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LE NUMÉRO BEHREN

Malgré lui

PROPOS RECUEILLIS PARLA RÉDACTION DE VICE

PHOTOS: MACIEK POZOGA

De 1940 à 1945, 130 000 jeunes Alsaciens et Mosellans ont été incorporés de force dans l’armée allemande, après l’annexion de ces régions par le IIIe Reich. 40 000 ont été retenus en captivité dans les camps soviétiques. 20 000 autres ont été portés disparus. 20 000 sont morts, la plupart sur le front russe, en portant malgré eux l’uniforme SS. On les appelle les «Malgré-nous».

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Pourquoi on vous raconte tout ça? Parce que Marius, l’adorable grand-oncle d’Olivier, était l’un d’entre eux.

Marius devant sa maison. Marius a 81 ans. Il a vécu soixante ans dans cette rue dont chaque maison appartenait aux Houillères du Bassin de Lorraine. «C’était des logements conçus pour quatre familles. Avec ma femme Odile et ma belle-mère, nous logions dans trois pièces. Il n’y avait pas encore de salle de bain et les WC étaient dans le jardin. Il y avait une fosse que tu devais vider toi-même, elle faisait presque deux mètres de profondeur. Si tu tombais dedans, c’était fini pour toi!»

Marius devant ses photos. Marius avait quatorze ans quand les Allemands ont envahi la région: «En 1941, avec un copain, on est allé trouver un serrurier qui avait des petites pièces de monnaie avec la Marianne française gravée sur l’envers. On les a soudées à une petite épingle qu’on a accrochée aux revers de nos vestes. On s’est promenés comme ça, avec un béret sur la tête dans tout le village. On est tombé sur des gens de chez nous engagés dans la SA. Il y en a qui m’a donné une claque derrière la tête tellement forte que le béret a valdingué à je ne sais pas combien de mètres. Il m’a dit: «Tu m’ôtes ça tout de suite!» Le lendemain après-midi, mon père m’a dit: «Tu sais ce que j’ai pris à cause de toi?»

Marius devant son ordre d’incorporation. En 1943, Marius a été «incorporé de force dans le Reich Arbeits Dienst (service du travail du Reich). «J’ai été enrôlé comme porteur de munition sur le front. On était obligé de se battre contre les Américains. Dans ce temps-là, on n’a même pas réfléchi, on n’avait pas le courage d’ouvrir la bouche, parce que celui qui rouspétait pfutt…Parti! On ne le revoyait plus.». Après l’Armistice, «on avait encore l’uniforme allemand et l’on nous a conduits de la Hollande jusqu’à Lille où l’on nous a triés et donné des habits civils. Il a fallu trois témoins pour prouver qu’on avait bien été incorporés de force.»

Marius devant son buffet. Avant la guerre, Marius était apprenti menuisier. «Le buffet, c’est moi qui l’ai fait. J’aurais bien voulu être ébéniste. Mais quand je me suis marié, la loi des Houillères stipulait que, si une fille de mineur épousait un homme qui ne travaillait pas à la mine, elle était obligée de quitter le logement donné à sa famille par la mine. Alors, moi aussi je suis descendu au fond. De toute façon, la paie de menuisier était beaucoup trop maigre.»

Marius raconte les mines. «La vie dans les Houillières était monotone. Mais on était heureux, on avait du travail, on avait à manger. Je partais au puits à cinq heures du matin, jusqu’à quatorze heures. Je passais l’après-midi dans mon tout petit atelier. J’ai fait une table, les chaises c’est ma femme qui les avait. C’était le bon temps, mais malheureusement, les mines ont dû fermer. Le rendement ne suffisait plus à payer les machines et les ouvriers. Et puis l’État a passé des contrats avec l’Allemagne la Pologne ou la Chine, où le charbon revient dix fois moins cher que celui qu’on creusait nous. Aujourd’hui, si je devais revenir au point de départ, je recommencerais de nouveau de la même façon.»