Une journée avec les activistes prêts à enfreindre les lois pour défendre la planète
Toutes les photos par Marie Boule

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environnement

Une journée avec les activistes prêts à enfreindre les lois pour défendre la planète

On a suivi la formation en désobéissance civile du groupe Extinction Rebellion.

Ils bloquent des ponts, des routes ou occupent des édifices gouvernementaux : le groupe Extinction Rébellion ou XR prône des actions coup de poing non violentes à travers le monde. Ses militants n’ont pas peur d’enfreindre les lois, de se faire arrêter ou emprisonner, et le groupe organise des formations de désobéissance civile pour former des « légions d’activistes prêts à l’action radicale ». Au Royaume-Uni, où Extinction Rebellion est né en octobre 2018, le groupe a même annoncé la création d’un festival consacré à la formation d’activistes.

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C’est la deuxième édition de cette journée de formation en désobéissance civile à Montréal. La participation est libre, et les demandes affluent. « J’ai reçu tellement de demandes d’inscription que je réalise qu’il va falloir s’ajuster, dit François Léger Boyer, le coordonnateur d’Extinction Rebellion au Québec. Pour aujourd’hui, 100 personnes avaient fait la demande! En France, ils sont rendus à faire des formations toutes les semaines, et elles sont toujours pleines. »

« On est plus tant du côté de l’espoir, explique François Léger Boyer. C’est super émotionnel, ça montre que les gens sont rendus là, il y a une escalade qui s’est faite naturellement. »

On ne doute pas de leur motivation, puisqu’on les retrouve un samedi matin à 8 h 30, prêts à consacrer leur journée de fin de semaine à cette formation dans un local du Plateau à Montréal. Ils sont presque arrivés trop tôt. « On dit 8 h 30 pour commencer à 9 h parce qu’on pense que tout le monde arrivera en retard, mais vous êtes tous à l’heure! » dit Philippe Dupont, le formateur, un étudiant en philosophie qui forme des militants pour l’action, notamment ceux de Greenpeace depuis plus de six ans.

On fait un tour de table, chacune des 24 personnes assises en cercle se présente. Les profils sont divers : professeurs, artistes, étudiants. Serge, 82 ans, remarque en souriant qu’il est « l'aîné du groupe ». Trois militants du groupe La planète s’invite à l’université sont venus de Québec spécialement pour l’occasion. Ils en sont tous venus à la même conclusion : il est temps d'apprendre à mener des actions radicales et parfois illégales pour réveiller la population et les politiciens face à l’urgence climatique.

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« J’ai toujours été peureux, mais là, c’est plus possible. Je suis prêt à passer aux actes », dit Simon, qui a commencé il y a quelques semaines à militer pour défendre l’environnement.

Le groupe s’accorde sur un code de vie à suivre durant la journée : respecter les temps de parole de chacun, parler au « je », respecter l’inclusivité, mais aussi « avoir du fun ».

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Philippe Dumont, joue un air de flûte pour signaler le début et la fin de chaque segment. On parle de Gene Sharp et de sa liste de 198 méthodes d’action non violente. Les membres du groupe prennent tous assidûment des notes dans leurs cahiers et calepins.

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« Les gens font l’amalgame entre désobéissance et criminalité, explique le formateur, mais le mot civile devrait être écrit en gras. Notre désobéissance, on la fait avec civisme et non violence. »

Thibault, un jeune militant belge arrivé à Montréal depuis quelques semaines lève la main. « On parle de quelle définition de la violence exactement dans ce cas? »

François Dumont grimace. Il essaie habituellement d’éviter de répondre à cette question, parce que cette définition est sujette à de nombreux débats. « Ma définition de la non-violence, c’est que je me refuse à atteindre l’intégrité physique ou psychologique d’autrui, dit-il. C’est la différence entre s’attaquer aux politiques et aux politiciens. »

François Dumont insiste sur la différence entre pacifisme et non-violence : « Le pacifisme, c’est un mouvement qui lutte pour le rétablissement de la paix, un mouvement qui est né pendant la guerre. Avec la non-violence, mon but n’est pas de faire la paix, mon intention c’est de mener la lutte jusqu’au bout, c’est de gagner et qu’eux perdent, et que leurs projets échouent. »

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Après la théorie, on forme deux lignes pour un exercice pratique : une ligne jouera le rôle des activistes et l’autre celui des employés qui ne peuvent pas entrer sur le lieu de travail sur un chantier de construction d’un pipeline. Les travailleurs ne sont pas ici mis en cause. Philippe Dumont donne l’exemple d’un potentiel blocage du pont Jacques-Cartier : « Je pense que ce serait une mauvaise idée d’empêcher tous ces gens d’aller travailler, dit-il. On les veut avec nous, les travailleurs! »

Il lance l’exercice : « Les activistes, vous êtes les maudits pouilleux, les mangeurs de luzerne qui viennent s'enchaîner à la guérite », dit-il, sourire aux lèvres. « Et vous, les salariés, vous êtes fatigués et vous êtes en tabarnak. 3, 2, 1, partez! »

Deux par deux, les participants s’opposent, en prenant leurs rôles à cœur. Côté employés, on crie : « J’ai des enfants à nourrir! », « Je vais te passer dessus avec ma voiture! », « Je m’en fous de ton avis sur le pétrole, c’est mon métier, c’est toute ma vie! ». Côté militants, on argumente : « Ça vous concerne aussi! », « Pensez justement à vos enfants! »

Certains craquent et se mettent à rire. Pas évident de tenir ces rôles.

« C’est dur d’opposer la fin du monde à la fin du mois », dit après l’exercice une participante qui jouait le rôle d’une activiste.

« Oui, il faut bien connaître son dossier, quand même. » « Et il faut trouver de bons arguments », commentent d’autres.

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« Moi, j’ai eu besoin de lui dire que je la comprenais », dit une participante qui jouait aussi une militante.

Un militant demande comment il faut réagir si une personne décide de vous frapper. « Je ne vous dis pas de tendre la joue. Protégez-vous, mais ne répondez jamais à un coup », répond le formateur.

« Montrer sa non-violence, ça désamorce, ajoute Serge. J’avais les mains derrière le dos et je souriais, ça les incite à ne pas te pousser. »

« Attention quand même avec les bras dans le dos, dit Philippe Dupont. Quand la police arrive, ayez plutôt les mains le long du corps : ils aiment pas ça, ne pas voir nos mains. »

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Pendant la pause pour le lunch, les discussions portent sur l’appropriation des mouvements politiques, comme Québec solidaire, qui viennent participer à la marche du 15 mars, la collapsologie, qui est « à la mode » en France, et l’anxiété face à l’urgence climatique qu’ils ressentent et constatent dans leur entourage.

« C’est impressionnant. Les gens ont tellement peur qu’ils en deviennent paralysés », dit Line, qui a rejoint les rangs d’Extinction Rebellion il y a quelques mois.

Le son de la flûte interrompt une conversation sur le modèle qui pourrait remplacer le capitalisme : « J’ai bien peur de ce qui va remplacer ce système-là. Ça pourrait être pire », dit un doctorant en études environnementales en reprenant une bouchée de salade de lentilles. La formation reprend.

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C’est le moment d’apprendre le contrôle physique et les techniques de blocus en groupe. Les deux techniques individuelles sont celles de « la roche » et du « sac de patates ». Pour la technique de la roche, il faut se recroqueviller, assis au sol, et serrer ses bras autour de ses jambes. Et pour la technique du sac de patates, « tu te mets comme un mollusque au sol, mou au possible », explique Philippe Dumont.

Les participants essaient les positions chacun à leur tour et leurs camarades essaient de les soulever, hilares. Pas facile de faire bouger une personne qui ne veut pas bouger. Les sacs de patates finissent par se faire traîner sur le plancher. « C’est la meilleure technique, mais lever bien le bassin pour ne pas vous faire mal quand vous être traînés », explique Philippe Dumont.

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En groupe, assis par terre en ligne, ils apprennent ensuite à former des chaînes humaines difficiles à briser pour les forces de l’ordre. Ils s’enlacent avec les bras, et François Léger Boyer et Philippe Dumont testent la solidité de la formation en essayant de les pousser. Là encore, les participants s’étonnent de voir à quel point ils sont difficiles à déloger.

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Philippe Dumont nous parle des règles à suivre quand on participe à une action. Entre autres, « pas de drogues ni d’alcool. Même 24 heures avant, on évite d’en consommer, explique Philippe Dumont. On part souvent très tôt, il faut être réveillés, concentrés et clairs. » C’est aussi une raison de moins de se faire détenir en prison plus longtemps.

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En s’appuyant sur sa propre histoire d’arrestation lorsqu’il militait avec Greenpeace, attaché à un pipeline, François Léger Boyer explique comment il faut réagir à chaque étape d’une action et d’une arrestation policière. Il est accompagné par un avocat spécialisé en militantisme. « Avec le policier, on a parlé de hockey. Il était vraiment fin avec moi, raconte François Léger Boyer. C’est important de savoir que les policiers ne sont pas tous désagréables comme dans les films. »

« Oui, ils peuvent être très “chums” avec vous, ajoute l’avocat, mais c’est aussi comme ça qu’ils obtiennent des informations. »

L’avocat donne d’autres conseils : toujours protéger son portable avec un mot de passe, ne jamais intimider un policier, même verbalement, et éviter de parler aux forces de l’ordre, sauf pour donner son nom et son adresse.

À une jeune femme qui demande si elle pourra travailler avec des enfants après une arrestation, l’avocat répond : « Je suis là un peu pour vous faire peur, car oui, ça peut avoir un grand nombre d’impacts sur vos carrières, pour les professeurs, les employés du gouvernement notamment. »

Diego Creimer, le responsable des communications pour la fondation David Suzuki, prend le relais pour donner une « formation médias ». Il enseigne au groupe comment délivrer un message clair et marquant aux journalistes : « Ne regardez pas directement la caméra, vous aurez l’air beaucoup trop intense, explique le spécialiste en communication. Et un long message décousu vous fera passer pour un fou! Ils ne garderont que quelques secondes, alors apprenez à dire votre message en quelques secondes. » Il faut y penser avant l’action et s’entraîner devant le miroir s’il le faut. Il apprend au groupe à utiliser des métaphores marquantes et des mots-chocs : « urgence», « panique», « on s’enfonce dans des sables mouvants », « le monde en train de couler », suggèrent les participants. « Dans cet esprit-là, oui ! » répond Diego Creimer.

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La journée se termine avec une simulation. Le groupe doit occuper la banque Pétro, qui finance des projets d'extraction des sables bitumineux. Il faut tenir bon face aux policiers qui arrivent pour déloger les militants, et savoir répondre aux questions des journalistes présents, joués par François Léger Boyer, Philippe Dumont et des membres de XR venus en renfort.

En état d’arrestation, les groupes se mettent en ligne, bras dessus bras dessous, ils utilisent la technique de la poche de patates, ne disent pas un mot quand ils sont interrogés par la police et répondent aux questions des journalistes avec des mots-chocs simples, sans jamais perdre leur calme. La leçon est apprise.

Une action est réussie lorsque le groupe fait passer un message à la population à travers une action-choc, pas besoin de s’enfuir face aux policiers : l’image de militants non violents et menottés est assez efficace pour marquer les esprits.

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Malgré la longue journée, qui se termine aux alentours de 18 h, les militants sont en effervescence. Ils se promettent de mettre leur apprentissage en pratique, très prochainement. « Je suis comme un bouillon, je suis plus capable de faire autre chose », confie une militante, qui souhaite rester anonyme. « À mon travail, sur ma chaise, je pense qu’il faut que je bouge, j’arrive plus à me concentrer. Je vais enfin sentir que je sers à quelque chose! »

« Je sais que je ne vais pas dormir la nuit avant les actions, dit un autre participant, mais c’est pas comme si je dormais beaucoup déjà. Hier, j’ai rêvé d’un tsunami qui passait sur mon village d’enfance, alors tu vois. »

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« Je me sens prêt avec tous ces outils, dit un membre de La planète s’invite à l’université. Je me sens plus fort. Je vais pouvoir partager ce que j’ai appris avec d’autres, et on va jamais s’arrêter. Vous allez entendre parler de nous, ça, c’est sûr. »

La prochaine formation de désobéissance civile aura lieu le 7 avril. Vous pouvez suivre le groupe sur Facebook pour être tenu au courant des activités. Extinction Rebellion sera présent à la marche du 15 mars, et organisera une semaine surprise de désobéissance civile qui aura lieu à partir du 15 avril.