Go Club Med

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reportage

Sea, sex and sun : j’ai été GO au Club Med

Pendant sept ans, j'ai été ce mec qui sait amuser les enfants la journée, et rentrer avec leur mère célibataire le soir.

J'ai commencé à travailler au Club Med un peu par hasard, au début des années 1990. J'ai fini par y passer sept ans en tant que « Gentil Organisateur », ou GO, ce mec dont le job est de divertir les vacanciers en leur proposant des activités – sportives ou autres, le plus souvent autres. Contrairement à ce que certains pourraient croire, c'est loin d'être un boulot facile. Rétrospectivement néanmoins, ce furent les plus belles années de ma vie.

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Le concept de village-vacances a été inventé au retour de la Seconde Guerre mondiale, en 1950, et le Club Méditerranée, ou Club Med, fut l'une des premières chaînes d'hôtels à investir sur le filon « tout compris », profitant gaiement du paysage afin de créer de toutes pièces un monde de vacanciers idyllique où, en gros, tout est open bar. Consciente des possibilités offertes par la consommation (gratuite) et le plaisir sexuel estival, la chaîne a inventé une nouvelle forme de tourisme, principalement basé sur ces deux formes de bonheur, le tout trempé dans une ambiance club de gym à la coule, relax, en bord de mer.

Cet axe vacances-baise-beaufs fut porté au cinéma dans Les Bronzés en 1978 par Patrice Leconte, imprimant une fois pour toutes l'image – en outre assez vraie – « Sea, sex and sun » du Club Med dans la conscience collective française.

Quant à moi, tout a commencé dans un bus du sud de la France, à Marseille pour être exact. Je prenais la navette pour me rendre au Vieux Port lorsque j'ai vu mon cousin monter à l'arrière de l'engin. Je ne l'avais pas vu depuis près d'un an. On a discuté, et il m'a dit qu'il bossait en tant que GO dans un Club Med quelque part en Grèce et que c'était, selon lui, « la planque parfaite ».

Pendant les trente minutes de trajet, il m'a expliqué en gros ce qu'il y faisait : prendre en charge les vacanciers durant leur séjour, encadrer les groupes lors de leurs sorties, animer les différents repas et chauffer les pistes de danse. Mais surtout, il n'a pas arrêté de me parler du bon temps qu'il y passait, des nanas qu'il « tirait » et des plages paradisiaques sur lesquelles il bronzait. Mon cousin en a toujours rajouté des tonnes, mais là ça avait l'air vrai jusque dans les moindres détails – et au pire, si seulement un tiers de ce qu'il me racontait était vrai, ça m'allait de toute façon.

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Car de fait, tout n'allait pas pour le mieux dans ma vie. J'avais 22 ans et j'habitais toujours chez mes parents. Mon seul diplôme était un BEP d'éducateur sportif. Finir moniteur de sport dans un hôtel paradisiaque d'un pays nouvellement entré dans la Communauté européenne constituait certainement la meilleure solution. J'avais déjà pas mal vadrouillé, mais somme toute très peu en dehors de la France. Il fallait que j'aille voir ailleurs. Et plus j'y réfléchissais, plus je me disais que mon cousin avait raison. Ce job était le plan du siècle.

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Photo via Flickr.

Je n'ai rien contre la réputation de beauf qui entoure le Club Med aujourd'hui, mais il y a vingt-cinq ans, j'ai l'impression que c'était tout de même plus haut de gamme. Ou en tout cas, moins naze que dans Les Bronzés. Certaines scènes du film – et surtout celles de Popeye, personnage de GO joué par Thierry Lhermitte – sont assez caricaturales, même si elles demeurent tout de même assez justes. Le film, comme nombre d'autres Français, fut mon point d'entrée dans l'établissement et son ambiance. Cette vie m'allait ; c'était paisible et vicieux à la fois. J'ai donc finalement décidé de me lancer dans l'aventure. J'ai pris rendez-vous au siège parisien du Club Med et j'ai acheté un billet d'avion pour Paris. J'avais un entretien d'embauche au siège une semaine seulement après mon premier coup de fil.

Durant la matinée, on m'a offert une rétrospective historique du Club Méditerranée et de son fonctionnement, de son esprit, de ses règles. On m'a présenté la vie au sein du village, les journées de travail – 6 jours par semaine et un seul jour de repos – et la paye : celle-ci approchait les 5 000 francs nets – 800 euros environ –, mais on était nourris, logés, et blanchis. Je n'avais pas d'objection à apporter. Dans l'après-midi, l'entretien individuel s'est également bien passé. Les questions posées étaient pour le moins basiques et selon leurs critères, j'avais les compétences sportives requises. J'ai eu le job.

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Je suis parti la semaine suivante pour l'Espagne. J'étais officiellement « responsable sports terrestres » pour la chaîne, et je prenais ça très au sérieux. En réalité, il s'agissait de mon premier vrai boulot.

C'est en faisant ce job saisonnier que j'ai compris que les hommes et les femmes étaient des machines à forniquer.

La côte espagnole est un endroit magnifique. L'hôtel aussi, me semblait majestueux, divisé en un certain nombre de petits baraquements, ou cases – mon cousin m'avait dit que c'était là où il y avait « le plus d'ambiance ». Ça partait bien. Je suis arrivé, on m'a filé mes vêtements de boulot et on m'a attribué une piaule. Je commençais le surlendemain. Avant de débuter officiellement, j'ai rencontré mes futurs collègues : des Belges, des Français, et quelques Allemands. J'ai discuté avec quelques GM (pour Gentils Membres), histoire d'établir avec eux un premier contact, puis je me suis rendu à la salle de spectacle afin d'apprendre les chorégraphies imposées. Dans tous les villages Club Med, il y a un spectacle tous les soirs réalisé par les GO. Ce spectacle foireux dure entre 30 et 45 minutes et fut peut-être la seule chose qui m'a fait chier au moment de signer le contrat.

En tant que GO, il fallait donc que j'apprenne les gestes fondamentaux pour ne pas me foirer sur la scène devant mon boss, le Chef de village. Dans l'ensemble, ces danses requises sont des chorées débiles où il est question de bouger en cadence les bras, les jambes et le bassin. C'est ça « l'esprit Club Med ». Les GO doivent assurer la présence et l'ambiance de la salle. J'ai soufflé et me suis dit qu'il fallait passer par là pour ensuite aller choper dans la boîte de nuit de l'hôtel. C'était le deal, et il me semblait juste.

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À cette époque, une journée type de boulot au Club Med se résumait à se lever à 9 heures, prendre son petit-déjeuner, préparer l'activité du matin, mettre en place les jeux café, prendre son déjeuner en deux-deux, organiser l'activité sportive de l'après-midi, se mettre aux jeux apéro, participer au spectacle en soirée, et finir par aller mettre l'ambiance pendant une heure au night-club. C'était dur. Lorsque la journée était trop brutale, j'allais me coucher vers une heure du matin afin de pouvoir dormir le plus longtemps possible. Mais la plupart du temps, et comme tout jeune de 22 ans qui se respecte, je restais jusqu'au petit matin à la discothèque. Je profitais de mon statut de GO pour aller tchatcher les nanas et les ramener à la case. Ce plan fonctionnait.

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Photo via Flickr.

C'est en faisant ce job saisonnier que j'ai compris que les hommes et les femmes étaient des machines à forniquer. Déjà, il faut se rendre à l'évidence : il est très facile de choper au Club Med. Tout le monde est en vacances, pour une semaine, et en conséquence, tout le monde s'éclate, baise, et aucun n'a jamais envie que l'histoire se prolonge. C'est la définition même du sexe pour le sexe. En outre, les gens déambulent à moitié à poil à longueur de journée, ce qui facilite les rapports. Le soleil brûle les peaux et les veines : tout le monde a le sang chaud.

C'est la première fois que je voyais autant de gens baiser n'importe où, et notamment, sur la plage. De mon côté, je pense avoir explosé tous les records au cours de mes sept années passées là-bas. Je me tapais deux nanas par semaine en moyenne. Sur sept saisons, ça fait beaucoup. Ça fait plus de cent par an, et environ 750 en tout. Puisqu'au Club Med tout est standardisé – tenues, salaire, train de vie, etc. –, le seul moyen de se comparer aux autres GO est de faire l'addition des nanas que l'on ramène. C'était même notre jeu principal. Quand j'y repense, c'était vraiment un monde à part.

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Le Club Med m'a aussi fait réaliser un autre truc : la thune ne fait vraiment pas le bonheur. Déjà, l'argent n'achète rien là-bas, vu que tout est compris. Et au fil des jours, on réalise que lorsque l'argent est placé en dehors de l'équation de la vie quotidienne, chaque être humain se sent réellement plus libre. Je gagnais le SMIC et c'est pourtant le moment de ma vie où je me suis le plus amusé, et ce, même si la charge de travail que l'on nous donnait chaque jour était ultra élevée.

En effet, la cadence du taf est vraiment difficile à suivre au bout d'un moment. Le plan, c'est de profiter plus des rares days-off que l'on peut avoir. Quand je ne bossais pas, j'étais épuisé, et je ne faisais pas grand-chose, voire rien. Mes occupations se résumaient à dormir, aller à la piscine, me balader sur la plage, me la couler douce sur la plage, et me rendormir. Je ne connais quasiment rien des villes dans lesquelles les villages-vacances étaient implantés. Je restais enfermé dans ce cocon douillet.

En 1990 en Espagne, je suis resté quatre mois à l'hôtel. Généralement, on reste entre quatre et sept mois dans un hôtel, avant de changer. Après un transfert via Paris, je suis parti vers une nouvelle destination : la Grèce. Ensuite j'ai fait la Turquie, les Bahamas, et le Sénégal, avant de refaire une virée en Turquie afin de, comme je l'ai souvent dit, finir en beauté .

La Turquie en 1997 fut la destination la plus dingue que j'ai jamais faite. J'y suis resté neuf mois en tout, avec un passage à Paris entre deux missions. C'était au Club Med de Bodrum, une espèce de Saint-Tropez turc. Les clients étaient ouverts et le soir, tout le monde avait envie de faire la fête dans les boîtes de nuit du Club. Pour ma part, après six ans dans le segment, je connaissais chaque profil de vacanciers, maîtrisais tous les codes et possédais tous les bons plans. En somme, j'évoluais dans un environnement à mon avantage. Je savais comment amuser les jeunes la journée, et rentrer avec leur mère célibataire le soir. Je participais ainsi au bonheur de deux générations en seulement 24 heures.

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Pour être tout à fait honnête, quoique je ne me reconnaisse pas tout le temps dans ce que j'ai fait, ça me fait sourire quand j'y repense aujourd'hui. J'étais jeune et je profitais de l'occasion pour me faire plaisir. Le Club Med est une sorte d'espace étrange où tout semble permis, et c'est sûrement lié au fait qu'on ne côtoie que des gens en vacances, donc libidineux, pour des temps très courts : entre sept et quatorze jours. Ce que les vacanciers veulent en se rendant là-bas, c'est décompresser de leur job en Europe et prendre du bon temps : la plage, la piscine, les boissons gratuites, le sport en plein air, le soleil et bien sûr, la baise y participent.

Tout ça pour dire qu'après sept ans passés à faire le GO autour du monde, j'étais au top. Cependant, il y a une vie après ça. Il fallait nécessairement que j'aille voir ailleurs. Si on s'attarde trop dans une bulle telle que celle du Club Med, il est possible de ne pas en sortir – ou d'en sortir sans proposition de boulot. Sept ans c'était le maximum. J'avais 29 ans. Il fallait que je trouve quelque chose sur le long terme. C'est pourquoi lorsque j'ai eu une proposition de job en France, à Paris, j'ai accepté sans hésiter.

Les transitions ne sont jamais simples – et celle-ci encore moins. Le retour à la vie normale fut difficile car là-bas, on est pris en charge de A à Z dans les hôtels. J'ai appelé ça mon retour à la vie civile . Quand je suis revenu en France, les potes que je croisais n'arrêtaient pas de me dire « t'as dû bien t'amuser en tant que GO » avec un clin d'œil salace. Mais malgré tout, il faut savoir rentrer chez soi, guérir de ce style de vie et trouver une certaine stabilité.

Depuis, je n'ai plus foutu les pieds dans un Club Med ; en tant que GO, bien sûr, mais même pas en tant que GM. Les conneries, passé un certain âge, c'est fini.

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