Life

Que veulent les gens qui likent vos posts en masse ?

Réclament-ils juste de l'attention ? Ou y a-t-il quelque chose de plus en jeu ?
Katie Way
Brooklyn, US
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
likes réseaux
Illustration : Katie Way 

Il est devenu difficile de se faire remarquer en ligne. L'époque où nous étions tous à deux doigts de devenir des superstars de l'Internet rien qu’en prenant la défense de Britney (sans vouloir offenser Chris Crocker, qui avait objectivement raison) est révolue. Nous passons tellement de temps à interagir les uns avec les autres sur les réseaux sociaux que tout se confond parfois en un gloubi-boulga de blagues recyclées, d'autopromotion et de dragouille maladroite. Nous recevons tellement de notifications par jour – génial, Chipotle se soucie de ma santé mentale – que pour que quelque chose se démarque, il faut que ce soit vraiment nouveau, vraiment accrocheur. 

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Le geste qui ne passe pas inaperçu ? Liker toutes les publications de quelqu'un à la suite, depuis les posts actuels jusqu’aux photos de l’époque avec le filtre Valencia. Je me suis retrouvée suffisamment de fois à l’autre extrémité pour avoir besoin de savoir : que veulent ces gens ?

D'après mes recherches, l’avalanche de likes se répartit en trois grandes catégories. Il y a le stratagème marketing des marques qui se battent pour attirer l'attention du destinataire du like en s'invitant dans ses notifications ; il y a le « c’est cool de t'avoir rencontré hier soir ! » typique d'un nouvel ami potentiel ou d'une nouvelle conquête ; et enfin, il y a l’inconnu intéressé qui attend un double-tap (ou plus) en retour avant de passer à l’étape suivante : les DM.

Je ne veux pas me vanter, mais je semble être la cible de ce genre de manœuvre : je bosse dans les médias, je suis fêtarde et plutôt sexy. Alors, évidemment, j'ai fait ce qu’aurait fait n'importe qui d'autre se trouvant à cette intersection particulière d'identités : j’ai exploité mes réseaux sociaux pour trouver du contenu. Voici ce que les super-likers avaient à dire.

La nouvelle rencontre

L'échange de comptes Instagram à la fin d'une soirée était de rigueur avant la pandémie, et maintenant que les bars et les restaurants ont rouvert, ce comportement a repris en force, et les likes ont suivi. « S’il m'arrive de donner beaucoup de likes à quelqu'un, dans 50 % des cas, c'est purement platonique, dans 35 % des cas, c’est pour attirer son attention, et enfin, dans 15 % des cas, c’est parce que je pense sincèrement que la personne est cool ou mignonne et que j'aimerais aller plus loin », me confie Chris Connors, qui bosse comme responsable des réseaux sociaux et qui a le like facile. 

Cette avalanche de likes peut être la suite d'une chouette conversation que vous avez eue lors d'une fête, où vous avez estimé que l'échange de numéros était trop formel (et franchement, vous auriez été incapable de vous souvenir du nom de la personne), ce qui prépare le terrain pour une future proposition du type « Ça te dit d’aller boire un verre un de ces quatre ? » Contrairement à la situation embarrassante d'antan où un « like » accidentel menaçait d'exposer votre activité, cette tactique consiste à indiquer ouvertement que vous regardez le fil d'actualité de cette personne et que vous aimez ce que vous voyez.

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Connors dit que lorsqu'il donne beaucoup de « likes » à une personne qui l'intéresse, il le fait au bon moment, à savoir le lendemain de la rencontre, afin de ne pas passer pour un type louche. « Si vous le faites des semaines après vous être abonné au compte de quelqu’un, ça va paraître suspect. Qu'est-ce qu’il mijote ? A-t-il rêvé de moi ? Pourquoi fait-il ça au lieu d'interagir avec mes stories ou de m'envoyer des DM ? » En effet, pourquoi ?

La beauté de la vague de likes réside dans sa facilité : cela ne prend que quelques secondes et permet de vous faire remarquer sans être intrusif. Connors dit qu'il regarde aussi de temps en temps les anciens posts (comme ceux du début des années 2010) pour rendre l'interaction un peu plus facile. « J’aime faire défiler jusqu'au premier post et aimer une photo idiote de la personne avec son chien. »

C'est probablement la forme la plus efficace et la moins intrusive de l'avalanche de likes. C’est un peu comme si vous léchiez numériquement les bottes de vos nouveaux potes rencontrés la veille dans les chiottes du bar. 

« J’adore Twitter, mais je ne suis que des inconnus qui partagent les mêmes pensées que moi, dit Connors. Sur Instagram, je suis des personnes de mon cercle social, donc si je vous suis sur Instagram, ça veut dire que j’ai envie de vous avoir dans ma vie, que ce soit sous forme platonique ou autre. »

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Considérez ces likes comme un retour à la vie publique, à la socialisation maladroite et à l'euphorie qui l'accompagne.

L’inconnu en rut

Bien sûr, tout le monde ne like pas des posts Instagram pour se faire des amis. Parfois, l'explication la plus simple d'un comportement est la bonne : il s'agit d'une tentative de rapprochement de la part d'un inconnu qui est trop poli ou trop fier pour vous envoyer un message privé.

« Attends, tu veux dire que tout le monde ne fait pas ça ? me dit John (qui est devenu plus qu'un simple étranger avec lequel j'interagis). Mais, vraiment, je ne pense pas que ce soit nécessairement une tactique, mais plutôt une tentative d'attirer l'attention de quelqu'un. Parfois, je ne remarque même pas un nouveau follower, alors je trouve que c'est une manière douce de savoir que quelqu'un vous trouve mignon. » 

Cette stratégie vient tout droit de Tinder et Grindr, ou de toute autre application de rencontres qui vous permet de lier votre profil Instagram à votre compte pour prouver qu'il y a une vraie personne derrière l'écran. C'est beaucoup moins agressif que des messages privés du type « T’as swipé à gauche ???? » mais plus assertif qu'un follow innocent. John estime que son taux de réussite se situe autour de 50/50 et qu'il s'agit d'un moyen moins compliqué d’attirer l'attention d’une personne tout en la valorisant.

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Ce n'est peut-être pas la façon dont j'utilise Instagram, mais pour certaines personnes, c'est quelque chose de normal. « C’est la stratégie IG. Tu suis une fille et tu aimes quelques unes de ses photos. Si elle est intéressée, elle fera de même et attendra que tu lui envoies un DM. Si tu es moche, elle te gardera dans ses requêtes et fera comme si elle ne l'avait jamais vu », me dit un certain Kev, avant de préciser que « des filles lui ont déjà dit des obscénités par message ». Je suis absolument ravie pour lui.

Le gigolo des réseaux

Ma story Instagram dans laquelle je sollicitais des sources pour cet article a suscité une réaction inattendue de la part d'un certain groupe de personnes : les journalistes musicaux, dont les notifications sont apparemment surchargées d'avalanches de likes de personnes cherchant à faire l'objet d'un article. « Je ne sais pas pourquoi c'est devenu LE move à faire, me dit l'un d'eux. J'ai toujours pensé que c'était un truc de robot. » D'autres personnes, en particulier celles qui écrivent ou produisent du contenu en ligne, connaissent des expériences similaires avec des RP qui veulent les briefer ou des marques qui rivalisent pour un post publicitaire – un substitut au commentaire classique « DM pour une collaboration ».

Parmi les autres utilisateurs qui distribuent leurs likes en masse, il y a ceux qui cherchent simplement à entrer en contact avec les grands comptes de leur communauté. Matt Liebergall, qui possède un petit compte Instagram consacré à la photographie (et qui, soit dit en passant, est un bon ami à moi), me dit qu'il a essayé cette tactique à quelques reprises sur des comptes photo comptant plus de cent mille followers, dans l'espoir de se faire remarquer. « Pour être clair, il s'agit de 3 à 5 likes et d'un commentaire ou deux, s’empresse-t-il de souligner quand je commence à me moquer de lui. Je like quelques posts récents et je pose une question du style "Quel appareil photo utilisez-vous ? Quelle est la distance focale ?’ »

Si l'on en croit l'irritation des personnes qui reçoivent ces likes et l'expérience de Liebergall, on peut conclure qu'il s'agit de la version la moins efficace de cette tactique. « Cela a fonctionné dans 0 % des cas, dit-il. Je n'ai jamais eu de retour. Je n'ai essayé ça que quelques fois, je le jure. »

L’objectif évident de l'avalanche de likes est de voler un peu d'attention à une personne en lui donnant ce qu’elle veut – ce que nous voulons tous – lorsqu'elle publie un post : un peu de validation, un peu de sérotonine, la confirmation que le message a été reçu. Il se peut que cela ne « marche » pas toujours lorsque vous voulez pousser l'interaction à quelque chose de plus hors ligne, mais c'est si facile à faire que cela vaut la peine d'essayer.

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