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Drogue

L’homme qui n’avait jamais fumé de weed

Jamen Shively ne fume de l’herbe que depuis un an et demi, mais on dirait bien qu’il a rattrapé le temps perdu. Aujourd’hui, ce fin connaisseur du cannabis est en voie de devenir un magnat de la marijuana aux États-Unis.

Jamen Shively, 45 ans et ancien cadre de Microsoft, a décidé de se lancer dans la création de la première marque américaine de marijuana, l'herbe Diego Pellicer. L’usage récréatif de cette dernière a été légalisé fin 2012, pour la première fois aux États-Unis, dans les États de Washington et du Colorado.

Jamen Shively ne fume de l’herbe que depuis un an et demi, mais on dirait bien qu’il a rattrapé le temps perdu. Aujourd’hui, ce fin connaisseur du cannabis est en voie de devenir un magnat de la marijuana aux États-Unis. L’ancien cadre de Microsoft, 45 ans, va jusqu’à attribuer la conception même de son projet de start-up à l’influence édifiante de la ganja de qualité supérieure. Plus précisément, l’idée lui serait venue lorsqu’il s’est allumé un pilon de sativa plutôt puissante lors d’une réunion d’affaires exploratoire en novembre dernier, seulement quelques jours après que les électeurs de l’État de Washington ont voté en faveur de la légalisation de l’herbe.

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« J’ai sorti ma beuh, la meilleure des meilleures », se rappelle-t-il en pensant à cette journée fatidique. « On l’a fumée et les concepts dont on a parlé étaient tout simplement incroyables. C’était hors norme. On a conclu qu’il fallait bâtir cet empire mondial et être acteurs de ce marché qui allait rapidement se chiffrer à des milliers de milliards de dollars. On a brainstormé tous les aspects possibles, la chaîne logistique, le financement, la géopolitique, le lobbying, la génétique et même les serres. On s’est rapidement aperçu que c’était une véritable mine d’or. »

Lecteur assidu de la Bible du monde des affaires, Les 22 lois du marketing, Shively croit fermement qu’il est préférable d’être le premier dans l’esprit des gens que le premier sur le marché. Ainsi, avant même que les Américains n’aient eu vent de la légalisation, il a commencé à dire à la presse qu’il allait créer la première marque nationale de marijuana des États-Unis. Selon lui, sa toute nouvelle entreprise emploierait bientôt 10 000 personnes, tout en « produisant plus de millionnaires que Microsoft ».

« En fait, ça devient un cercle vertueux, m’a-t-il expliqué au téléphone. Plus je fais de déclarations scandaleuses – de vraies déclarations –, plus je gagne en notoriété et je peux discuter de mes projets avec des plateformes de plus en plus importantes. Après tout, de quelle compagnie de weed parle-t-on tous aujourd’hui ? Celle qui est dirigée par un ancien givré de Microsoft qui fait tout un tas de déclarations scandaleuses. »

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Examinons trois des déclarations que Shively a utilisées pour faire la promotion de sa marque, Diego Pellicer, d’après le nom de son grand-père, un cultivateur de chanvre du XIXe siècle.

« Le cannabis Diego Pellicer sera vendu au détail à 50 $ [environ 38 €] le gramme. »

C’est comme si Shively annonçait qu’il voulait créer le Starbucks de la marijuana (ce qu’il a en fait vraiment dit), sauf que sa chaîne nationale de café fera payer trois fois plus cher que les torréfacteurs les plus chers des États-Unis. Lorsque je lui ai demandé s’il pratiquait des prix aussi élevés pour se placer sur le marché du luxe, il m’a répondu : « Absolument pas. Écoute, mec. On ne parle pas de prendre un Bic Mac et l’emballer dans du papier alu en or. On parle d’une valeur basée sur la qualité du cannabis. Moi, quand je fume un pétard, je ne veux pas planer juste un peu. Je veux que ce soit une expérience de plusieurs heures… On vit dans un pays où même la classe moyenne ne se contente que du meilleur, pas moins. Et ce qu’on considère comme la marijuana de qualité supérieure sur le marché d’aujourd’hui n’est rien comparé à ce qu’on fait, nous. »

Ce à quoi je ne pouvais que répondre : « Je suis vraiment impatient de tester du cannabis qui trois fois meilleur que le meilleur cannabis que j’aie jamais goûté. » (Et Jamen, je serai à Seattle mi-septembre.)

« La Marijuana sera légale dans les 50 États, dans deux ans, grand max. »

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J’ai entendu Shively faire cette prédiction pour la première fois lorsqu’il a participé à un Huffington Post Live. Il a même promis à l’animateur incrédule que s’il avait tort, il lui paierait « un billet d’avion en première classe jusqu’à Seattle. On se posera chez moi, on bédavera et vous aimerez ça. »

Honnêtement, j’ai du mal à trouver une métaphore pour expliquer à quel point il est peu probable que cette prédiction s’avère. J’essaie quand même : si Barack Obama tenait une conférence de presse demain matin en portant un pin’s représentant une feuille de cannabis à la place du drapeau américain, tout en nommant Willie Nelson à la tête de la DEA, je serais quand même donné perdant à 18 contre 1 si je pariais sur la légalisation du cannabis dans les 50 États d’ici 2015.

Photo : David Mesford

« On ne va pas se concentrer sur les fumeurs de joints. Nos prix sont trop élevés. Ainsi, notre marché cible sera les citoyens respectueux de la loi qui seront consommateurs de cannabis pour la première fois. »

Cette déclaration prend une dimension absurde quand on sait que Shively a également déclaré que Diego Pellicer sera le plus grand distributeur de cannabis du pays en sécurisant une part de marché de 40 % de ventes quotidiennes de marijuana récréative et médicinale dans tous les États où ces dernières sont légales. Tout ça, en pourvoyant aux besoins de clients qui n’ont jamais fumé d’herbe dans leur vie, mais qui ont un paquet d’argent à dépenser là-dedans.

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Je ne suis pas expert en études de marché ou en démographie, mais j’ai l’impression que Jamen Shively s’est fait l’image de sa cible marketing en se contentant de se regarder dans le miroir. Je doute que Starbucks ait bâti son empire en se concentrant sur les buveurs de café novices.

La Connexion mexicaine

Plus récemment, toujours en quête de notoriété, Shively a tenu une conférence de presse avec Vicente Fox, l’ancien président mexicain, qui a exprimé de manière éloquente son envie de voir la marijuana légalisée aux États-Unis, afin de diminuer les actes de violences des cartels internationaux de la drogue, qu’il attribue principalement à la prohibition. Bien que Fox ne semble pas avoir d’intérêt direct chez Diego Pellicer ou dans l’industrie du cannabis en général, son apparition aux côtés de Shively a été largement relayée par les médias, alimentant les rumeurs selon lesquelles la marque de l’ancien cadre de Microsoft pourrait importer ses produits au-delà de la frontière sud du pays.

« La question de l’éventualité d’un accord avec le Mexique a pris une telle ampleur que ça prend une tournure marrante », m’explique Shively une fois que le brouillard se dissipe. « Depuis le début, je dis juste que nous faisons face à une question de grande ampleur qui pourrait nécessiter une solution tout aussi importante. Nous devons garder une ouverture d’esprit, autrement nous courrons le risque de prendre des décisions impulsives. »

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C’est une expérience intéressante à long terme, il n’y a aucun doute là-dessus. Mais peut-être que Shively devrait la garder dans une arrière-salle enfumée jusqu’à ce que le FBI mette enfin un terme à sa guerre contre la weed.

Lorsque je lui ai demandé si les projets de Shively pouvaient être vus comme une forme de provocation par le département de la Justice américain, Mark A.R. Kleiman, professeur de politiques publiques à l'université de Californie à Los Angeles, m'a répondu : « Il passe son temps à provoquer tout le monde. » Communément surnommé le « Tsar de l’herbe » de Washington, Kleiman conseille le Liquor Control Board étatique (Groupe de contrôle des spiritueux) sur la question de la marijuana récréative. Cela inclut notamment la création d’un système qui aborde de manière adéquate la volonté souvent exprimée par le gouvernement fédéral d'éviter l’augmentation du nombre d’entreprises qui font commerce de marijuana à grande échelle, dans plusieurs États.

« Alors passer à la télé pour annoncer la création d’une telle entreprise, ça n’aide certainement pas la cause, ajoute Kleiman. En fait, ça n’est cohérent avec aucune stratégie marketing sensée. Les gens qui débutent dans ce business vont se retrouver dans une situation très ambiguë. Je leur conseillerais de faire profil bas au lieu d’organiser une conférence de presse avec Vicente Fox. »

Après avoir souligné qu’il ne me parle pas au nom de l’État de Washington, mais en tant qu’universitaire et blogueur, le dénommé tsar de l’herbe conclut notre conversation en disant des trucs moins sympas sur le modèle économique de Diego Pellicer :

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« Je pense que le but n’est pas de vendre du cannabis mais de vendre des actions, spécule Kleiman. Je n’ai pas de preuves mais ça serait parfaitement cohérent. Simplement, qu’il s’agisse ou non de faire sa propre promotion, ce type est soit fou, soit abruti. Parce qu’on dirait qu’il vous échangerait le Brooklyn Bridge contre le Verrazano Bridge. »

Zéro risque, beaucoup de retours sur investissement

Peut-être que l’argument de vente central que Shiveley a utilisé pour attirer des investisseurs potentiels, c’est que sa marque offre un premier accès « sans risque » à la production et la distribution de marijuana – qui sera lucrative, c’est évident – sans se brouiller avec les autorités.

« La prison ne fait plus partie de l’équation », dit-il. Quand je lui demande comment c’est possible au vu des lois fédérales, Shively m’explique qu’ils ont dépensé plein de thunes en frais juridiques pour parvenir à établir une « structure de négociation » brevetée qui lui permet d’acquérir des dispensaires de marijuana médicinale et des commerces d’herbe récréative à travers le pays, sans violer de lois.

« Quand ce sera assez légal pour qu'on puisse en être entièrement propriétaires, nous le serons. D’ici là, nous allons opérer d’une toute autre manière ».

La première acquisition de Diego Pellicer était un centre d’accès à la marijuana médicinale basé à Seattle, du nom de North West Patient’s Resource Center. Ce centre bénéficie d’une excellente réputation au sein de l’industrie et parmi les législateurs de l’État de Washington. Son PDG, John Davis, milite fermement pour une réforme de la législation concernant la drogue depuis des décennies. En 2008, l’Organisation nationale pour la réforme des lois sur la marijuana (National Organization for the Reform of Marijuana Laws) lui a codécerné le prix de l’activiste pour le cannabis de l’année, après qu’il a aidé l’organisation du Seattle Hempfest. Il est actuellement directeur exécutif de la Coalition pour des normes et une éthique du cannabis (Coalition for Cannabis Standards and Ethics).

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Quand je lui ai posé des questions sur la relation qu’il entretenait avec Jamen Shively, il m’a répondu qu’ils s’étaient « mariés », dans le sens des affaires, seulement trois mois après leur première rencontre.

« On avait chacun ce dont l’autre avait besoin, m’explique Davis. Je connais la loi, les politiques, les procédures, le paysage politique et la meilleure façon dont il faut amener ce produit-là sur le marché. Jamen a accès au financement et moi, j’ai besoin de bâtir une infrastructure. »

Pendant ce temps, Shively affirme qu’il cherche déjà à acquérir d’autres points de vente dans le Colorado et en Californie, acquisition qu’il fera dès qu’il aura collecté des fonds à hauteur de 10 millions de dollars. Le patron de Diego Pellicer explique qu’il atteindra ce montant sans problème, bien que l’état actuel de ses finances reste confidentiel, tout comme les détails de sa structure de négociation brevetée grâce auxquels il peut visiblement diminuer les risques qu’il prend à travers son entreprise.

En tout, il espère collecter jusqu’à 100 millions de dollars pour financer totalement sa compagnie. Ou peut-être pour acheter deux millions de grammes du truc apparemment incroyable qu’il fume.

David Bienenstock est l’auteur du livre Legalized It !

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