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Musique

Qui êtes-vous, les gens de la vente aux enchères Claude François?

On peut chier tant qu’on veut sur Claude François, il n’en reste pas moins le plus grand chanteur de variétés de tous les temps.

On peut chier autant qu’on veut sur Claude François, il n’en demeure pas moins le plus grand chanteur de variétés de tous les temps. On peut insister sur la présence d’énormes daubes à son répertoire, on peut dire qu’un nombre important de ses morceaux sert de bande son aux pires mariages de la Terre, on peut également préférer Brassens en tant que « figure majeure de la chanson à textes », OK. Mais sachez un truc : ce n’est pas ce moustachu au pull qui gratte qui a enregistré dans les studios Motown, écrit « Comme d’habitude » et vendu son morceau à Elvis Presley ET à Sinatra.

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Claude François est une légende qui, même mort, mobilise une armée de l’ombre impressionnante. Des milliers de soldats de tout âge – même s’il y a, en effet, une majorité de vieux –, parfois ennemis – une tension semble exister entre Belges et Français qui s’auto-accusent de la récente profanation de la tombe –, se retrouvent ponctuellement autour de dîners-spectacles animés par d’anciennes Clodettes au Moulin de Dannemois, résidence de Claude François, ou lors de rendez-vous dédiés au Boss plusieurs fois par an. Parmi ces derniers, la vente aux enchères Claude François est l’un des plus réputés.

C’est pourquoi en ce samedi matin de mai, la foule était dense tandis qu’on attendait devant la porte. L’un des employés de Drouot nous l’a confirmé : « C’est la première fois qu’on voit ça ici. » Au loin, un mec faisait des affaires : en jogging, il vendait des DVD de la star aux curieux. Alors qu’on s’apprêtait à entrer, je me souviens d’avoir senti des souffles énervés dans ma nuque tandis que je fendais la foule en brandissant le pass presse accordé par le département communication de la maison des ventes. Grâce à ce dernier, j’ai assisté à la vente dans la salle principale tandis que les groupies de Cloclo, elles, devaient se contenter de l’annexe. La commissaire des ventes l’avait pourtant répété : il fallait réserver sa place.

Manque de bol, il n’y avait pas plus d’espace à l’intérieur. Marcelle et Mauricette, deux femmes d’âge avancé – et habillées pareil, l’une avec un pull rose et l’autre un pull violet – se plaignaient (à raison), en gueulant, des nombreuses personnes qui les empêchaient de voir. De mon côté, j’étais assise sur l'estrade, à l’arrière, entourée de vrais journalistes, jeunes loups ou vieux habitués qui avaient dû merder à un moment ou à un autre pour se retrouver là un samedi après-midi. Quelques fans m’entouraient, debout pour Claude, choisissant le meilleur point de vue pour scruter les pièces dont ils n’avaient pas les moyens de faire l'acquisition.

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Tout devant, applaudissant des deux mains, on pouvait repérer les gros acheteurs. De leur côté, les gens autour de moi me parlaient du fils des propriétaires du Moulin, prétendument venu ici pour récupérer les poignées de porte. À la mort de Cloclo, on avait en effet pillé sa résidence et chouré les poignées en bronze portant ses initiales. Pas pour le prix du métal ; juste parce qu’Il les avait touchées. C’est d’ailleurs pourquoi elles sont parties quelques heures plus tard à 4 620 euros pièce, sous le nez du fils du proprio. Derrière, on entendait s’élever des voix : « C’est pour le Moulin quand même ! »

En discutant avec les fans, ces derniers m’ont confirmé la venue imminente de trois Clodettes d’époque ; « Elles vont venir, c’est sûr. » Pourtant, c’est le chanteur Jean-Luc Lahaye qui nous a fait grâce de sa présence, même si visiblement, personne ne l’attendait. Puis soudain, un frisson a traversé la salle : les chaînes d’info qui m’entouraient se sont mises à s’exciter à la vue d’un quadragénaire bizarrement familier. « C’est l’un des fils François ou pas ? » Avec mon voisin groupie, on a levé les yeux au ciel. Sérieux les mecs, tout le monde connaît le visage de Claude Junior et Marc. Ça, c’est un sosie. Duh.

Attendant impatiemment le début des ventes, je me suis retrouvée à taper le bout de gras avec mon entourage immédiat. Les gens étaient sympas, ressemblaient tous plus ou moins aux profs de gym de mon collège, sauf qu’ils avaient une passion en commun, à savoir un mec mort il y a 35 ans qui ne les a jamais connus. Je discutais, ouais, mais en couvrant mes arrières, prête à prétexter quelque départ urgent. Le matin même, à la présentation, je m’étais déjà fait prendre au piège par un mec qui m’avait déballé pendant un quart d’heure une collection d’anecdotes toutes plus chiantes les unes que les autres  – saviez-vous que Dalida avait veillé trois nuits de suite le corps sans vie de Claude ? DINGUE.

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Plus loin dans l’assemblée, le président de l’Amicale Claude François d’Aquitaine avait l’air bien plus relax. En discutant avec lui, il a fini par sortir de son sac une tablette qu’il m’a tendue d’un air entendu. Sur celle-ci, on pouvait voir plusieurs dizaines de photos de chez lui, et particulièrement de la pièce qu’il consacre intégralement à Cloclo. « L’AFP est déjà passée chez moi. Ils ont pris des clichés de mon mausolée. » Tu m’étonnes. J’ai bien hésité deux minutes à lui demander un WeTransfer de son trésor numérisé, avant de me résigner, m’interrogeant – à raison – sur ce que je pourrais bien en foutre.

Alors qu’une clochette résonnait, j’ai pris le temps de regarder ma montre : 14 heures. La vente allait commencer. Pour de vrai. Le commissaire est donc arrivé, en faisant une blague (sauras-tu la retrouver ?) et se préparant physiquement et mentalement à un long après-midi. Si lui le savait, pour nous, ce n’était pas encore le cas. Il allait en effet falloir quatre heures pour que les 200 lots trouvent preneur.

L’intégralité de ceux-ci est partie à des prix dingues. Un gamin – il devait avoir 12 ans – loin devant en polo rose et badge à l'effigie du Boss, tendait sporadiquement la main vers le ciel. De cette manière, il raflait de nombreux trucs inutiles tandis que son père, à côté, essayait de réfréner ses achats compulsifs. Lui, le père, voulait tout, et a fini par repartir avec – notamment – la brosse à cheveux que Claude utilisait régulièrement lors de ses déplacements (1 400 euros) et plusieurs notes de service où le chanteur insultait copieusement son entourage (passage préféré: « Avec mon mépris, vous aurez mon poing dans la gueule qui que vous soyez, quelque muscle que vous puissiez transporter, quelle que soit la connerie que vous puissiez afficher. Avec le plus grand mépris du monde, Votre Claude François. »)

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Le rêve de fan, quoi. Plus tard, une veste partira à 36 850 euros, et sa montre Cartier, laissée un funeste jour de mars 1978 sur le bord d’une baignoire boulevard Exelmans alors qu’il était occupé à bidouiller une applique murale – ainsi que le veut la légende –, s’envolera à 23 735 putains d’euros.

Pendant ce temps, autour de moi, les gorges des fans middle-class se serraient. Les prix étaient tous prohibitifs, et je me demandais intérieurement qui était en mesure de foutre autant de blé dans des mèches de cheveux (il y en avait deux à la vente, accompagnées de leur certificat ADN) alors que je paie chaque semaine mes courgettes au Franprix avec des tickets resto. Bref ; questions impures pour une fan, vraisemblablement dues à ma fatigue physique. À ce moment-là, j’étais depuis déjà trois heures debout, dans une chaleur étouffante. Partout, des affiches de Cloclo, dont le regard semblait se tourner vers moi pour me soutenir dans cette épreuve d’endurance. Je commençais déjà à envisager le retour lorsque j’ai vu une main passer, à ma droite. Un mec d’une quarantaine d’années venait de réussir à choper des brouillons de morceaux écrits par Claude. Son petit ami le contemplait, content qu’il ait pu réaliser son rêve, même aux alentours de 800 boules. J’ai trouvé ça super chou. Du coup, je suis restée.

Grâce à ma patience, je n’ai pas raté le seul moment érotique proposé par la vente. Cloclo, salaud au possible, avait en effet monté un magazine un peu cul en 1974, Absolu, auquel il participait en tant que photographe sous le nom d’emprunt de « François Dumoulin ». Un ami esthète m’avait d’ailleurs précédemment confié que ses clichés n’étaient pas si mauvais, bien que copiant largement le style Hamilton et son délire nymphettes à peine majeures. Les 3x240 diapositives et les droits d’exploitation ont pourtant fini par partir mais, comparé au reste, à un prix ridicule. Claude François était certes un précurseur, mais quarante ans plus tard, aucun de ses fans ne cherche à afficher des meufs à poil dans son salon. Déception. L’espace d’un instant, j’ai hésité à prendre un crédit à la consommation pour me procurer ce batch certifié sexy et sortir une rétrospective pour devenir – en disons, deux ans – multimilliardaire. Les éditions Taschen pourraient-elles être intéressées ? Sans doute.

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À 17h30, après de longues heures de crispation, d’achats compulsifs et de larmes, la vente aux enchères se clôturait. Visiblement épuisée, une dame acceptait pourtant de se faire interviewer par des médias régionaux. « Je suis partie de Bruxelles ce matin à cinq heures, et je m’apprête à repartir bredouille. De toute façon si j’avais gagné l’une des enchères, j’aurais offert l’objet au Moulin ! »

Derrière moi, ça grognait. Je pense surtout au vieux à la chemise ouverte sur un torse poivre et sel dont la femme tripotait allégrement, depuis plusieurs minutes, les vestes en exposition. C’était en réalité leur yorkshire, dissimulé dans le tissu soyeux. Alors que je réinjectais du sang dans mes jambes à coups de brimades sur mes membres en direction de la sortie, j’essayais, tant bien que mal, d’évaluer le total de la vente. Le résultat sera au-delà de tous mes calculs : 213 600 euros dépensés par d’ardents défenseurs d’un univers qui n’existe plus, aux couleurs yéyé et à la bonne humeur déprimante. Un monde matérialisé par ce mec autoritaire en costume à paillettes, mort bêtement au sommet de sa gloire parce qu’il ne supportait pas de côtoyer la médiocrité, jusque dans les luminaires de sa salle de bains.

Marine est le boss de Retard Mag, un truc de meufs plus ballzy que tous les mecs de VICE France réunis

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