Culture

Fenêtre sur quarantaine

Christopher Fernandez photographie ses voisins dans leur appartement depuis sa chambre.
Nana Baah
London, GB
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
Coronavirus quarantaine chris fernandez
Toutes les photos sont de Chris Fernandez.  

Quelle est votre activité de confinement préférée jusqu'à présent ? Peut-être que vous avez appris à faire du pain au levain, que vous avez demandé à votre colocataire de vous raser les cheveux au-dessus du lavabo de la salle de bains ou que vous regardez frénétiquement Netflix en essayant de ne pas vous laisser consumer par une peur paralysante.

De son côté, le photographe londonien Chris Fernandez passe sa quarantaine à documenter les activités de ses voisins. Peu après l'annonce du confinement, il a mis un panneau sur la fenêtre de sa chambre, sur lequel on pouvait lire : « Photographe professionnel cherchant à documenter votre isolement depuis ici. Écrivez-moi si vous êtes intéressé. » En moins d'une heure, plusieurs voisins ont répondu qu’ils voulaient être photographiés. Le projet, bien sûr, respecte la règle des deux mètres de distance, puisque Fernandez photographie ses sujets à travers leurs fenêtres, depuis son propre appartement.

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En plus de donner un aperçu de l’intimité des foyers de Londres à un moment sans précédent, Fernandez dit que le projet l'a aidé à nouer de nouvelles amitiés avec les habitants qu'il a photographiés. Il espère déjà faire la fête avec eux une fois le confinement terminé. « Dans l’immeuble d’en face, ils ont accès au toit et la vue est dingue », dit-il. J'ai discuté avec Chris de l'intimité humaine – et de la rencontre avec ses voisins – à l'époque du coronavirus.

Christopher Fernandez

VICE : Salut, Chris ! Qu’est-ce qui t'a donné envie de prendre en photo tes voisins pendant la quarantaine ?
Chris Fernandez : D’habitude, je fais surtout des portraits. Mais j'ai toujours voulu faire des documentaires. Alors quand le confinement a été annoncé, j’ai eu envie de le documenter d'une manière ou d'une autre. Mon idée de départ était de photographier les gens qui faisaient la queue au supermarché, et puis je me suis dit : « Regarde tous ces gens de l'autre côté de la rue. » Les bâtiments sont très proches les uns des autres et il y a beaucoup de vis-à-vis, alors j'ai eu l’idée de documenter le processus d'isolement que tout le monde traverse.

« Dans des situations comme celle-ci, les gens deviennent beaucoup plus vulnérables et ont tendance à être plus ouverts à l'intimité »

Y a-t-il eu des photographes qui ont influencé ce projet ?
Toutes les photos de cette série sont en quelque sorte mises en scène, mais c'est toujours un documentaire. Le photographe Philip-Lorca diCorcia a réalisé une série appelée Hustlers sur les hommes qui se prostituent dans la rue. Il les payait pour la nuit avec la subvention que lui avait accordée le gouvernement, et les photographiait dans différents motels d'Hollywood. J’ai trouvé ça génial parce que c’était l'un des premiers photographes à brouiller les lignes entre la mise en scène et le documentaire. Cela m'a influencé, dans une certaine mesure.

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Pensais-tu que quelqu'un répondrait au panneau que tu avais mis à ta fenêtre ?
Pour être honnête, je pensais que ça n’allait pas aboutir. Je pensais que les gens allaient me contacter en disant « Ouais cool, bonne idée » et qu'à partir de là, tout le monde allait me prendre pour un taré qui les épie par la fenêtre. Mais dès que j'ai mis le panneau, il a fallu environ une heure avant qu’une personne me dise : « Je vais écrire une note, la coller en bas [de son immeuble] et voir si quelqu'un d'autre est partant. »

Christopher Fernandez

Dis-m'en plus sur la façon dont tu as dirigé les voisins qui ont répondu à l'annonce et qui ont demandé à être photographiés.
Je leur ai parlé au téléphone, sans voir leur chambre. Je voulais que cela ait l'air aussi naturel que possible. L'éclairage était probablement la partie la plus difficile. Je leur disais : « Pouvez-vous éteindre cette lumière et allumer celle-là » ou « Mettez votre téléphone ici avec le flash allumé ». Mais ils étaient tous prêts à faire n'importe quoi. Je pense que c’est parce qu’ils étaient dans leur propre espace – ils étaient à l'aise.

Christopher Fernandez

Étais-tu ami avec l'un de tes voisins avant cela ?
Non, j’ai emménagé dans cet appartement il y a quelques mois. Mais c’était sympa. Maintenant, je les croise à la fenêtre et ils me font un petit signe.

Quelqu'un a-t-il été surpris par les photos ?
Je devais éteindre la lumière dans ma chambre pour prendre les photos, sinon il y avait trop de reflets. J’avais aussi mis une minuterie et il y avait une petite lumière rouge qui clignotait à l'avant. Le type qui vit juste en face de moi ne m’avait pas contacté, mais je l'ai vu entrer dans sa chambre et marquer un temps d’arrêt en face de ma fenêtre ! Il a dû penser que je le prenais en photo en cachette et depuis, il n'arrête pas de me lancer des regards noirs.

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Donc il te prend définitivement pour un voyeur maintenant. Ce projet t'a-t-il appris quelque chose sur l'intimité humaine ?
S'il m'a appris quelque chose, c’est que dans des situations comme celle-ci, les gens deviennent beaucoup plus vulnérables et ont tendance à être plus ouverts à l'intimité. C'est une situation assez étrange dans laquelle nous nous trouvons.

La quarantaine va-t-elle changer ta façon de travailler à partir de maintenant ?
Je travaille surtout dans la publicité et la mode. Mais maintenant, je me dis : « À quoi bon photographier des choses à vendre ? ». C’était déjà ce que je pensais, mais le coronavirus l’a confirmé.

Christopher Fernandez

J’ai adoré travailler sur ce projet. Il s'agissait de montrer des gens qui traînent chez eux, tout en documentant l'isolement et l'époque dans laquelle nous vivons. C'est fou de vivre quelque chose comme ça. C'est la raison pour laquelle j'ai voulu le faire au départ. Ma mère est infirmière. Moi, mon travail consiste à allumer des lumières et à prendre des photos de personnes qui vont bien – ça me fait un peu culpabiliser. Mais je pense que le moins que je puisse faire est d'informer et de divertir les gens.

Christopher Fernandez

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