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Musique

Le festival Punk Island 2013 m’a appris plein de trucs sur l’état du punk en 2013

Le type assis devant moi, mohawk verte couleur LSD de 60 centimètres sur le crâne et tatouage TRUTH au-dessus du sourcil gauche, est sans conteste le meilleur skanker de tous les kids punk du coin.

Le type assis devant moi, mohawk verte couleur LSD de 60 centimètres sur le crâne et tatouage TRUTH au-dessus du sourcil gauche, est sans conteste le meilleur skanker de tous les kids punk du coin. Il gesticule, l’air renfrogné, devant un groupe de hardcore random, les Idles. La mention « FUCK COPS » est écrite sur sa Ranger droite. Le bas de son pantalon tartan comporte trois ourlets et il continue de danser, torse nu. Il se jette çà et là et balance ses poings en direction des buildings de Manhattan. Il skanke tout autour de la jetée abandonnée, ancienne propriété des gardes côtiers, à côté du port. On est à Staten Island, New York, dans un festival gratuit étalé sur 24h, le Punk Island 2013.

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Sept scènes accueillent une centaine de groupes punk, ou plus ou moins : il y a aussi du sludge, du powerviolence, du post-hardcore, quelques groupes emo et une quantité surprenante de banjos, de washboards et de guitares acoustiques. Un énorme bateau de croisière navigue au loin. Un gars, qui frappe le sol de ses deux pieds, déploie un total look hardcore early-90s, filtré, peut-être, par plusieurs éléments de realness à destination des touristes culturels qui voudraient lui voler son attitude. Le gars à la mohawk verte couleur LSD danse à présent autour d’un enfant de 12 ans en pantalon camouflage, bretelles, boules Quies dans les oreilles et coiffé lui aussi d’une mohawk. Il tape dans ses mains avec enthousiasme. Quatre officiers de police tuent le temps sur leur portable une quarantaine de mètres plus loin. Ils pourraient difficilement en avoir plus rien à foutre.

36 (37 ?) ans après sa naissance, le « punk » n’a jamais été aussi bizarre. Alors que le Metropolitan Museum of Art poignarde le punk dans le dos en l’affichant dans la haute couture, que la philosophie du mouvement continue d’être disséquée par la totalité des magazines, et que ses fonctions dans la société sont, quelque part, toujours d’actualité, le punk est désormais laissé à ses praticiens les plus ardents. Ceux-ci semblent dévoués à une itération uniforme du mouvement : refuser « la norme », se coiffer avec du Manic Panic, vivre une vie nonchalante basée sur le thème du « laisser pisser » et s’engager dans des associations de défense des chiens errants.

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Samedi dernier, quelques centaines de ces personnes étaient réunies à Staten Island pour voir ces 95 groupes, tous sérieusement remontés contre le mainstream – par ailleurs, seuls 2% de ces groupes étaient connus des gens avec lesquels j’ai parlé de la programmation. Avant d’arriver, je ne m’attendais pas à devenir le témoin direct de la dissidence simultanée de plusieurs subcultures n’ayant rien à voir entre elles les unes les autres. Feudalism jouaient par exemple de l’accordéon devant une sorte de circle-pit balkan ; sur la scène Candy Apple Red, les Old Edisons jouaient du blues-rock 100% américain, sorte de Gaslight Anthem en plus véner – et pire.

Dénué de toute couverture médiatique, l’événement m’a semblé être un franc succès en terme de fréquentation ; tout y était fondamentalement familier : musique, protagonistes, humour, mode de vie. Situées à côté d’usines abandonnées et d’appartements en construction soufflés par l’ouragan Sandy, les sept scènes ne ressemblaient pas à ce que j’imaginais être un concert de Minor Threat en 1982. L’événement était ouvert à tous et rien ne paraissait choquant, effrayant ou même étonnant. C’était un samedi après-midi tout à fait normal, notamment parce le site ne vendait pas le moindre centilitre d’alcool.

J’ai discuté avec plusieurs mecs de Staten Island qui, alors qu’ils marchaient dans Bay Street, avaient entendu de la musique et étaient venus voir ce qui se tramait là. Une famille souriante munie d’une poussette regardait Qantas Never Crashed, une brigade post-hardcore qui jouait une sorte de screamo mélodique mélangé à du hardcore sincère type Touche Amore. Les rares fois où l’atmosphère était un peu tendue, c’était par choix, comme lorsque les légendes de Boston The F.U.s ont clôturé la soirée sur la scène Dispatches From The Underground. À un moment, le pit s’est ouvert et un type nommé Johnny (qui portait des gants de travail) m’a pris ma bouteille de 40 des mains (je l’avais achetée dans une épicerie pas loin), l’a descendue (vite) et a essayé de l’éclater par terre. Elle n’a pas éclatée. Les flics, qui assistaient à la scène, n’ont pas eu l’air de s’en préoccuper.

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La raison pour laquelle j’évoque le contraste entre le bébé punk en train d’applaudir et le vieux punk en colère qui agitait les bras avec son tatouage TRUTH, c’est cette profusion de messages contestataires qui ont fini par faire partie de l’ordre social lui-même. Suite à une troisième édition catastrophique du Punk Island il y a quatre ans, le festival Make Music New York (une sorte de fête de la musique new yorkaise) a légué le contrôle du festival au club punk du Lower East Side, ABC No Rio. Les programmateurs de la salle, qui ont pour habitude d’appliquer des méthodes DIY particulièrement agressives, ont alors tenu à remettre en selle le Punk Island.

Malgré des difficultés de dernière minute pour les coordinateurs – dont un tas de frais supplémentaires demandés par la mairie, par exemple 1050 dollars pour les 21 générateurs utilisés et 2500 pour la location du lieu – le festival a connu sa sixième édition cette année. Bizarrement, les organisateurs avaient cette fois-ci refusé d’être sponsorisés, alors qu’ils l’étaient encore l’année dernière, notamment par les vendeurs de guitare Guitar Center. Les frais ont donc été intégralement couverts par une institution tout sauf DIY – le festival Make Music New York.

Peut-être devrait-on se rappeler de quoi il s’agit précisément, c’est-à-dire, de musique. Parce que les groupes les plus intéressants n’étaient pas les mecs du hardcore de 50 ans ou les crusties contestataires qui faisaient des siestes à même le bitume devant des agents de police imperturbables. C’était plutôt les groupes qui jouaient sur la scène Brooklyn Transcore. EX. By V. ont par exemple livré un spectacle assez débile pour être intéressant. Duo composé d’une bassiste et d’un batteur, on aurait dit une version plus boueuse de Lightning Bolt. « Autrefois connu sous le nom de c’est des conneries ! Autrefois connu sous le nom de ça n’existe pas ! », criait la chanteuse et bassiste Leah Basarab, encore et encore, sur un instrumental post-hardcore pour dépressifs. Ce que tentait d’insinuer la chanteuse transsexuelle était qu’elle avait toujours été ce qu’elle est à présent – une meuf avec une bite. Plus tard, Little Waist, un autre groupe trans, a joué un set que je qualifierais de surf-grunge ; le groupe se foutait notamment de la gueule des groupes HxC sérieux qui défilaient sur les autres scènes en même temps qu’eux. Aye Nako, un quatuor pop-punk particulièrement bon, a clôturé les concerts sur cette scène. Leur refus de toute forme d’impertinence m’a fait du bien ; il ne faut pas oublier que j’avais passé la journée à entendre des groupes qui m’avaient intimé « d’aller me faire foutre ».

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Puis, alors que je m’apprêtais à partir, je me suis souvenu que je n’avais jamais été un bon punk. En sixième et en cinquième, mon père m’avait emmené voir mon premier Warped Tour. Mes souvenirs sont un peu flous mais je me rappelle avoir vu Guttermouth, Eminem, Ice-T, Rancid, Save Ferris, NOFX, Pennywise, Murder City Devils et les Deftones, le même soir. Et encore aujourd’hui, je me souviens de cette expérience comme d’un truc putain de génial. Ça tuait. Même Ice-T était OK. Je me souviens aussi de mon père vautré sur l’herbe, mi gêné, mi content, avec moi quelque part dans l’Idaho. Il portait un short cargo, des chaussettes de sport blanches, des Nike Pegasus et un t-shirt bleu délavé avec des loutres de mer imprimées dessus. Et la même moustache qu’il entretient depuis 1973. Avec le recul, je pense que ça fait de mon père, encore aujourd’hui, le mec le plus punk que j’aie vu, non seulement ce jour-là, mais de toute ma vie.

Le Warped Tour fait partie de ces nombreux trucs qui ont condamné à mort le punk en tant que contre-culture, de la même manière que ce gala punk lancé par le MET en début d’année. Les genres sont éphémères. Les styles sont éphémères. Ian MacKaye le savait, c’est pourquoi il a arrêté Minor Threat. Biafra a fait la même chose avec les DK. A posteriori, le nom Punk Island est d’autant plus pertinent. Les programmateurs ont sciemment refusé d’inviter Iceage ou n’importe quel autre de groupe de punk – à peine – middleground ou « institutionnalisé ». Punk Island est un satellite souverain dans une mer de buzz. Le punk, c’est toujours ce même T-shirt bleu délavé avec des loutres de mer au milieu d’une mer de T-shirts troués Global Threat.

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Dale est sur Twitter : @daleweisinger

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