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Music

Dent de Cuir joue avec vos angoisses et avec les ananas

Le duo de clippeurs décrypte les vidéos qu'ils ont réalisé pour SebastiAn, Neosignal, Modeselektor et Siriusmo.

Des poneys qui rasent la tête d'une gamine de 8 ans, des petits soldats qui se roulent des pelles, des cervelles qui explosent : les productions désaxées de

Dent de Cuir

, duo de clippeurs franco-canadien relativement discret, gravitent essentiellement autour du jouet vintage, de la technologie et de l'ultra-violence – comme en témoignent ces robots Google Chrome et Firefox qui se foutent sur la gueule façon Transformers dans le clip de « Planet Online » de Neosignal

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Formé par Benjamin Mege et Jean-Philippe Chartrand, deux publicitaires gavés par le

constant branling

inhérent à la profession, Dent de Cuir a peu à peu pris la forme d'une gigantesque cour de récréation, dans laquelle se sont croisés, depuis trois ans, Sebastian, Modeselektor ou encore Siriusmo. J'ai rencontré Benjamin Mege, moitié parisienne de la paire turbulente, qui m'a raconté le parcours de Dent de Cuir à travers les différents clips réalisés par le collectif.

Noisey : Cinq vidéos, c'est tout ce qu'on trouve sur votre page web. Y a-t-il un désir de votre part de rester relativement anonymes ?

Benjamin Mege :

Oui et non. Dent de Cuir, à la base, c'est un binôme que je forme avec Jean-Philippe Chartrand, qui vit à Montréal. Nous sommes deux directeurs artistiques dans la publicité qui se faisaient un peu chier dans ce milieu. À la base, c'est un projet de production sans financement et le but est justement de garder ce côté DIY. Il y a une volonté de continuer à faire les choses un peu à l'arrache. Ce qui est cool avec un collectif, c'est que c'est ouvert. On est deux, mais il y a des moments où on est trois, d'autres où on est cinq… Le but c'est d'expérimenter des choses. On veut casser des codes, casser des réflexes, se mettre en danger esthétiquement.

Comment as-tu rencontré Jean-Philippe et dans quelles circonstances avez-vous commencé à travailler ensemble ?

En fait, je bossais pour Jean-Philippe, qui a un bureau de design à Montréal. On était trois : il y avait lui, sa copine et moi. Et cinq chats. C’est dans ce contexte que ça a commencé. Mais on ne savait pas à l'époque qu'on allait finir par démarcher des labels, des groupes, travailler dans l'autoproduction. La pub, c'est un milieu où tu mets beaucoup de temps à sortir des choses, tu consacres énormément d'énergie en conception, pour qu'au final, le client n'aime pas le truc. Et toi t'en as marre. On avait un peu envie de sortir de tout ça. Dent de Cuir, c'était la récréation. Tous les vendredi, à la fin de la journée, on se prenait quatre heures où on était libre. On essayait de créer quelque chose de A à Z et finalement, c'est là qu'on s'amusait le plus. C'était il y a trois ans, on a vraiment commencé le projet avec notre premier clip pour Siriusmo.

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Qu'est-ce qui vous plait dans le fait de faire des clips ? Vous explorez d'autres domaines ?

Je pense que pour nous, c’est devenu un terrain d'expérimentation. Très libre. On savait qu'il n'y avait pas d'argent à se faire dans le clip, mais on n'était pas là pour ça. Collaborer artistiquement, musicalement, tout en travaillant librement, je sais pas, moi ça m'attire.

On a énormément d'affinités avec la culture populaire. On aime travailler sur des choses auxquelles un maximum de personnes peuvent se rattacher et le clip nous permet d'exploiter ça. Dans la publicité, on te donne un brief et c'est comme un Tetris, il faut juste que tu arrives à mettre les blocs au bon endroit, dans le bon sens. T'as des contraintes. Au final, pour que les gens trouvent ça cool, tu as besoin de contextualiser ton projet. Nous on veut réaliser des projets qui peuvent vivre seuls. Et la musique, c'est quand même le truc le plus universel pour ça. Pour l’instant on fait surtout des clips, mais on n'est pas fermés ; on essaye toujours d'importer de nouvelles choses dans le média vidéo. On aime bien les clips interactifs. On veut interroger le média vidéo, ça c'est sûr. Dynamiter un peu les choses.

SEBASTIAN – « Play »

La vidéo de « Play » était une commande de Who's Next, le salon consacré à la mode. C'était la première fois que vous bossiez pour un truc du genre ? Comment ça a été accueilli ?

Quand j'ai débarqué chez Who's Next, c'était tout blanc, c'était des gens de la mode, du style. Et nous, on a voulu s'amuser avec ça. On avait carte blanche pour ce projet et on a voulu le montrer. On n'allait pas faire un truc mode, mais juste ce dont on avait envie ! Et la création a été accueillie… plutôt mal. Ils n'ont pas kiffé du tout. Mais c'est normal, on l’avait cherché. Ça a été très bizarre comme projet, parce que c'était de la curation artistique, mais en même temps, ça se voulait une vidéo promotionnelle quand même. On n'a pas trop su sur quel pied danser, et du coup on a juste pris le projet comme quelque chose d'artistique. Et les gens là-bas se sont dit « what the fuck »… Peut-être qu'ils ont mieux compris le projet quand on a fait

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le site web

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Sur ce site, vous avez transformé la vidéo en une série de gifs.

Oui, on trouvait ça cool d'avoir des « images à écouter ». On a choisi le gif pour une question de technique aussi ; on voulait faire un clip qui soit un site web et on ne voulait pas de plug-in, de Youtube ou de Vimeo. On a fait une narration linéaire, avec un ascenseur. Et puis le gif, en termes de partage, c'est génial. Ça fait partie de la culture populaire. C'est déjà vieux, mais c'est toujours présent.

À quel moment le nom de Sebastian est-il apparu dans le projet ? Comment s'est passée votre collaboration ?

Le processus créatif de « Play » n'est pas vraiment habituel. On aime beaucoup les sons des jouets, donc on s'est dit qu'on allait faire une musique officielle pour le salon. On a envoyé le projet à pas mal de monde, et il s'est avéré que ça a plu à Sebastian. Concrètement, on a enregistré pas mal de bruits de jouets qu'on trouvait cool, on a établi une liste des 15 sons qu'on trouvait les plus iconiques – la Game Gear, le Docteur Maboul, la Dictée Magique, le Simon, etc. Puis on a envoyé le tout à Sebastian en lui laissant carte blanche à son tour. En une semaine et demie, il a fait le morceau et ça nous a plu direct. On ne s'est même pas posé la question, en fait. Si le projet a été compliqué à gérer, c'est parce que pendant le mois où on a préparé les sons de jouets, on ne pouvait pas vraiment penser à la réalisation de la vidéo, on ne savait pas du tout à quoi allait ressembler le morceau, et ce n'est pas une situation dans laquelle on a l'habitude de se retrouver.

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NEOSIGNAL – « Planet Online »

Comme pour « Play », vous exploitez dans « Planet Online » l'univers des jouets. Qu’est ce qui vous fascine autant là-dedans ?

C'est pas tellement le jouet qui nous plaît, en fait, c'est la publicité du jouet qu'on adore. On a été bercés par ces pubs de jouets des années 80. Cette espèce de miniaturisation des choses, qui parlent de nous en fait, c'est génial. Le jouet permet de raconter beaucoup de choses. À la base, dans « Planet Online », ce n'était même pas les jouets qui nous intéressaient, c'est Internet. On avait absolument envie de parler d'Internet et on est parti du jouet pour y arriver. L'idée vient aussi du titre du morceau, et je pense que ce qui nous a plu, c'est le fait qu'on n'ait jamais mis le mot Internet à côté du mot jouet. C'était aussi une question de budget. On a tourné ce clip avec une caméra des années 90, qui ne coûte rien du tout. Mais c'est efficace ! C'est à la fois une contrainte, comme le Tetris, mais là tout se règle tellement facilement que t'as juste envie de dire : « allez les enfants, jouez ! » Ce qu'on a voulu montrer aussi avec ce clip, c'est cette espèce d'esthétique DIY, qui consiste à faire les choses par nous-mêmes. Jean-Philippe a un côté très « maquettiste », il bricole énormément. On a beaucoup bossé sur la décoration, dans ce clip. Le côté effrayant, personnellement, c'est pour me laver de la publicité. On n'attaque pas tant que ça l'univers du jeu, mais plus ces visages d'enfants souriants, à qui ont dit « tu vas être heureux avec ce jouet ». On a un petit problème avec la publicité, quand même…

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C'est quand même assez paradoxal, pour des publicitaires…

Oui, ce sont nos contradictions, on les assume. Moi, quand je regarde ces publicités pour des jouets, ça me fait à moitié gerber. Ça pue le bonheur, quoi ! Nous, on aime salir cette image. Humainement, on essaye de rester gentils, par contre, quand on s'exprime dans une vidéo, c'est notre terrain de jeu. On a le droit de provoquer. Les grosses boites, c'est un truc qui m'horripile un peu. On réalise des projets sans concession. La journée, quand on bosse, on en fait beaucoup, et Dent de Cuir, c'est pas l'endroit pour ça.

On retrouve l'univers du jeu, mais aussi de véritables institutions, comme Twitter, Youporn, Wikileaks, Facebook, Google… Pourquoi ?

Parce que c'est « Planet Online ». Quand tu te dis que tu vas faire un truc sur Internet qui parle d'Internet, t'as tout gagné. On ne pouvait pas passer à côté de ça. C'est quelque chose que tout le monde connaît. Si on a utilisé des « marques », c'est aussi parce qu'on n'a pas vraiment le droit de le faire… Puis les logos nous faisaient penser à des jouets. Celui de Google Chrome ressemble à une Pokéball !

MODESELEKTOR feat. OTTO VON SCHIRACH – « Evil Twin »

Comment vous êtes-vous retrouvés à collaborer avec Modeselektor pour ce clip d'Evil Twin ?

Quand on a fait notre toute première vidéo pour Siriusmo, j'ai appris que Modeselektor allait sortir un nouvel album. Du coup, comme on avait de bons contacts avec leur label, Monkeytown, grâce à Siriusmo, on les a recontacté et ils nous ont répondu « Carrément, allez-y ! » Ça s'est fait tout seul.

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D'où vous est venue l'idée de cette mise en abime en utilisant plusieurs écrans ?

Du titre, « Evil Twin », tout simplement. À la base, on voulait avoir les deux gars de Modeselektor qui se battaient. Mais on aime bien légitimer notre narration grâce à un concept technique. Du coup, c'est devenu évident qu'on allait faire deux vidéos. Deux vidéos qui se battent entre elles. C'est le premier clip 2 en 1 ! Il n'est pas très beau ce clip - c'est en temps réel, pas fluide…- par contre, il est intelligent et c'est ça qu'on a aimé. On a fait ça un peu à l'arrache, en trois jours, avec des potes qui avaient les combis et… du scotch !

La technologie est de nouveau très présente dans cette vidéo. Vous semblez angoissés à l'idée qu'elle vous manipule, vous dépasse, vous torture ?

Au niveau du rythme du morceau, on s'est dit qu’il y avait un côté stressant et qu'il fallait que ça se ressente. On a toujours 15 fenêtres ouvertes dans notre navigateur, et on avait envie d'en parler. La société technologique, c'est quelque chose qui nous effraie, Facebook, tout ça. C'est énorme. Après, je ne dis pas que c'est mal. Mais ça me stresse. La vidéo d'« Evil Twin » c'est ça : être bombardé de visuels. C'est comme « Planet Online » ; on voulait montrer que tout ça nous rend un peu fous. Mais on ne se positionne pas du tout sur un concept de bien ou de mal.

SIRIUSMO – « Idéologie »

Ce clip est très différent des autres, presque psychédélique, beaucoup plus abstrait aussi. Vous avez travaillé de façon différente ?

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Ça vient de la musique, ça. C'est tropical ! Par rapport à « Evil Twin », t'as envie de te détendre. Avant de sortir l'album, Siriusmo avait mis à disposition 15 secondes de chaque track. On avait adoré cette idée et on avait élaboré tout un storyboard, à l'aveuglette, en se disant « la musique sera comme ça, je crois ». On a eu de la chance, parce que c'était exactement ça ! Deux semaines après qu'il ait sorti son album, on lui a envoyé notre clip, et il a aimé. En le faisant, on avait aucune pression de temps, personne ne savait qu'on allait sortir ça. On a fait ce clip en voyageant, chacun de notre côté.

On y retrouve un petit côté Cyriak, son travail vous influence ? Il y a d'autres clippeurs qui vous inspirent n?

A l'époque on aimait beaucoup Cyriak. C'est clair, c'est très influencé par son travail, inconsciemment je crois. Après, il y a Gavras, et des réalisateurs comme Gondry. Ce sont des gens qu'on trouve assez inspirants.

Cet aspect « collage », très Do It Yourself, c'est un style qui vous plait ? Ça représente quoi pour vous le DIY, d'ailleurs ?

Le DIY, c'est un véritable message. C'est pas élitiste, c'est faire du beau avec de la récup'. Pour moi, c'est un acte politique, aussi. C’est ce que j'essaye de faire dans la vie et ce qu'on intègre aussi dans les vidéos. Il y a un côté spontané là-dedans. C'est dire « vas-y, fais-le, ne te préoccupes pas de ce qu'on va te dire. » En pratique, pour le clip, on a pris des images sur Internet. Le but, c'était de faire quelque chose de nouveau avec des visuels connus de tous. Ah tiens, Bob l'Eponge, on aime bien, on va le mettre.

Vous avez des projets en cours ?

On prépare un truc qui devrait sortir mi-mai. C'est un projet un peu absurde. On travaille souvent à distance JP et moi, par Skype, et on avait envie de le montrer. Je connais quelqu'un qui fait de l'animatronique, c’est comme dans les vieux films d'horreur. Je me rappelle d'un film dans le genre, c'était un chien qui mangeait un chat et en fait les animaux sont des automates. Bref, on veut reproduire nos têtes, que chacun ait la tête de l'autre chez soi, et les faire parler en temps réel sur Skype ! Ca serait vraiment bizarre. C'est cool, non ?

Elisabeth est la plus Bruxelloise des stagiaires Noisey. En même temps, c'est la seule. Elle est sur Twitter - @ElisDe