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Des entreprises de sécurité privées ont fait dérailler les audiences publiques sur Énergie Est

Et le gouvernement fait de plus en plus appel à elles.
Crédit photo: Paul Chiasson / La Presse Canadienne

Des entreprises de sécurité privées embauchées pour assurer la sécurité lors d’audiences publiques étaient mal préparées et les manifestants sont parvenus à perturber des audiences publiques, selon un rapport interne soulignant les problèmes qui surviennent quand le gouvernement compte de plus en plus sur des entreprises de sécurité privées.

Les agents de sécurité, qui avaient été embauchés par l’Office national de l’énergie (ONE) en vue des consultations publiques sur le projet d’oléoduc Énergie Est en 2016, n’avaient pas jugé bon se présenter à une rencontre préparatoire de coordination. Un manque de compréhension des rôles et des responsabilités des entités responsables de la sécurité en a résulté.

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De plus, selon le rapport gouvernemental obtenu en vertu de la loi sur l’accès à l’information, comme des agents de sécurité n’avaient pas leur oreillette, les manifestants entendaient les communications entre les agents de sécurité. En raison des perturbations, les représentants de l’ONE ont été forcés de quitter les lieux avant la fin de la rencontre.

Ce travail peu reluisant des agents de sécurité soulève des questions sur l’utilisation croissante par le gouvernement d’entreprises de sécurité privées, estime un criminologue qui s’est intéressé à l’enjeu.

Jeffrey Monaghan, de l’Institut de criminologie et de justice pénale de l’Université Carleton, dit qu’il y a aujourd’hui quatre fois plus d’agents de sécurité à l’emploi d’entreprises privées que de policiers au Canada, résultat d’une forte croissance depuis les années 70. « Cette croissance de la sécurité privée est une source d’inquiétude considérable », estime Monaghan.

Le fil des événements

Le matin du 29 août 2016, les manifestants se sont rassemblés à l’extérieur d’un centre de conférences de Montréal où allaient se tenir les audiences publiques sur l’oléoduc proposé pour transporter du pétrole brut des sables bitumineux de l’Alberta à Saint-Jean au Nouveau-Brunswick.

Malgré la présence d’agents de sécurité dans la salle, la militante Alyssa Symons-Bélanger et une dizaine d’autres manifestants sont entrés. « Il y avait beaucoup d’agents de sécurité, mais ça a pris 30 minutes avant qu’ils commencent à nous sortir », a dit à VICE Symons-Bélanger.

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Avant les audiences, les policiers estimaient que le risque que la rencontre soit perturbée par des manifestants était élevé, note-t-on dans le rapport du gouvernement, rendant le manque de préparation encore plus confondant.

« Après l’incident à Montréal, l’ONE a annoncé qu’il suspendait les audiences jusqu’à nouvel ordre », poursuit-on. Les manifestants pouvaient crier victoire.

Puis TransCanada, la société derrière le projet d’oléoduc, confrontée à une opposition croissante, des contraintes environnementales et réglementaires, a depuis mis fin à son projet.

« Leçons apprises »

En réaction aux problèmes causés par le recours à des entreprises de sécurité privées lors des audiences, un porte-parole de l’ONE a dit que l’organisme « s’engage à s’améliorer continuellement ».

« Nous avons mis en application les leçons apprises lors de nos expériences passées », a répondu par courriel à VICE Marc Drolet. Cependant, interrogé à ce sujet, il n’a pas précisé ce qui a mal tourné le 29 août ou si l’ONE continuera à travailler avec les entreprises de sécurité privées qui ont commis les bourdes. L’ONE a dépensé près de 300 000 $ en sécurité privée l’an dernier, dit Drolet.

Deux entreprises avaient été embauchées pour assurer la sécurité lors des audiences publiques à Montréal : IGS Sécurité, une entreprise montréalaise, et Presidia Security Consulting, basée à Ottawa.

IGS Sécurité, qui offre aussi des services de nettoyage commercial, a fourni les agents en uniforme; Presidia, qui compte dans ses rangs d’anciens agents de la police militaire possédant une expérience internationale considérable, a fourni des consultants, précise-t-on dans les documents. Ni IGS ni Presidia n’ont répondu à nos demandes répétées d’entrevue.

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Manque d’information

Le nombre d’incidents survenus alors que des agences gouvernementales font appel à des entreprises de sécurité privées n’est pas connu. Par courriel, une porte-parole de Sécurité publique Canada a répondu à VICE que « chaque ministère est responsable de la sécurité de ses employés, de ses biens et de ses services. Sécurité publique Canada ne compile pas les dépenses en sécurité privée des ministères fédéraux. »

Le gouvernement a aussi cessé de comptabiliser le nombre d’agents à l’emploi d’entreprises de sécurité privées, rendant plus difficile l’élaboration de politiques adéquates pour résoudre les problèmes, et ce, même si l’on compte de plus en plus sur le secteur privé, selon des criminologues interrogés.

La raison de la transition vers la sécurité privée est en grande partie l’argent, selon Monaghan. Il deviendrait trop coûteux de faire appel à des policiers pour certains services, en raison de leurs salaires.

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La sous-traitance de la sécurité donne aussi au gouvernement la possibilité de se déresponsabiliser quand les choses tournent mal, car il peut alors rejeter la faute sur l’entreprise, estime le criminologue. Contrairement à la police, les entreprises de sécurité privées ne sont pas soumises à la loi sur l’accès à l’information et à d’autres mesures législatives visant à accroître la transparence en matière de sécurité. « Nous avons déjà du mal avec la supervision de la police, dit Monaghan. Privatiser davantage la sécurité serait aller dans la mauvaise direction. »