une femme regardant des versions réfractées d'elle-même à travers le miroir
Santé

Pourquoi vous devriez vous parler à la troisième personne

Les études montrent qu'il y a de réels avantages à se parler à soi-même à la troisième personne – dans sa tête, hein, pas à voix haute.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR

Selon la Bible, le prophète Salomon, roi d’Israël, était un homme incroyablement sage. Les gens venaient du monde entier pour lui demander conseil. Sa sagesse, cependant, ne s'appliquait qu'aux questions qui ne le concernaient pas directement. Sa propre vie « a été une succession de mauvaises décisions et de passions démesurées », a écrit Wray Herbert dans The Association for Psychological Science. « Il avait des centaines de femmes et de concubines païennes, aimait l'argent, et négligeait l'éducation de son fils, qui devint par la suite un tyran incompétent. » 

Publicité

C'est ce que l'on appelle le paradoxe de Salomon. Indépendamment de sa véracité historique, son histoire montre qu’il est souvent plus facile de conseiller les autres que soi-même, la distance permettant d'évaluer une situation de manière plus objective et de contrôler davantage ses émotions.

Mais il existe peut-être un moyen incroyablement simple d'appliquer cette même distance à vos propres émotions et problèmes : parlez-vous à la troisième personne.

Cette idée peut sembler au mieux étrange, au pire narcissique et stupide. Pourtant, des décennies de recherche montrent aujourd'hui que ce type de monologue – également appelé « dialogue intérieur distancié », ou « distanced self-talk » en anglais – peut aider à construire une distance psychologique, un phénomène qui conduit à un meilleur contrôle de soi et même à une plus grande sagesse.

Une étude publiée récemment dans la revue Clinical Psychological Science confirme que lorsque les gens utilisent pour eux-mêmes des mots qu'ils réserveraient généralement à d'autres – leur nom et les pronoms à la troisième et à la deuxième personne –, ils gèrent mieux les émotions négatives, même dans des situations psychologiquement intenses. 

Le dialogue intérieur distancié soulève également des questions intéressantes sur la manière dont le langage influence nos émotions, et souligne l'importance de la distance psychologique en général : lorsque vous vous sentez dépassé par les événements, il est essentiel de savoir prendre du recul. 

Publicité

Les humains ont une capacité d'introspection qui les aide à résoudre des problèmes et à planifier l'avenir. Mais lorsque de mauvaises choses se produisent ou que des émotions négatives intenses surgissent, cette introspection peut muter en quelque chose de plus sombre : la rumination. 

« Lorsque nous sommes confrontés à ce genre de détresse, nous avons tendance à nous fermer, comme pour exclure tout le reste. Nous perdons la capacité de considérer la situation dans son ensemble », explique Ethan Kross, professeur de psychologie à l’université du Michigan et coauteur de l’étude. Par conséquent, nous ne parvenons plus à réguler nos émotions. La régulation émotionnelle, pour faire simple, désigne le vaste ensemble de stratégies que l’on utilise pour moduler nos affects.

La distance psychologique est un processus connu depuis longtemps, explique Kevin Ochsner, professeur et directeur du département de psychologie de l’université Columbia. Il existe de nombreuses stratégies pour créer de la distance. Par exemple, vous pouvez imaginer une personne ou une scène qui s'éloigne de vous. Il a été démontré que même le fait de se pencher en arrière physiquement peut aider à accomplir une tâche difficile plus facilement. 

Kross a découvert cette pratique il y a une dizaine d'années en explorant d'autres méthodes de prise de distance par rapport à soi-même. Il s’est rendu compte qu'en se parlant à la troisième personne, voire à la deuxième personne (en utilisant « tu »), les gens parvenaient à franchir la barrière qui jusque-là les empêchait de changer de perspective.

Publicité

Le terme technique pour décrire cela est l'illéisme. Nous avons tous un monologue intérieur qui intervient lorsque nous raisonnons sur les décisions à prendre ou que nous réfléchissons sur le passé, mais nous utilisons le plus souvent les pronoms « je », « moi », « mon ». Kross et ses collègues ont essayé de comprendre ce qui se passe lorsque nous changeons de pronoms et ont découvert que le fait de se parler à la troisième personne aide à gérer le stress lié à la prise de parole en public et peut contribuer à réduire l'anxiété sociale

D'autres chercheurs ont obtenu des résultats similaires. Erik Nook, doctorant en psychologie à Harvard, explique que ses collègues et lui ont demandé à des sujets de réévaluer ou de réinterpréter des images négatives pour se sentir mieux. Certains d’entre eux ont spontanément cessé ou réduit leur utilisation de mots tels que « je », « moi », « mon », et ont été mieux à même de réguler leurs émotions. Il a également été prouvé qu'un dialogue intérieur distancié peut améliorer les performances physiques et inciter les gens à faire des choix alimentaires plus sains

En 2017, la journaliste Breena Kerr a raconté, dans un article pour The Cut, qu’elle avait commencé à se parler à la troisième personne au début de sa procédure de divorce. « Si je voulais m'en sortir, je devais imaginer que j’étais quelqu'un d'autre, a-t-elle écrit. Alors j'ai fait un plan d'action, comme si je conseillais un ami – quelqu'un que je connaissais et que j'aimais, et qui, par coïncidence, portait le même nom que moi. Ça a marché. » 

Publicité

L'un des aspects les plus intrigants du dialogue intérieur distancié est qu'il demande un minimum d'effort et donne de grands résultats. Dans des études d'imagerie cérébrale réalisées en collaboration avec l'université du Michigan, Kross et ses collègues ont constaté que non seulement cela réduisait la surcharge émotionnelle, mais que les zones du cerveau associées au contrôle cognitif n'étaient plus surmenées.

Selon Ochsner, des recherches supplémentaires doivent être menées sur les différentes stratégies de distanciation psychologique, sur la manière dont elles sont liées et sur les effets de chacune d'entre elles à court ou à long terme. 

Ces effets psychologiques du changement de pronoms suggèrent que le langage peut en quelque sorte façonner nos expériences émotionnelles. D'autres recherches ont montré que le fait de parler dans une langue étrangère de ses expériences émotionnelles peut fournir une distance psychologique, tout comme le fait de proférer des insultes dans une langue étrangère a moins d'impact émotionnel.

Et qu’en est-il des gens qui parlent d’eux à la troisième personne à voix haute ? « Dans l'imaginaire collectif, l'illéisme apparaît généralement lorsqu'une personne met en avant son pouvoir ou son statut », écrit Chris Bourn dans Mel Magazine. Mais il est important de noter que les recherches effectuées jusqu'à présent portent sur le dialogue intérieur et non sur la façon dont nous parlons de nous à haute voix. Selon Kross, l'illéisme, bien que culturellement associé au narcissisme, est en fait beaucoup plus complexe. Par exemple, écrire un CV ou une biographie à la troisième personne est moins pénible que de le faire à la première personne. « Il est plus facile de parler des réalisations de quelqu'un d'autre, dit Kross. Si c'est vraiment le cas, et pour l'instant ce n’est que de la spéculation, alors c'est le contraire du narcissisme. Et cela montre que l'illéisme est un concept encore mal compris. » 

Publicité

L'utilisation de la troisième personne révèle quelque chose de général : c'est un outil qui peut être aussi utile qu'inutile, selon la manière dont il est utilisé. Le contrôle des émotions peut être utilisé pour éviter les émotions difficiles, comme cela arrive dans les cas de phobies, où les gens sont prêts à tout pour éviter ce qu'ils craignent. C'est ce que vous choisissez de faire après la stratégie de distanciation qui importe vraiment et qui distingue le contrôle émotionnel adaptatif du déni. « Lorsque vous parvenez à une distance psychologique, vous pouvez fuir vos émotions. Ou alors, vous pouvez les étudier et les traiter, mais d'un point de vue détaché », précise Kross. 

De nombreuses approches de thérapie cognitive du comportement, comme la thérapie de l'acceptation et de l'engagement (ACT), comprennent des méthodes de distanciation, tout comme les pratiques de pleine conscience sont, à la base, axées sur la création d'une distance entre soi-même et ses pensées. Ochsner ajoute qu'une composante du bouddhisme consiste précisément à cultiver l'espace entre une impulsion et une action. « Beaucoup de pratiques méditatives sont basées sur l'observation de soi depuis l'extérieur », dit-il. 

En bref, à vous de trouver la méthode de distanciation qui vous convient le mieux. Pour l'instant, Kross conseille seulement d'éviter de parler de vous à la troisième personne à haute voix, tout simplement parce qu'il n'a pas de preuve pour soutenir les avantages ou les inconvénients que cela peut entraîner.

VICE France est aussi sur Twitter, Instagram, Facebook et sur Flipboard.
VICE Belgique est sur Instagram et Facebook