FYI.

This story is over 5 years old.

News

Un sénateur nigérian cherche à autoriser le mariage des enfants

Grâce à un vide juridique, l'âge moyen du mariage pour les filles de l'état de Kebbi, dans le nord du Nigeria, est de 11 ans.

Grâce à un vide juridique, l'âge moyen du mariage pour les filles de l'état de Kebbi, dans le nord du Nigeria, est de 11 ans. La loi est souvent manipulée et détournée à des fins malhonnêtes mais il est rare qu'un simple détail négligé dans la législation puisse toucher autant de gens si profondément.

Le paragraphe 29 de la constitution nigériane permet à tout Nigérian majeur (18 ans et plus) de renoncer à sa citoyenneté. Cependant, un sous-paragraphe de cette loi précise que les femmes ne peuvent devenir majeures que lorsqu’elles se marient, faille facile à exploiter pour tout adulte désireux de contracter un mariage avec une enfant.

Publicité

Ce problème est répandu et ne semble pas prêt de disparaître. Le 16 juillet dernier, le comité du Sénat nigérian votait en faveur de l'abolition du sous-paragraphe archaïque, apportant ainsi son soutien à la lutte contre le mariage forcé et la pédophilie. Cependant, après une importante campagne de lobbying, Ahmad Sani Yerima, sénateur du Zamfara de l'ouest, dans le nord du pays, a réussi à persuader le Sénat de revenir sur sa décision, de rétablir le sous-paragraphe en question et ainsi de rendre légal le mariage entre des hommes depuis longtemps majeurs et des filles encore très loin de le devenir.

En bon samaritain qu’il est, Yerima – qui, à l'âge de 49 ans, s'est marié avec une Égyptienne de 13 ans – a défendu ses positions. Il affirme qu'il se soucie des filles des états du nord du Nigeria, tous gouvernés selon la loi islamique, et soutient que l'abolition du sous-paragraphe en question serait blasphématoire. Selon sa définition de la foi islamique, lorsqu'une femme se marie, elle atteint automatiquement la pleine possession de ses capacités mentales, peu importe son âge. On peut donc supposer qu'il soutient l'idée qu'une fille de 9 ans mariée selon la charia serait assez responsable et intelligente pour conduire une voiture ou posséder une arme à feu.

De manière assez prévisible, un grand nombre de Nigérians sont furieux vis-à-vis du renversement de situation ; nombreux sont ceux qui crient à la manipulation et accusent Yerima d'être arrivé à ses fins grâce à la corruption et aux menaces. Ces accusations sont loin d'être sans fondement, Yerima ayant déjà eu plusieurs démêlés avec la Commission nigériane à cause de délits économiques et financiers – il a dû faire face à plusieurs accusations de détournement au cours de sa carrière.

Publicité

Sans mentionner les pots-de-vin, le président du Sénat, David Mark, affirme que les sénateurs des états du nord ont été victimes de « chantage spirituel », insinuant que s'ils ne votaient pas dans le sens de Yerima, leur loyauté envers l'islam serait remise en question. Qu'en est-il alors des sénateurs chrétiens des états du sud qui eux aussi, ont voté dans le sens de Yerima ? On peut supposer qu'ils se sont réfugiés derrière le fait que ce paragraphe de la constitution prévoyait que le gouvernement nigérian n'avait pas le pouvoir de légiférer sur « le mariage selon la loi islamique, ainsi que toute cause matrimoniale. »

J'ai discuté avec Maryam Uwais, présidente de Isa Wali Empowerment Initiative (IWEI), une association ayant pour vocation de protéger les droits des femmes et des enfants au Nigeria. Elle m'a fait la confidence suivante : « Plus de la moitié des femmes du nord sont mariées à l'âge de 16 ans et tombent enceintes dans l'année. »

La santé de ces jeunes filles est menacée par de nombreux risques, explique Maryam, le plus courant étant la fistule vésico-vaginale (FVV). Les dommages causés au pelvis entraînent un écoulement permanent d'urine de la vessie dans le vagin. Le mal n'est pas que physique : ces femmes sont par la suite exclues de leur communauté. La plupart des femmes touchées par une FVV viennent de villages isolés des états du nord, états qui manquent d’installations sanitaires, à l'instar du Zamfara de Yerima. Un chirurgien a confié au journal nigérian Vanguard que les FVV étaient courantes « là où la pauvreté et l'ignorance prédominaient » et qu'elles touchaient en priorité « les jeunes adolescentes de milieux sociaux défavorisés. »

Publicité

Le mariage des enfants contribue également à la hausse des taux d'illettrisme chez les jeunes filles du nord du Nigeria. Selon des statistiques présentées en avril par Lamido Sanusi, gouverneur de la Banque centrale, 93 % des filles de la région n’auraient pas accès aux études secondaires. Dans le nord-ouest, 70 % des femmes âgées de 20 à 29 ans ne savent pas lire, contre 9,7 % dans le sud-ouest du pays.

De manière assez révélatrice, les hommes impliqués dans ce type de mariage éprouvent le besoin de justifier leur comportement afin de calmer leurs accusateurs. Ils semblent affectionner deux excuses en particulier. La première tient du fait que les maris signent tous une promesse de ne pas avoir de relation sexuelle jusqu'à ce que leur femme atteigne la puberté – mais bon, le fort taux de viols d'enfants et d'esclavage sexuel dans la région semble indiquer que c’est un peu pourri. La deuxième est que le prophète Mahomet, lequel arpentait cette terre il y a 1 400 ans, tolère leurs actions.

En effet, l'argument de Yerima pour justifier son mariage à la jeune fille de 13 ans, Aisha, est le suivant : « L'histoire nous dit que le prophète Mahomet s'est également marié à une jeune fille. De fait, je n'ai enfreint aucune loi. » Cependant, Sheikh Abdullah al-Marie, haut dignitaire saoudien, a publiquement qualifié l'argument de Yerima de fallacieux, ajoutant que « le mariage d'Aisha et Yerima ne [pouvait] être assimilé aux autre mariages entre adultes et jeunes adultes d’aujourd’hui, car les conditions et les circonstances [étaient] totalement différentes. »

Publicité

Les dernières recherches de l'UNICEF indiquent qu'entre 2007 et 2011, le nombre de filles nigérianes mariées avant l'âge de 15 ans avait augmenté de 5 %. Ce pourcentage a augmenté malgré la Convention des droits de l'enfant (CDE) créée en 2003, qui stipule que l'âge de la « majorité » est de 18 ans. L'une des raisons potentielles est que seuls 24 des 36 états du Nigeria ont adopté la CDE, bien que l'UNICEF redouble d'efforts pour soutenir et surveiller l'entrée en vigueur de la convention dans tout le pays. Mais, sans le support légal qu'ils étaient sur le point d'obtenir avec l'abolition du sous-paragraphe, la tâche risque de ne pas être facile.

Plus de stories au Nigeria :

AU NIGERIA, LES PASTEURS SONT MILLIONAIRES

VACCINER CONTRE LA POLIO PEUT VOUS COÛTER LA VIE

ENCORE UN LUNDI DE MERDE À LAGOS