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Mike Ranta : Il me semble que c'était en 2012, je ne me rappelle plus très bien. Par contre, je me souviens de l'angoisse que j'ai ressentie. Sans aucun conseil, je savais que c'était au-dessus de mes forces, mais je ne me voyais vraiment pas abandonner – je n'ai pas trouvé de bonne raison de ne pas le faire. Et heureusement, car je n'ai jamais fait de meilleur choix dans ma vie. Je n'aurais jamais pu imaginer toutes les choses que j'ai vues grâce à ça. C'était comme si je retombais en enfance et que je faisais l'école buissonnière.Je me souviens avoir tout préparé en urgence. C'était quitte ou double. Je voyagerais à travers différentes villes, je découvrirais des lieux inconnus, en repoussant à plus tard le moment où j'observerai le chemin parcouru sur une carte.
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J'ai passé l'année dernière à voyager et à entreprendre de nouvelles expériences. J'ai vendu à peu près tout ce que je possédais, excepté quelques vieux appareils photo et des jeans Levi's que je ne pouvais me résoudre à jeter. J'ai laissé les bons et les mauvais souvenirs derrière moi, à Phoenix, pour aller vers le nord. Je ne sais pas vraiment combien de milliers de kilomètres j'ai pu parcourir, ni dans combien de train j'ai sauté, mais je garde en mémoire chacune des personnes que j'ai rencontrées. En particulier ce mec, Hank, que j'ai rencontré au nord de la Californie. J'étais persuadé qu'il me planterait dans mon sommeil, au beau milieu de la forêt.Que s'est-il passé ?
Je pensais sincèrement qu'il allait me faire du mal. C'était probablement la première fois que j'éprouvais ce sentiment. Il m'a abordé au moment où j'allais m'allonger dans mon duvet. Il s'est mis à me poser plein de questions – qui j'étais, d'où je venais, etc. Le soleil venait de se coucher, mais il ne semblait pas vouloir partir. Finalement, je lui ai dit que j'étais fatigué et que j'avais besoin de dormir. Il a hoché la tête et s'est enfoncé dans l'obscurité des bois sans lampe de poche. Je me suis enfoncé dans mon sac de couchage et je n'ai dormi que d'un œil, avec mon couteau à portée de main. Le plus drôle dans tout ça, c'est que je suis sûr qu'il a dormi comme un nouveau-né après avoir compris que j'avais plus peur de lui qu'il n'avait peur de moi.
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J'avais une très mauvaise image des gens qui sautaient dans les trains avant que je ne les rencontre pour de vrai. Comme j'ai passé mes années de lycée dans une banlieue un peu difficile, je me suis retrouvé dans pas mal de bagarres, j'ai vu deux agressions à l'arme blanche, et j'ai perdu un pote dans une fusillade. Quoi qu'il en soit, vous pouvez voyager de la sorte en toute sécurité si vous vous débrouillez bien. Bien entendu, il peut toujours se passer quelque chose, comme partout. Mais dans l'ensemble, avec un peu de présence d'esprit, on s'en sort très bien. Les plus grands dangers viennent du train lui-même. Il peut te couper en deux. Si vous êtes trop fatigué et que vous prenez le risque de sauter sur un train parce que vous en avez marre de croupir dans un fossé, je ne vais pas vous arrêter. Pour ma part, j'attendrais le suivant.Quelle est la personne la plus intéressante que vous ayez rencontrée ?
J'ai rencontré beaucoup de gens passionnants. Des sans-abri de 50 ans qui se mettaient à voyager clandestinement, ce qui changeait radicalement leur vie. Beaucoup de jolies filles aussi – je suis tombé amoureux plusieurs fois. J'ai trouvé le voyageur clandestin lambda bien plus intéressant que n'importe quel autre individu que l'on peut croiser dans un bar. Les gens viennent de partout pour une multitude de raisons, mais tous ces voyageurs ont une histoire à raconter.
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Beaucoup de choses se sont passées, mais je ne peux pas parler. J'ai un paquet de choses à raconter à mes amis : des accidents évités de justesse, des histoires de pizza volées ou de branlette vagabonde ; pas mal d'anecdotes bizarres. Mais aussi des trucs tarés que j'aimerais bien oublier, et que je ne me vois pas raconter.Pendant votre voyage, vous est-il arrivé de vous identifier à un écrivain, un artiste ou un aventurier ?
J'ai vraiment essayé d'être moi-même. Chacun peut devenir ce qu'il veut sur les rails – je connaissais d'ailleurs à peine le vrai nom de mes amis les plus proches – mais, en définitive, les gens se contentaient d'être eux-mêmes. Je m'identifiais plutôt à ces désirs qu'ont les gens de réaliser une chose qu'ils n'ont vu qu'en rêve, comme Chris McCandless ( Into the Wild) qui abandonne sa caisse et poursuit sa route comme si de rien n'était. Je pensais que ce luxe n'était réservé qu'à certaines personnes. En y réfléchissant bien, je pourrais dire qu'à un moment ou un autre, je me suis senti comme l'un d'eux : complètement à la dérive, mais avec l'impression d'être le roi du monde.Comment avez-vous su quand vous arrêter ?
C'est une question d'équilibre – quand vous sentez que vous n'en pouvez plus, c'est qu'il faut arrêter. Cet été, un train est passé et je n'ai pas voulu monter à bord. Je l'ai simplement regardé s'éloigner sur les rails, et j'ai compris que mon été était terminé.
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Durant cette expérience, l'aspect photographique était complètement accidentel. Je n'ai jamais voulu le contrôler. Lors de mon premier voyage, j'ai pris mon appareil ainsi qu'un stock de pellicules noir et blanc car je savais comment les développer moi-même. Je savais aussi que j'étais en mesure de récupérer assez de matériel pour la chambre noire dans une boutique d'occasion à moindre coût, et que je pouvais acheter les produits chimiques en ligne. Mais quand j'ai commencé à prendre des photos, je ne pouvais plus m'arrêter. Tout était tellement incroyable, et je voulais aussi montrer à mes amis à quel point je m'amusais. Lorsque je les ai finalement développés, je me suis rendu compte que certains clichés valaient le coup d'être montrés. Dès lors, j'ai continué de prendre des photos pour mes potes, tout en sachant que de belles choses pouvaient en ressortir.
J'essaie de ne pas laisser mon interprétation influencer mes photos. Je considère mon travail comme du photojournalisme, pas comme de l'art. Mais, comme Dorothea Lange et d'autres photographes de la WPA ( Work Progress Administration), je choisis méticuleusement les moments que je capture.J'ai beaucoup hésité avant de dévoiler ces clichés. Beaucoup de gens souhaitent que ce mode de vie reste discret. En fin de compte, j'étais fier de faire partie de cet héritage américain, et je voulais que les gens comprennent pourquoi. J'ai donc décidé de les montrer. Voici ce qu'on fait pendant que vous bossez.Peter Brown Hoffmeister est l'auteur de trois ouvrages, dont le plus récent est le roman Graphic the Valley. Il vit avec sa famille à Eugene dans l'Oregon. Suivez-le sur Twitter.Découvrez le reste du travail de Michael Ranta sur son site..