Feriel model
par Rosario Rex Di Salvo. Feriel porte Just Cavalli spring/summer '19 

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Culture

Feriel Moulaï, la modèle belge qui porte le hijab mais refuse d'être résumée à ça

On a passé l'après-midi en compagnie de la mannequin belge diplômée en biochimie pour parler de l’évolution du secteur de la mode.

S'il y avait un mot qu'on aimerait utiliser pour définir l'industrie de la mode contemporaine, ce serait « diversité ». On utilise ici le conditionnel car il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour parvenir à une véritable inclusivité, mais il est agréable de voir que les choses changent (même si cela se passe très lentement). Sur le podium, on ne voit plus tout le temps les mêmes mannequins, et les grands magazines mettent de plus en plus l'accent sur des types de beauté qui vont au-delà de nos normes préétablies.

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La « modest fashion », ou mode pudique, est un domaine qui suscite de plus en plus d'intérêt : les marques, les stylistes et les mannequins accordent de plus en plus d’attention au style des femmes musulmanes. Un des visages les plus fascinants et les plus frais de ce mouvement est Feriel Moulaï, une jeune mannequin belge qui a fait ses débuts sur le podium il y a quelques mois lors de la Fashion Week de Paris. Nous sommes allés à sa rencontre afin qu'elle puisse nous en dire plus sur ce que c'est que d'être mannequin et porter un hijab en 2019.

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VICE : Salut Feriel, quand as-tu décidé de devenir mannequin ?
Feriel : La première fois que j'y ai pensé, je devais avoir environ cinq ou six ans, mais ce n'était pas vraiment un rêve, plutôt un objectif que je m'étais fixé. Avec le temps, j'ai mis cet objectif de côté car je pensais que ce n'était pas la bonne direction pour moi. J'ai donc obtenu mon diplôme en biochimie et en pharmacologie, mais je n'arrêtais pas de me demander comment ma vie se serait déroulée si j'étais devenue mannequin professionnelle.

« J'ai vu ces magazines dans lesquels les mannequins posaient avec un hijab, pour découvrir par après qu'elles ne le portaient même pas au quotidien et n'étaient bien souvent même pas musulmanes. »

Puis, il y a environ deux ans, j'ai réalisé que le secteur de la mode pudique se développait de plus en plus. J'ai vu tous ces magazines dans lesquels les mannequins étaient photographiées avec un hijab, pour découvrir par après que, dans la vie quotidienne, elles ne le portaient même pas et qu'elles n'étaient bien souvent même pas musulmanes. Alors je me suis dit : pourquoi je ne pourrais pas moi-même être dans ces magazines, vu que je porte le hijab tous les jours ? C'était exactement le genre de femme que je voulais représenter, parce que c'était normal pour moi.

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J'ai donc commencé à y réfléchir plus sérieusement, jusqu'à ce que je décide de constituer un porte-folio et de me présenter dans certaines agences. Tout le monde m'a dit que je pouvais devenir modèle, alors j'ai tenté ma chance et tout s'est bien passé. J'ai quitté Bruxelles pour Londres, parce que c'est une ville où tout est possible, surtout si vous n'êtes pas la caucasienne classique aux cheveux blonds et aux yeux bleus, et que vos traits viennent clairement du Moyen-Orient. C'est important de raconter ton histoire, car c'est l'exemple parfait de la manière dont l'industrie tente aujourd'hui de s'ouvrir à d'autres cultures et religions. Si tu vis sur cette planète, tu peux initier de nouvelles conversations. Quand tu as annoncé à ta famille que tu allais devenir mannequin, comment l'ont-ils pris?
Ils sont tous très heureux pour moi car ils ont toujours su que c'était mon rêve. Maintenant que ce rêve est devenu réalité, ils me soutiennent, en particulier ma mère et mes deux sœurs.

Pour revenir à ce qu'on disait auparavant, je pense que la mode est en train de prendre un place particulière pour tout un chacun. C’est une question de représentation : enfin, c'est arrivé, une adolescente musulmane qui a décidé de porter le voile peut voir une fille exactement comme elle dans des campagnes publicitaires, ce qui lui permet de réaliser que cet accessoire peut également faire partie du jeu, comme tous les autres.

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Concernant la mode féminine, il est essentiel de prendre en compte le fait qu'il existe des milliers de façons d'être une femme. Les stéréotypes sont à l'ordre du jour, et les gens pensent souvent qu'en portant le hijab, on n'est pas vraiment libre. En réalité, les choses ne sont pas comme ça et tu montres aux gens que tu portes le voile, que tu as toi-même décidé de ta vie professionnelle et que ta famille te soutient. En te voyant sur la couverture d'un magazine, les autres filles pourraient se rendre compte que leur religion n'est absolument pas un obstacle.
Tu as tout à fait raison ! Je suis fière de ça. J'ai décidé de porter le voile, c'est un choix que j'ai pris, ainsi que celui de devenir mannequin. Tant que vous vous respectez et respectez les autres, vous pouvez faire ce que vous voulez. La religion n'est pas un facteur décisif : oui, je suis musulmane. Oui, je suis une musulmane pratiquante. Oui, je porte le hijab, mais mon Dieu est un Dieu qui parle d'amour.

Et pourtant, je ne suis pas que ça non plus. Je suis une fille qui aime la mode, qui porte souvent des talons et exprime sa féminité. Je veux représenter les femmes en général, pas les « femmes qui portent le hijab ». Mon objectif et ce que j'essaie de faire tous les jours, c'est d'être moi-même. Pour moi, il s’agit de trouver un équilibre entre intériorité et extériorité. Si cela me donne la possibilité d’aider les autres, eh bien, c’est fantastique, mais ça vient après.

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« Oui, je suis musulmane. Oui, je porte le hijab. Et pourtant, je ne suis pas que ça non plus. »

Je suis une européenne, j'ai eu l'occasion de voyager, d'étudier et de rencontrer des personnes des cultures les plus diverses. Et je suis aussi un musulmane pratiquante. J'ai souvent entendu « tu es belle, mais trop arabe ». Aujourd'hui, ça ne se produit plus, il y a différents mannequins qui reflètent la diversité de nos villes et de nos pays. Enfin, nous pouvons voir des étapes vers l'inclusion se mettre en place dans tous les environnements, y compris celui de la mode, et je suis heureuse de faire partie de ce mouvement.

Lors de la Paris Fashion Week, tu as défilé pour Koché, une marque française qui t'a choisie pour ton style, pas parce que tu portes le voile. Tu peux nous en dire un peu plus sur cette expérience ?
Ce fut pour moi l'une des meilleures expériences de ma vie, car la fondatrice de la marque, Christelle Kocher, est une femme incroyable. Quand j'étais chez elle, elle m'a dit qu'elle appréciait ma féminité, mon sens du style et pas seulement le fait que je porte le voile.

Elle voulait que je monte sur le podium avec ses vêtements, car elle pensait que je pouvais les représenter de la meilleure manière, c'est pourquoi j'ai accepté. Je suis une femme, je suis Feriel, et je suis heureuse quand je peux me montrer moi-même, pas seulement cette Feriel avec un hijab. Ça m'a rendue fière de faire ce que fais, car ils me voulaient moi, et pas ce que mon apparence extérieure représente.

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Et comment ça se passe à Bruxelles ?
C'est dans cette ville que j'arrive à comprendre qui je suis. C'est chez moi et c'est l'endroit où je me sens 100% en sécurité. La Belgique accueille tout le monde à bras ouverts, quelles que soient leurs origines. Ma famille est algérienne et depuis le premier jour, nous avons été les bienvenus. Nous avons grandi avec le sentiment que nous pouvions devenir les personnes que nous voulions être et nous l'avons fait. Même si elle est petite, la Belgique a une place énorme dans mon cœur. Peut-être que je déménagerai dans un autre pays, mais j'estime que c'est et restera toujours ma maison.

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Comment ta famille a-t-elle vécu le déménagement d'Algérie en Belgique ? Tu avais trois ans quand tu es arrivé, non ?
Certes nous étions des réfugiés, mais nous nous sommes immédiatement sentis accueillis. Parfois, les gens me demandent d'où je viens, question qui implique que je ne pourrais pas être belge, mais je me sens comme telle. C'est là que vivent mes amis, que j'ai grandi et où je suis allée à l'école. Pour mes parents, ça a été assez facile en réalité. Mon père vient d'une famille de culture européenne et nous ne lui parlons que le français, alors que ma mère nous parle en arabe, mais mes sœurs et moi répondons en français.

La culture algérienne fait partie de nous, mais n'a jamais joué un rôle déterminant dans nos choix de vie. Personne ne m'a jamais fait ressentir le contraste d'avoir à être une femme musulmane derrière des portes closes et une fille européenne dès que je sors. Mon père n'est pas particulièrement religieux, il ne nous a donc jamais donné de règles très strictes. Je ne bois pas d'alcool et je ne mange pas de porc, mais mes parents ne nous ont pas imposé de doctrines sévères. Le voile, comme tout le reste, était mon propre choix.

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Merci Feriel. Pour terminer, aurais-tu une phrase, un moto, qui te représente ?
Aimez-vous vous-même. Parce que si vous vous aimez, vous pourrez aussi aimer les autres. Vous n'avez pas besoin d'être différent de ceux qui vont être acceptés par les autres, alors concentrez-vous sur votre bonheur, et tout en résultera.

Toutes les filles doivent s'accepter telles qu'elles sont et s'aimer. Si vous y arrivez, le reste ne sera plus qu'un question de temps. Aujourd'hui, il est de plus en plus difficile de regarder son corps de manière pacifique, de le respecter et de l'aimer, mais c'est essentiel.

Cet article a été initialement publié sur i-D Italy.

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