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Une guerre par procuration fait rage à Tripoli

« Si on leur pisse tous dessus en même temps, ils se noieront », me dit un combattant sunnite à Bab el-Tebbaneh, à Tripoli, deuxième ville du Liban.

« Si on leur pisse tous dessus en même temps, ils se noieront », me dit un combattant sunnite à Bab el-Tebbaneh, à Tripoli, deuxième ville du Liban, en montrant du doigt le haut de la colline, où se trouve le quartier alaouite voisin de Jabal Mohsen. Depuis plus d’une semaine, des affrontements entre ces deux quartiers ont fait presque 30 morts et plus de 200 blessés. Mais alors que les sunnites sont quatre fois plus nombreux que les alaouites à Tripoli, il y a peu de chances qu’un des deux camps prenne l’avantage sur l’autre dans l’immédiat. À la place, une bataille d’usure s’y déroule actuellement, au milieu de laquelle l’armée libanaise se retrouve régulièrement prise entre deux feux.

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Les affrontements entre Bab el-Tebbaneh et Jabal Mohsen n’ont rien de nouveau. Ils ont lieu depuis des décennies, mais sont devenus bien plus réguliers depuis le début du soulèvement chez le voisin syrien, il y a deux ans. Cette dernière flambée de violence est apparue en même temps qu’un assaut soutenu par le Hezbollah juste au-delà de la frontière syrienne, dans la ville stratégique de Qousseir. Ceci ne fait que renforcer les spéculations selon lesquelles ce qui se passe à Tripoli n’est pas seulement lié à la guerre civile en Syrie, mais que c'en est plutôt une conséquence directe – une guerre par procuration où les alaouites de Jabal Mohsen soutiennent le président en difficulté Bachar el-Assad alors que les sunnites de Bab el-Tebbaneh sont du côté des rebelles qui cherchent à le renverser.

Bab el-Tebbaneh est extrêmement pauvre et fait office de bastion du mouvement salafiste libanais, une des branches les plus conservatrices de l’Islam. Ici, des rues parallèles sont toutes interconnectées grâce à un treillage de passages de fortune faits à partir de trous dans les murs de maisons et de magasins. Ils permettent aux gens de se déplacer sans s’exposer, dans les rues horizontales, aux tirs des soldats alaouites ennemis qui se trouvent en haut de la colline à Jabal Mohsen. De grandes bâches ont été déployées à certains carrefours pour cacher les passants à la vue des snipers. Alors que la plupart passent derrière ces toiles criblées de balles à toute vitesse, une vieille dame traverse lentement la route, s’arrêtant pour lancer un regard menaçant en direction des snipers.

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Les affrontements violents à Bab el-Tebbaneh sont devenus un phénomène banal. Bien que les écoles, les banques et les autres institutions restent fermées, les habitants font de leur mieux pour mener une vie quotidienne normale. Les bruits de mitrailleuses et de roquettes ont beau retentir dans les rues, les vieillards continuent à s’asseoir dans la rue couverte du marché pour boire du café et jouer au backgammon. Depuis leurs balcons, les femmes et les enfants observent la rue où un gang de miliciens lourdement armés s’est rassemblé. Dans un cyber-café, un jeune garçon joue à un jeu vidéo – les mots « Les terroristes gagnent » clignotent sur l’écran une fois la partie terminée.

Malgré la pauvreté qui les entoure, les combattants disposent d’un arsenal d’armes impressionnant. « Cette arme m’a coûté 2000 dollars », m’explique un combattant arborant une barbe épaisse. « Je l’ai payée de ma poche. » Dans le nord du Liban, le bruit court que les sunnites auraient fourni un soutien logistique aux rebelles syriens pendant quelques temps, tout en les aidant dans leur campagne de recrutement. À Bab el-Tebbaneh, ce n’est pas dur de trouver des hommes qui prétendent avoir combattu en Syrie. D’autres, comme Abu Hamza, un chauffeur de 40 ans qui porte des lunettes de designer, se plaignent de ne pas avoir pu y combattre. « J’aimerais avoir eu cet honneur, raconte-t-il, mais je dois rester à Tripoli pour défendre ma famille et mon quartier. »

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De plus en plus de gens croient qu’Assad et le Hezbollah dirigent leurs partisans vers le Liban pour combattre les sunnites locaux. Ainsi, des hommes comme Abu Hamza se sentiraient contraints de rester chez eux pour protéger leurs proches au lieu de rejoindre les rangs des rebelles qui tentent de renverser le régime d’Assad. Ceux qui combattent déjà en Syrie pourraient également se sentir forcés de rentrer de cette guerre étrangère pour affronter l’ennemi chez eux.

Les violents combats se sont apaisés depuis la semaine dernière, mais l'accalmie reste ponctuée de tirs occasionnels de snipers. Mardi dernier, Human Rights Watch a demandé au gouvernement libanais de renforcer ce cessez-le-feu fragile en déployant davantage de forces de sécurité dans la zone, en saisissant les armes des miliciens et en poursuivant et en arrêtant les responsables des tirs et des bombardements sur les habitants. Mais ces demandes ont peu de chances d’aboutir. Selon Abu Hamza, « Les combats ici ne prendront fin qu’avec la chute d’Assad – et pas avant ».

Alors que les puissances européennes s’apprêtent à armer les deux camps qui s'opposent dans le conflit syrien, les perspectives de Tripoli restent sombres.

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