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Comment les medias ont fait dire n'importe quoi à une étude sur le végétarisme

Vraiment, vraiment n'importe quoi.

Si vous êtes le genre de personne qui pense que tout est meilleur avec du bacon, vous vous êtes sûrement réjoui de l'étude parue la semaine dernière et largement relayée par les journaux qui affirmait que manger végétarien était très dangereux pour la santé. Fini, ces histoires comme quoi manger moins de viande serait meilleur pour nous, pour les animaux et pour la planète. Le végétarisme tue, disaient les gros titres.

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« À long terme, un régime végétarien modifie l'ADN humain et accroit les risques de cancer et de problèmes cardiaques », prévenait le Telegram. « Être végétarien transforme votre ADN et vous expose au cancer », disait Cosmo UK. « Être végétarien pourrait vous être fatal, selon les scientifiques », clamait haut et fort le New York Post.

Sauf qu'il y a un problème : ce n'est pas ce que disait l'étude. Pas du tout, même.

« Au début, on était contents que nos recherches suscitent un tel intérêt, m'a expliqué Kaixiong Ye, l'une des auteurs de l'étude. Mais ces derniers jours, je me suis aperçue que la plupart des articles concernant notre étude étaient faux. C'est assez frustrant. »

Alors, que disait réellement l'étude ? Kaixiong Ye et ses collègues ont identifié un allèle – une variante d'un gène – chez certaines personnes dont les ancêtres suivaient un régime essentiellement végétarien. Cet allèle permet à ces individus de produire des versions synthétiques des acides gras omega-3 et omega-6, qui sont essentiels pour le bon fonctionnement du cerveau et manquent parfois dans certains régimes végétariens.

Si notre corps a besoin d'une certaine quantité de ces acides gras pour fonctionner, leur excès peut être la cause d'inflammations, qui peuvent mener à des problèmes cardiaques et des cancers du colon. Pour cette raison, les personnes qui possèdent l'allèle en question ont plutôt intérêt à s'en tenir à un régime végétarien, afin de ne pas se retrouver avec un excès d'acides gras.

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C'est une découverte vraiment intéressante qui montre comment les humains, sur des centaines de générations, peuvent développer des traits uniques en fonction de leur environnement : cet allèle se trouve surtout chez les individus issus de cultures végétariennes. Alors qu'environ 70% des Sud-Asiatiques le possèdent, ce n'est le cas que de 17% des Européens (dont les ancêtres mangeaient de la viande).

« Ce que nous disons, pour résumer, c'est qu'il vaut mieux suivre un régime qui soit adapté à vos gènes, explique Ye. Pour ceux qui possèdent "l'allèle végétarien", nous recommandons qu'ils s'en tiennent à un régime sans viande car c'est le plus adapté à l'héritage que leurs ancêtres leur ont légué, à ce qu'ils mangeaient. Consommer trop de viande ou d'huile végétale est mauvais pour ces gens, car ces aliments contiennent des omega-3 et des omega-6. »

Et pourtant, cette étude portant sur une variante d'un gène qui fait que certaines personnes ont tout intérêt à manger végétarien a été totalement déformée au point d'affirmer, dans les journaux, que manger végétarien entraînait une mutation des gènes susceptible d'engendrer des cancers du côlon.

« C'est de la désinformation, assure Nathaniel Comfort, professeur d'astrobiologie à la Bibliothèque du Congrès et à la NASA, qui tient un blog sur les effets de mode et les mensonges dans le domaine de la génétique. La manière dont cela s'est produit est révélatrice de problèmes plus larges. »

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Comfort explique que cette étude avait de grandes chances d'être mal comprise, du fait de certains éléments. La génétique est souvent simplifiée à l'excès, en raison d'une incompréhension générale de la façon dont les gènes affectent les caractéristiques des individus, dit-il. Un gène précis ne détermine pas une caractéristique donnée, mais ce genre de nuance n'est pas bonne pour faire des gros titres ; ce type d'étude fait donc souvent l'objet de raccourcis mensongers, comme quand on parle de « gène du végétarisme », par exemple.

"Les végétariens nous font nous sentir coupables, n'est-ce pas ?"

Les études sur l'alimentation sont elles aussi souvent déformées car elles touchent à des sujets particulièrement populaires, explique Comfort. Tout le monde mange, donc les études sur la nourriture intéressent tout le monde, ce qui signifie que certains journalistes qui ne connaissent pas grand-chose à la science peuvent être tentés d'écrire sur le sujet et faire des erreurs.

Et puis il y a le fait qu'il soit question de végétarisme.

« Les végétariens nous font nous sentir coupables, n'est-ce pas ? Ils sont si vertueux et si courageux… Et le bacon, c'est tellement bon, pas vrai ? Interpréter cette étude de cette manière, c'est un bon moyen de justifier le fait de ne pas être soi-même végétarien. »

Voici la vérité : cette étude, comme beaucoup d'autres, n'est pas vraiment évidente à décortiquer. Même son titre – " Positive selection on a regulatory insertion-deletion polymorphism in FADS2 influences apparent endogenous synthesis of arachidonic acid" – est, comment dire… plutôt cryptique. Les journalistes scientifiques sont obligés de simplifier certains concepts pour leurs lecteurs qui n'ont pas forcément un doctorat en génétique. La clé, assure Comfort, c'est de simplifier sans déformer, ce qui réclame du temps et de la rigueur.

« Il faut être attentifs et précis, dit-il. La science est une discipline intellectuelle qui requiert de la précision et de l'exactitude, et ceux qui écrivent sur le sujet doivent faire preuve de sérieux. »