'apartheid. 

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On parle donc bien d’apartheid.
On est dans une situation d'apartheid, de fait. C’est-à-dire qu'on a un territoire qui est géré par une seule puissance avec deux populations qui vivent sous des lois différentes, et ça se traduit par des confiscations de terres, la colonisation, des crimes de guerre, voire des crimes contre l'humanité. Il y a des recours qui ont été fait devant la cour pénale internationale. 

« Je pense que la solidarité avec la Palestine devrait s'imposer à tout être humain qui se préoccupe des droits humains, de la liberté, de la démocratie, de l'autodétermination. Mais bon, ça c'est ma position, et elle est liée à ma propre histoire, y compris militante. »

Attendre autant des États-Unis ou des instances internationales, c'est faire aveu de l'impuissance du peuple palestinien...
Ce qui favorise cette démobilisation, c'est la division interne. La division entre le Fatah et le Hamas fait qu'il n’y a plus de représentants du peuple palestinien. L'autorité palestinienne ne représente pas le peuple. La réalité, c'est qu'il y a aujourd’hui deux autorités, une à Gaza, une à Ramallah – et tout le monde a peur de perdre une partie de son pouvoir. Pour l'instant, toutes les déclarations sur l'unification, à propos du Hamas qui rejoindrait l'OLP, sont des déclarations sans lendemain. C'est sûr que s'il y avait une dynamique d'unification, que la population souhaite vraiment, ça pourrait apporter quelque chose de positif. Je pense que, quelque part, la solution ne viendra que du peuple palestinien lui-même. Il faut qu’il fixe ses stratégies. Un atout important, c’est que sur le territoire historique de la Palestine, il représente la moitié de la population. Malgré toute sa volonté, Israël n'a pas été capable de les expulser. Il y a quand même une certaine sympathie à l'échelle internationale aussi. Maintenant, comment transformer ça en un vrai mouvement ? Je n'ai pas de réponse. 

Au final, qu’on soutienne la cause palestinienne ou pas… Les opinions publiques peuvent jouer un rôle mais c'est difficile. À terme, le combat est entre leurs mains. Le soutien au peuple palestinien sera d'autant plus important quand il aura une cause qui sera claire et qui unira leur peuple. Mais je pense que la solidarité avec la Palestine devrait s'imposer à tout être humain qui se préoccupe des droits humains, de la liberté, de la démocratie, de l'autodétermination. Mais bon, ça c'est ma position, et elle est liée à ma propre histoire, y compris militante.

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