La révolution pour tous, ou presque
« Le CSP+ sur-travaille et a le sentiment de manquer de temps. Par contre, il a une certaine maîtrise de son temps long. […] Les catégories inferieures ont quant à elles des journées de travail plus fixes et donc une connaissance de leur temps à courte échéance mais ne maîtrisent pas le temps de travail à l’échelle du mois ou de l’année. Ils sont prisonniers des horaires ».
Pouvoir gérer son temps, c’est pouvoir choisir ce qu’on veut. Pour Lucile Merra, docteure en sociologie des médias sociaux à l’université Sorbonne, ce contrôle du temps explique non pas pourquoi les CSP+ semblent tous accros aux podcasts, mais plutôt pourquoi les autres catégories ne le sont effectivement pas : « Il y a une très forte relation entre ces médias et l’engagement : on est sur des audiences connectées entre elles et actives. L’auditeur fait lui-même la sélection de ses podcasts. » Tous les mots-clés des CSP+ sont là. Comme ils maîtrisent leur temps, ils ne sont pas contraints de se rendre sur les réseaux sociaux afin d’avaler le vomi médiatique du jour mais participent à une communauté qui échange. Si on ajoute à cela le fait que 81% de la population utilise son téléphone sous Android, là où aucune application référence n’existe encore, le podcast reste donc un produit de niche.« Les gens se passent les podcasts de bouche-à-oreille » – Melissa Bounoua
« Tout dans cette soirée était excitant, et surtout l’ébullition, l’effervescence, le sentiment d'assister à une assemblée secrète de révolutionnaires qui s’apprêtaient à changer le monde par le son. »
Ma part du gâteau
Aux États-Unis, terre promise du podcast vaguement copiée par la France où tout a commencé en 2014 avec Serial, l'enthousiasme de départ laisse aujourd'hui place aux doutes. The New York Times se demandait récemment si les podcasts n’avaient pas atteint leur point de rupture : n’y en a-t-il pas eu trop d’un seul coup ? Un genre de bulle spéculative du podcast qui aujourd’hui serait proche d’exploser. C’est ce qu’expliquait en 2018 un article du Columbia Journalism Review. Ce dernier pointait du doigt une possible noyade généralisée des podcasts à cause de formats trop similaires publiés au sein d’une communauté en circuit fermé qui, à terme, conduira à la détérioration du contenu qui ne sera plus en mesure d’innover. La même année, de gros studios de production de podcast natifs ont commencé à disparaître. Panoply, considéré comme l’un des leaders sur le marché américain, a fermé ses portes. Le site d’informations Buzzfeed a lui aussi licencié ses équipes de podcasts pour se concentrer sur la vidéo. La question se pose aussi en France, où le business modèle est encore frileux et termine inévitablement dans la main de publicitaires dont l’unique idée peut se résumer à « Et si on ajoutait 15 secondes de publicités au début et au milieu ? ».« C’est déjà terminé pour certains nouveaux entrants car les autres construisent déjà leur marque » – Lucile Merra
Le nouveau média d’influence pour les nuls
Si les podcasts sont présentés comme une révolution des médias, ils semblent finalement n’être rien d’autre que la plateforme rêvée des futurs influenceurs pour CSP+. Pour Marine Benoit, « Les sujets abordés sont pourtant les mêmes qu’avant : mais on place l’humain au centre pour une fois. C’est la culture Instagram ». On constate d’ailleurs que les podcast ne sont pas loin de contenus d’influenceurs YouTube : les podcasts se consomment de la même façon et avec le même vocabulaire. On s’écoute beaucoup parler, on cultive une communauté et on le consomme en préparant à dîner. C’est sûr, c’est moins beauf quand ça parle de démocratie et non des dernières innovations en matière cosmétique. Il se dessine donc un média présenté comme global et novateur, mais qui finalement reprend les codes des influenceurs pour nourrir les CSP+ pour qui la télévision, YouTube et Snapchat ne sont pas adaptés.« Les sujets abordés sont pourtant les mêmes qu’avant : mais on place l’humain au centre pour une fois. C’est la culture Instagram » – Marine Benoit