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Dans le bureau du (plus que probable) seul échevin « straight edge » de Belgique

Malik Ben Achour fait partie de la caste des straight edge depuis qu’il a tiré un trait définitif sur l’alcool, la fumette et la viande en tombant raide dingue du hardcore.
Foto's door Elisabeth Debourse

Ado baptisé à la transpiration des concerts de hardcore des années 90, Malik Ben Achour est devenu straight edge quand tous ses copains se roulaient leurs premières clopes en bas de la cité du Champ des Oiseaux. Aujourd’hui, même en col roulé façon Steve Jobs de la Province de Liège, Malik Ben Achour ne renie pas sa collection de t-shirts à auréoles et slogans coreux.

Au bout du fil, une maman anonyme, mais plutôt bruyante s’inquiète que l’échevin n’ait pas encore lancé l’appel aux bénévoles pour les grandes beuveries du Mondial de football. « On n’en est pas encore là, recontactez-moi vers avril », lui répond plutôt sèchement Malik Ben Achour d’une voix où pointe son accent verviétois, jusque là presque insaisissable. C’est que si l’homme a beau vivre fièrement sa passion pour le football, il ne boit pas une goutte. Ni aux inaugurations obligatoires ni dans la pénombre de son salon, ni jamais. Sa dernière chope remonte à l’adolescence : un tango tiède offert par un tonton un peu trop audacieux. Depuis, plus rien.

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Malik Ben Achour n’est pas au régime paléo, pas un repenti de la bouteille, encore moins traumatisé par une gueule de bois fatale à l’aube de ses seize ans : l’échevin PS aux affaires économiques de la ville de Verviers est straight edge. Depuis 20 ans, il refuse tout ce qui s’apparente à de l’alcool, à un plan défonce ou au meurtre d’une pauvre bête qui n’a rien demandé — et encore moins de se retrouver entre deux tranches de pain brioché. Dans les années 90 en Belgique, mais surtout en Flandre, les salles de concerts grouillaient de kids transpirants comme lui, assoiffés de punk hardcore, mais pas de bières frelatées. Ils s’envoyaient du Minor Threat à plein pot avec un gros « x » barrant leur main, auquel Malik ajoutait un marteau et une faucille. À ce stade-ci, difficile d’en douter : il est probablement le seul à avoir ensuite fait carrière dans la politique, sinon les meetings seraient bien plus excitants.

Tout a commencé à 13 ans, par un tapissage en règle de sa chambre à l’aide de posters des Guns N’Roses. En 1993, après avoir feuilleté suffisamment Hard Rock Magazine pour connaitre les dates de naissance des membres de Sepultura par cœur, il se lance sur la plaine de Werchter pour un concert des Guns et tombe dans la fosse à pogos comme Obelix dans la marmite de potion magique. Révélation : s’envoyer des coups d’épaule sur fond de son enragé, ça fait battre le cœur plus vite. « C’est peut-être de là que me vient ma fascination pour les foules un peu violentes, dans des contextes musicaux », raconte l’échevin.

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La scène lui ouvre grand les bras, et Malik s’y jette comme un énervé sur du Youth of Today. « Quand je découvre le hardcore, il y a un vrai mouvement d’adhésion. Tout ce qu’il y avait eu avant, c’était l’amour de la musique, avec un univers visuel excitant. Mais avec le hardcore, je découvre un mouvement où l’on peut s’impliquer personnellement. Avec un engagement, des valeurs, des idées… » À savoir : « ne fume et ne bois que si tu veux avoir l’air d’un suiveur, jette ce hot-dog assassin et potasse un peu ton Capital, puis reviens nous voir pour une bonne tatanne musicale ». Et le futur élu du PS fait alors tout comme il faut : il lit Marx à 17 ans, porte des t-shirts de groupes siglés « Go vegetarian », organise un mythique concert déserté où il perd 20 000 francs belges et grave « Lenin Youth » sur ses bancs d’école.

« Être en rebellion, ça se traduisait musicalement et aussi dans les codes du mouvement », raconte aujourd’hui Malik dans un bureau aseptisé de l’administration verviétoise. « Il y avait un engagement politique radical et une culture très égalitaire qui mettaient cette scène à la marge de toutes les autres ». Et être à part, tout en faisant partie d’une vraie famille, c’est exactement ce que recherche alors ce grand gamin maigrichon, métisse habitant une cité de la Province de Liège et coincé dans une école « plutôt classe moyenne supérieure ». C’est bien simple, « à l’époque, j’étais partout et nulle part à la fois. J’avais le cul entre deux chaises. Avec le straight edge, quelque part, j’ai trouvé mon milieu. Quelque chose qui m’appartenait, dont je maitrisais les codes. J’avais trouvé une scène qui me reconnaissait et m’acceptait, et que j’embrassais des deux bras ».

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Mais à côté des salles de concerts qui agitent les idées, il y a les études et la vie… qui seront vraisemblablement influencées par la culture hardcore et tout ce qui gravite en orbite autour d’elle. « Il y a aussi plein de gens qui ont fréquenté le milieu, mais qui sont passés à autre chose. Pour moi, cette scène a été déterminante ». Direction la fac de philo donc, puis la Sorbonne, où il planche sur Nietzsche. « Moi, j’imaginais me retrouver dans des groupes militants d’étudiants, et en clair, qu’on allait faire la révolution ! À la place, je suis tombé sur un type de 60 balais qui distribuait des brochures du PTB », lâche-t-il quand il faut remonter dans ses souvenirs universitaires. De retour au pays, comme les postes d’érudits coreux ne courent pas les rues de Verviers, il devient collaborateur au PS avant de faire exploser sa liste et d’être propulsé échevin en 2010. « Je me suis dit que c’était plus efficace de changer le système de l’intérieur, plutôt que de rêver du grand soir ».

Dans son bureau face au Forem de Verviers, il fait défiler des vidéos sur son téléphone. Des souvenirs en 320p qui font grésiller le haut-parleur : Malik Ben Achour à 18 ans, sautillant en plein concert de Kindred et des végétariens de Earth Crisis dans un trou perdu du Limbourg, en 1997. Le même, quinze ans plus tard, toujours sérieusement excité au Groezrock, se jetant de la scène du groupe Gorilla Biscuit. Le public a beau avoir changé, moins radical et sacrément plus jeune, lui n’a pas bougé d’un poil. Même son t-shirt barré du nombre « 24 » — pour le « X » des straight edge, la 24ème de l’alphabet — trône toujours pas loin. Et tant pis si ses voisins de bureau se posent des questions : « Mes collègues échevins, ils ne connaissent pas la musique », de toute façon.

« La différence entre le hardcore et le metal, ajoute plus tard Malik Ben Achour, c’est que le metal n’exprime pas vraiment d’aspiration à changer le monde, sinon de manière presque folklorique. Or, l’envie d’un autre monde est par essence politique. Le hardcore a dès lors été, dans ma vie, ce premier moment de structuration d’une expression politique ». Et quand on a enfin le pouvoir de bouleverser l’ordre des choses, autant le faire bien : « La foule me fascine », me rappelle-t-il entre ces quatre murs froids. « Si j’étais ministre de l’intérieur, la première chose que je ferais serait d’annuler l’interdiction des fumigènes dans les stades de football. Ça crée de la tension, et moi j’aime ça ». C’est bien noté, les bénévoles de la Coupe du monde ?

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