Selon plusieurs témoignages, les barres d’Hematogen étaient un incontournable des pharmacies de l’époque. Elles le resteront pendant des décennies, devenant un symbole de la jeunesse soviétique, jusqu’à la chute de l’URSS. Encore aujourd’hui, on en trouve dans la plupart des anciens pays de l’Union, même si elles ne sont plus omniprésentes. Les fabricants actuels d’Hematogen en vendent de tout type et pas seulement pour lutter contre l’anémie : favoriser la concentration, avoir une meilleure peau ou prévenir les rhumes.La barre ressemble à un de ces étranges vestiges de l’ère soviétique – qui aura offert des biens de consommation façonnés par un mélange de pragmatisme et de rationalisation des moyens de production.
Pirogovskaya note qu’à travers l’Europe, des chercheurs ont créé une multitude de produits à base de sang, comme l’Hematopan, « une poudre de sang sucrée à la réglisse » ou l’Haemosan, une « boisson à base de protéines sanguines, de lécithine et de glycérophosphate de calcium ». Emanation de cet engouement, l'Hematogen aurait, selon la Pravda, vu le jour à la fin du XIXe siècle dans le laboratoire d’un médecin suisse.Thomas DeLoughery, hématologue, précise que cette quête productiviste d’une forme de sang consommable et facile à stocker pour lutter contre l’anémie, n'était pas une idée totalement folle. Aujourd’hui, les médecins recommandent encore des suppléments de fer aux patients qui souffrent de carence. Mais les comprimés ne sont pas toujours très appétissants et la plupart des gens n'absorbent pas bien les nutriments qu'ils contiennent. DeLoughery et d'autres prescrivent généralement en complément de la vitamine C pour aider leurs patients à fixer le fer.Les barres répondent aux besoins de l’après-guerre, alors que le pays se débat en matière d’approvisionnement alimentaire tout en s’investissant dans la production de vitamines pour la population, et en particulier les enfants.
Composition signée Hilary Pollack.
En Russie, le succès des barres Hematogen s’enracine dans le système économique soviétique. « Il est possible, affirme Lakhtikova, que les barres aient été un hobby d’oligarque ou de quelqu’un d’assez puissant qui pensait que c'était à la base une excellente idée. » Elles répondent en tout cas particulièrement aux besoins de l’après-guerre, alors que le pays se débat en matière d’approvisionnement alimentaire tout en s’investissant dans la production de vitamines pour la population, et en particulier les enfants.La manie soviétique d’exploiter coûte que coûte tout ce qui sort des industries nationales a également conduit à la montée puis l’invasion dans les années 1970-1980 d'Okean, une pâte à base de plancton. Jacobs ajoute qu’elle a d’abord été « présentée comme une source saine de nutriments pour accompagner les repas », mais qu’Okean a également servi « de porte-étendard pour l’industrie de la pêche soviétique, qui tentait d’écouler d’énormes quantités de plancton ».Darra Goldstein, experte en histoire de la cuisine soviétique, note que les scientifiques russes sont à l’origine de la forme finale d’Hematogen. À l’origine un sirop, ils ont reconditionné le produit en barre, friandise capable de plaire plus facilement aux gosses. Du sirop Hematogen était toujours produit à destination des adultes, précise Goldstein. « À ma connaissance, ajoute Pirogovskaya, il était même parfois utilisé comme base pour des boissons, des omelettes ou des ragoûts pendant des années de graves pénuries alimentaires. » La version liquide n’a apparemment pas survécu à la chute de l’URSS.La manie soviétique d’exploiter coûte que coûte tout ce qui sort des industries nationales a également conduit au succès, dans les années 1970-1980, d'Okean, une pâte à base de plancton.
De nombreux enfants ont en plus développé une véritable passion pour les barres Hematogen. Peut-être parce que les confiseries étaient plutôt rares et chères en URSS – selon Goldstein, une tablette de chocolat coûtait une journée de salaire d’un travailleur moyen – alors que les barres étaient bon marché et accessibles (en dehors des ruptures de stock occasionnelles) dans les villes et même les villages. Certains en sont même venus à préférer sa texture et son goût (notamment son côté légèrement métallique) à d’autres sucreries soviétiques plus chères, comme les bonbons au lait ou les barres de chocolat au soja.La demande est encore suffisante pour que plusieurs entreprises privées produisent divers types d’Hematogen, notamment des barres aromatisées aux fruits secs ou aux noix, enrichies en vitamines ou en minéraux.
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