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FRANCE

Une femme demande à la France le sperme congelé de son mari défunt

La jeune espagnole réclame le sperme congelé de son mari, mort d’un cancer, pour être inséminée dans son pays. L’insémination post-mortem est interdite en France.
Une fécondation in vitro (via Dovidena / Wikimedia Commons)

Le Conseil d'État français a examiné ce vendredi une affaire rare, mais qui soulève de nombreuses questions éthiques. Mariana Gonzalez, une jeune femme espagnole, réclame le transfert vers l'Espagne, où elle réside actuellement, du sperme congelé de son mari défunt, pour effectuer une insémination. Le problème est que cette procédure est interdite en France.

Comme l'a rapporté l'AFP, Nicola Turri, son mari de nationalité italienne, était atteint d'un cancer. Craignant que son traitement ne le rende stérile, il a fait congeler son sperme en 2013. Il est ensuite entré en rémission, mais on lui a diagnostiqué une leucémie en 2015. Il a tout de même souhaité poursuivre son projet parental. Il devait se rendre chez un notaire pour donner son consentement à la procréation médicalement assistée (PMA) de son vivant. Mais il est mort « une heure avant le rendez-vous », a expliqué à l'AFP l'avocat de Mariana Gonzalez, Me David Simhon.

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Bien que les deux époux ne soient pas français, les paillettes de sperme (tubes très fins dans lesquelles est conservé le sperme) sont conservées à Paris, où résidait le couple au moment de la mort de Nicola Turri, le 9 juillet 2015. Les gamètes sont stockés au Centre d'étude et de conservation des oeufs et du sperme (Cecos) de l'hôpital Tenon.

Mariana Gonzalez demande donc à la justice française de lui remettre le sperme congelé de son mari pour effectuer une insémination post-mortem en Espagne, pays où ce type d'insémination est autorisé. Dans une interview accordée à France 2 en avril dernier, la jeune femme a expliqué vouloir « être la maman de l'enfant de l'homme de sa vie […] Pour moi le plus important c'est qu'on respecte notre volonté. »

Sa demande a déjà été refusée par le tribunal administratif. Le Conseil d'État représente donc son dernier recours en France. Ce vendredi, le rapporteur public, Aurélie Bretonneau, s'est déclaré favorable au transfert du sperme en Espagne, évoquant une situation « exceptionnelle », a précisé l'AFP.

Véronique Fournier, directrice du Centre d'éthique clinique, que nous avons contacté ce vendredi, a déclaré ne pas savoir si cette décision est « un signe vers le législateur français pour modifier la loi ou simplement un respect envers les citoyens européens présents sur notre territoire. »

D'après Le Figaro, Me Simhon soutient que le projet parental du couple était « clairement défini » et « déjà engagé ». Outre la déclaration que Nicola Turri voulait faire auprès d'un notaire, le jeune homme avait aussi écrit un testament dans lequel il accordait à sa femme le droit d'utiliser son sperme même après sa mort. Dans l'exposé de l'audience de ce vendredi, il a également été précisé que le couple avait déjà fait une tentative d'insémination infructueuse avant la mort de Nicola.

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Pour l'avocat de Mariana Gonzalez, le refus de la France d'autoriser l'exportation des gamètes vers l'Espagne est contraire à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'hommes, relatif au respect de la vie privée et familiale. D'après l'AFP, Me Simhon a affirmé que ce refus portait « atteinte à une liberté fondamentale » : le droit d'être parent au sens biologique du terme.

Un sujet en débat en France

L'Agence de la Biomédecine et l'hôpital Tenon, représenté devant le Conseil d'État par l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, défendent pour leur part une position introduite dans le Code de la santé publique par la loi du 29 juillet 1994, révisée en 2004. Elle définit que les membres d'un couple pouvant recourir à l'assistance médicale à la procréation doivent être « vivants, en âge de procréer et consentir préalablement au transfert des embryons ou à l'insémination. » « Le décès d'un des membres du couple » fait alors « obstacle » à l'insémination.

Les lois de bioéthique sont régulièrement révisées en France pour intégrer l'évolution de la recherche scientifique et les nouveaux débats qui agitent la société. Ces révisions ont été l'occasion pour des organismes d'émettre des avis sur la procréation post-mortem. Celle-ci peut se décliner de deux manières : par l'implantation d'un embryon ou par l'insémination de la femme après la mort de son conjoint.

Le Conseil d'État s'était prononcé contre le transfert d'embryons post-mortem dans un rapport publié en 2009, dans le cadre des États généraux sur la bioéthique. Il affirmait notamment que « l'enfant né d'un transfert post mortem d'embryon risquerait d'être exposé aux facteurs de déséquilibre ou de difficulté psychologique liés à la position d'enfant né du deuil. » Il stipulait par ailleurs que l'interdiction de l'insémination post mortem faisait « l'objet d'un large consensus ».

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En 2011, dans un contexte à nouveau de révision des lois de bioéthique, le Conseil consultatif national d'éthique (CCNE) avait publié un avis contraire sur le transfert d'embryons. Il assurait que pour la majorité de ses membres, ce procédé « devrait pouvoir être autorisé » sous certaines conditions, comme un délai de réflexion minimum ou le consentement de l'homme de son vivant. Cependant, le Conseil ne jugeait pas « opportun » de revenir sur l'interdiction de l'insémination post mortem. Il avançait que, pour l'enfant, « la charge symbolique d'avoir été conçu avec les gamètes d'un homme alors qu'il était déjà mort, pourrait aggraver les difficultés qu'il éprouvera déjà du fait d'être né privé d'un père. » Il insistait aussi sur « le caractère plus difficilement vérifiable du consentement du père au moment même de la procréation ».

Selon Véronique Fournier, le législateur accorde au transfert d'embryons une dimension éthique supplémentaire. « Quand vous avez un embryon constitué, l'enfant potentiel est déjà là. On doit donc décider de le détruire ou de lui donner une chance de vivre. Il garantit aussi le consentement du père. Dans le cas de l'insémination, pour le législateur, cela correspond à la création d'un orphelin dès l'origine. » Véronique Fournier assure qu'« aucun processus de révision n'est identifiable à courte échéance ». La législation française sur l'insémination post mortem ne changera donc pas dans l'immédiat. Selon elle, la France, tout en restant souveraine sur les questions de bioéthique, maintient un certain équilibre via le « tourisme procréatif ». « L'État veut que telle règle s'impose sur son territoire mais n'interdit pas à ses ressortissants de faire ce qu'ils veulent à l'étranger. C'est une soupape. »

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« L'enfant à naître n'aurait aucun lien avec la France », a souligné Me Simhon au Figaro. « Nous ne demandons pas de bouleverser la loi française. Dès lors, est-il vraiment possible de s'opposer à ce transfert ? »

Les conclusions favorables du rapporteur représentent une première étape pour Mariana Gonzalez. La décision du Conseil d'État sera annoncée dans les prochains jours. Si le délibéré du Conseil d'État s'avère négatif, Mariana Gonzalez prévoit de déposer un recours devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).

Mais le temps presse pour la jeune femme. L'insémination post mortem n'est autorisée en Espagne que dans un délai d'un an après le décès de l'homme qui en a exprimé la volonté, notamment par testament. La date limite est le 10 juillet prochain.


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Une fécondation in vitro (via Dovidena / Wikimedia Commons)