Sports

Le sport, terrain de luttes

Dans son ouvrage « Terrains de jeux, terrains de luttes, militant-e-s du sport », le journaliste Nicolas Kssis-Martov rend hommage à celles et ceux qui ont sur démocratiser la pratique sportive et en faire un instrument de la lutte.
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Photo FSGT

On savait de lui qu’il était le taulier du blog Never trust a marxist in football !, journaliste pour So Foot et Sport et plein air, revue de la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT), mais dans son ouvrage Terrains de jeux, terrains de luttes, militant-e-s du sport,  Nicolas Kssis-Martov laisse parler sa fibre d’historien et sa passion pour l’histoire du monde ouvrier.

A l’époque où le sport-business, markété pour rapporter toujours plus de pognon, est roi, Martov nous fait voyager dans le temps, à la rencontre de personnages méconnus du grand public qui ont « joint leur passion athlétique à leur ferveur idéologique », pour reprendre ses propres mots. Comprenez qu’ils ont démocratisé la pratique sportive, pour en faire un des rouages essentiels de l’éducation populaire et s’en sont servis pour défendre des causes.

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Femmes, hommes, communards, résistants, gauchos, tous ont fait du sport une arme de revendication et de progrès social face à une oligarchie qui avait une vision élitiste et aristocratique du sport, garant de l’ordre social – big up au sacro-saint baron Pierre de Coubertin. Si des femmes peuvent participer à certaines compétitions c’est grâce à eux. A titre d’exemple, c’est aussi grâce à eux que le sport n’a pas ou pas été un instrument de Vichy et des collabos. Grands oubliés de l’histoire, ces militants sont pourtant indissociables des grands combats et des luttes et Nicolas Kssis-Martov leur rend hommage à travers 12 chapitres « d’histoire du sport », comme pour mieux nous démontrer que le sport populaire n’est pas mort et qu’il est essentiel dans nos sociétés. VICE s’est entretenu avec le journaliste-historien (du monde ouvrier) pour en savoir plus sur son ouvrage et ce pan de l’histoire laissé à l’ombre.

Quelle est la genèse de ton livre ?
Nicolas Kssis-Martov : L'idée de départ de l'ouvrage vient de Paul Boulland du Maitron, dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et social, et de Julien Lucchini des éditions de L’Atelier. Le projet était de rendre accessible au grand public ce monument de l'histoire ouvrière et sociale, qui faisait émerger l'immense contingent de militants, connus ou anonymes, qui ont façonné notre pays depuis la Révolution française. Le sport était forcément un angle pertinent de ce point de vue « pédagogique », et j'avais déjà collaboré à la rédaction de certaines notices. Il s'agissait en quelque sorte de rappeler tout ce que le sport devait et doit à la politique, à l'engagement politique, et à ceux et celles qui y ont insufflé d'une manière ou d'une autre la force de leurs convictions.

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C’était aussi l'opportunité d'aborder le sport ouvrier de manière plus « détendue », vaste sujet que j'ai souvent traité de manière très sérieuse et universitaire. En somme, balancer de l'histoire ouvrière comme Nick Tosches a écrit celle des Héros oubliés du rock'n'roll. Je voulais réconcilier le journaliste que je suis aujourd'hui avec l'historien que je reste parfois, pour rendre « pop » et « agit-prop » l'histoire populaire du sport.

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Ce livre est-il un moyen de rappeler l'importance sociale du sport à l'heure où il est surtout un spectacle et un business ?
Tout le monde s'accorde à reconnaître que le sport a un rôle social. C'est lorsqu'il faut lui en donner les moyens, et surtout au tissu associatif qui en assure la mission, qu’il y a un problème et les récentes évolutions du point de vue des politiques publiques, notamment au niveau de l’État, ne se révèlent guère rassurantes. Pour ma part j'ai surtout voulu souligner quels étaient les acteurs et les actrices de cette dimension « sociale » du sport pour reprendre ton expression. J’ai voulu insister sur cette évidence qu'il faut bel et bien une armée de bénévoles, de militants, de passionnés, d’élus, pour que des dizaines de millions de français puissent pratiquer un sport, pour qu’il ne soit pas seulement un spectacle porté par le haut niveau, mais une composante culturelle du pays et de la nation. Pour qu’existe un Kylian Mbappe à Bondy, il y a le travail de centaines de personnes qui ont permis au football de se démocratiser et d’accueillir sur des terrains municipaux des jeunes qui auront peut-être le même destin que l’attaquant du Paris Saint-Germain.

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« Du coté ouvrier, dès les années 20, des femmes se sont emparé du sport aussi bien comme un droit que comme un plaisir légitime, parfois en construisant une autre rapport à leur corps »

Il est beaucoup question du mouvement ouvrier et des partis de gauche et d'extrême gauche dans ton ouvrage. Contre qui se battaient-ils ? Quelle vision du sport défendaient-ils ?
Il a évidemment existé une bataille idéologique forte au sein du sport français. Loin d'être apolitique, le sport est traversé et même animé par des combats idéologiques. La fin du 19e siècle est par exemple marquée par une césure profonde entre des ex-communards et un courant bourgeois dont Pierre de Coubertin est l'archétype, à la fois conservateur et désireux d'adapter la France aux nouveaux enjeux du temps. Les premiers cherchent à promouvoir la boxe française et défendent une vision très progressiste de la pratique sportive. Pour les seconds, le sport permet de forger les élites, d’instaurer la paix sociale donc de conjurer une nouvelle Commune de paris, le grand traumatisme du petit baron.

Plus tard dans l’entre-deux-guerres, le sport rouge de la Fédération sportive du travail souhaitait clairement porter le fer contre les
« fédérations bourgeoises » . Il ne faut pas non plus oublier l'épisode essentiel de la résistance qui a aussi concerné le monde du sport français, et dont on trouve le souvenir dans certains noms de stades, comme Auguste Delaune à Reims. Par la suite, les lignes de « fractures » sont devenues plus profondes et davantage inscrites dans la conception du sport et le contenu des pratiques comme l'illustre le foot à 7 auto-arbitré, né dans le sillage lointain de mai 68, ou encore l'escalade populaire et associative bien loin de l'actuel essor des salles privées ou de l'ancienne vision élitiste de l'alpinisme.

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Est-ce possible d'imaginer ce que serait le sport sans ces militants qui ont su démocratiser la pratique ?
La dystopie ou l'uchronie sont de graves péchés pour l'historien. Néanmoins, il est possible de démontrer que l'actuelle force du sport français, aussi bien en nombre de pratiquants qu’en terme de succès dans certaines disciplines, résulte clairement de l'action et du dévouement de ces militants. Pour citer des exemples qui parleront au plus grand nombre, les médailles récentes de la natation tricolore trouvent en partie leur racines dans les travaux et les innovations d'un Raymond Catteau. De même, le fameux french flair découle également de l'approche de René Deleplace, longtemps militants communiste et membre de la FSGT.

On pense aussi aux femmes qui ont dû se battre contre la vision sexiste et masculine du sport pour avoir accès à la pratique, puis à la compétition….
Cette histoire commence doucement à être reconnue, par exemple autour de la figure d'Alice Milliat. Du coté ouvrier, dès les années 20, des femmes se sont emparé du sport aussi bien comme un droit que comme un plaisir légitime, parfois en construisant une autre rapport à leur corps. Il s'agit d'une histoire souterraine, mais qui doit être mise enfin en lumière. Avec des figures parfois célèbre comme Lise Ricol, future Lise London, qui a ouvert la pratique sportive aux jeunes filles dans sa banlieue ouvrière du coté de Lyon. Ou bien Carmen Crespo jeune basketteuse qui a rejoint des brigades anarchistes durant la guerre d'Espagne avant de tomber au front. Plus tard, d'autres viendront, en particulier au sein de la FSGT, ce qui a permis aux femmes d’avoir accès au sport de compétition, notamment en judo, en lutte ou même au saut à la perche.

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La FSGT est l'héritière du sport ouvrier. Cette fédération reste méconnue du grand public, quel est son rôle aujourd'hui dans une société toujours plus connectée, portée sur virtuel et individualiste ?
Elle reste méconnue au regard des critères médiatiques actuels de reconnaissance. Néanmoins, elle n'a jamais finalement eu autant de sens face aux tendances dominantes, qu'il s'agisse des formes de vie associative originales ou de pratiques différentes. Je pense notamment au volley mixte, aux pratiques partagées handi-valides, au foot à 7 auto arbitré dont le rappeur SINIK m'avait expliqué à quel point il y a trouvé des similitudesavec l'esprit fondateur du Hip-Hop.

La FSGT est pour ses adhérents un espace de résilience et de construction sociale et culturelle non négligeable, qui dispose d’une dimension internationale, avec, notamment des relations très fortes avec la Palestine. Elle fut d’ailleurs la première à entretenir des rapports avec les sportifs palestiniens et à faire venir une équipe de foot en 1982.

Aujourd'hui quelle définition peut-on donner du sport populaire ?
Je me le représente comme une sorte de convergence des luttes. Il s'y trouve bien sur la FSGT mais aussi d'autres associations dans d'autres fédérations, que ce soit à l'UFOLEP [lUnion française des œuvres laïques d'éducation physique, NDLR], la FSCF [Fédération sportive et culturelle de France, NDLR], le sport rural ou la FSGL [Fédération sportive gaie et lesbienne, NDLR]. Je pense aussi aux mouvements émergeants autour des sports urbains comme le skate ou le surf, le sport LGBT ou encore le mouvement ultra dans le football dont l’évolution en France est assez passionnante à suivre.

A la fin de ton livre, on se dit que le prochain combat concerne les personnes LGBTI et les jeunes issus des quartiers populaires.
L'enjeu de la démocratisation des pratiques sportives est très complexe. Il ne se limite pas à savoir combien de licenciés il y a en France. Il faut se pencher sur l’accessibilité de la pratique sportive : est-ce que toutes les catégories sociales de la population, partout sur le territoire et dans les territoires, sont concernées par le sport et en ont accès. De ce point de vue, des problématiques émergentes dans la société comme le genre ou les racisés vont forcément trouver leur traduction dans le sport. Mais c'est un autre champ, prospectif, que celui de mon livre.

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