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Les Gens

Les chasseresses, ces femmes qui pratiquent la chasse

Si elles ne représentent que 2 % des chasseurs, leur nombre est en augmentation : 10 à 15 % de ceux qui passent actuellement leur permis sont des femmes. Enquête.
Illustration : Bobby Dollars pour Vice FR  

Baisse du prix du permis, campagne de pub de la fédération de chasse qui fait grand bruit, ouverture de la chasse. Depuis quelques semaines, les chasseurs de France sont en première ligne. Et, parmi les quelques 1 200 000 chasseurs recensés, environ 2 % de chasseresses (soit environ 24 000). Actuellement, 10 à 15 % de ceux qui passent le permis sont des femmes.

Mélanie, 35 ans, est une des rares qui « n’avait personne du monde de la chasse dans son entourage familial ». Mais des potes trentenaires qui chassent le canard sauvage, et voilà la jeune femme, « un peu kamikaze », curieuse de les accompagner. « Ce fut un véritable coup de cœur. Surtout le fait de tirer au fusil. J’ai aimé le recul, la puissance de l’arme ». Titulaire du permis de chasse depuis le début de l’année, un permis « très axé sur la sécurité, primordiale », Mélanie, branchée santé naturelle et produits bio, a un leitmotiv : « tu ne tues pas si tu ne manges pas. C’est hyper important pour moi ».

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La voilà donc qui chasse le canard, parfois seule, et a adhéré à une société de chasse privée, où elle hésite à retourner car « ils lâchent du gibier élevé exprès pour ça. Ce principe là m’a interloquée ». Celle pour qui la chasse « est pour le moment un plaisir, pas une passion » n’a aucun problème avec ce monde codifié et très masculin. « Quand je tombe sur un macho, je le remets à sa place. Mais aujourd’hui les hommes, dans notre société, sont un peu obligés d’éliminer ce côté macho. Alors ça se voit aussi dans la chasse ». Avec une meilleure amie « végétarienne et anti-chasse », Mélanie, qui n’est « ni barbare, ni meurtrière », n’accepte dans son univers que des gens ouverts d’esprit. Et invite les détracteurs à « se poser les bonnes questions. Ceux qui crient, c’est trop facile. Ils s’interrogent sur leurs produits cosmétiques testés sur les animaux ? »

« J’adore les animaux. La chasse a évolué, ce n’est plus tuer pour tuer. » - Emilie, 27 ans

Le respect de l’animal reste la notion centrale pour ces femmes chasseresses. « C’est d’ailleurs ce qui me freinait à passer mon permis »explique Émilie, 27 ans, 4 ans de permis de chasse. «J’adore les animaux. Les jeunes générations sont davantage dans le respect. La chasse a évolué, ce n’est plus tuer pour tuer. » Elle raconte d’ailleurs cet épisode où le groupe croise une laie avec ses petits pas loin. « On ne l’a pas tiré, évidemment. D’autres l’auraient fait ». Ces autres, ce sont ceux qu’elles citent toutes avec mépris, les « viandards » comme on les appelle dans le milieu de la chasse, ces hommes qui tuent énormément de gibier pour accumuler de la viande, souvent même illégalement, car la chasse est très régulée. La fédération accorde par exemple «des bracelets, payants » pour le gros gibier, une chasse extrêmement limitée.

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Cette mauvaise image de la chasse, Émilie reconnaît qu’elle est en partie de la faute des chasseurs eux-mêmes, assez mauvais communicants, ce qui n’est pas le cas de la visibilité des végans. Elle, a découvert la chasse avec son conjoint, a observé 5 ans avant de passer le permis. « C’est le travail des chiens qui m’a décidée. Je trouve ça impressionnant, cet instinct, de les voir ralentir, puis s’immobiliser brusquement ». Avec ses 3 setters anglais, la jeune femme chasse surtout du petit gibier, perdrix, faisans, bécasses…

Et, comme la plupart de ses compatriotes féminines, est seule avec des hommes, dans « une chasse conviviale, entre amis, où ne jette rien. On mange tout, on fait du pâté, je fais le dépeçage aussi, ça fait partie de la chasse. On donne beaucoup aussi. Nous sommes là pour réguler, il faut être raisonnable ».

« Les femmes sont bien vues à la chasse , on est même un peu chouchoutées » - Lucille, 23 ans

« Il faut toujours qu’il y ait une population dans la nature pour se reproduire » renchérit Lucile, 23 ans, qui travaille dans un élevage de perdrix et entame sa 7ème saison de chasse après un permis passé à 16 ans, âge légal. « Déjà, vers 7-8 ans, j’accompagnais mon grand-père, mon père, mon frère… »Elle qui a « baigné dans ce monde depuis toujours », observe une évolution des regards. « Les femmes sont bien vues à la chasse , on est même un peu chouchoutées. Cela va encore évoluer dans les années à venir ». Comme Émilie, Lucile apprécie de voir ses chiens travailler, 1 setter pour la chasse à terre, 1 beagle pour la battue, 1 labrador pour le gibier d’eau. Et insiste sur le fait qu’ « on ne laisse jamais un animal sur place ».

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La propriétaire de deux fusils (un deux-coups et un trois-coups) hausse les épaules quand on fait allusion aux anti-chasse. « Chacun son opinion. Moi, je vis ma passion. Tous les dimanches, et parfois même le soir en semaine ». Une passion coûteuse, d’ailleurs. Permis, autorisations, locations des territoires, armes et munitions, la chasse demeure un loisir onéreux. Mais qu’importe pour ses dames chasseresses, fascinées par un monde encore méconnu, parfois méprisé, du grand public.

Jour de chasse en Italie

Julie, jolie brune de 24 ans, a obtenu son permis en 2016. Issue, comme beaucoup, d’une famille de chasseurs, elle avoue « avoir toujours été attirée par la chasse. Petite, j’attendais avec impatience le retour de mon père et mon grand-père ». Aujourd’hui, ce qu’elle aime le plus «c’est la quête, le trophée. Je ne suis pas une dingue de la gâchette, mais faire un beau gibier, c’est très beau. Et si l’animal est plus fort que moi, s’il s’enfuit, c’est très bien aussi ». Avec son fusil italien calibre 20, elle apprécie la diversité des chasses. Le samedi, la battue : les chasseurs sont postés, ce sont les chiens qui rabattent.

Le dimanche, la jeune femme pratique « la chasse devant soi. On marche et on chasse ce qui sort. » Elle avoue avoir un faible pour la chasse à courre,qu’elle a testé, « c’est magnifique, les costumes, cette chasse sans armes, le ‘piqueux’ et la meute… ». Julie se met depuis peu à manger ce qu’elle chasse, « on fait honneur à l’animal », et avoue « de petits remords parfois, mais la passion prend le dessus. Cependant, j’essaye de ne pas blesser, je préfère que ce soit net. Hors de question de faire souffrir ». La chasseresse reconnaît aussi ne jamais tirer de renards, « bien que ce soit un nuisible, mais j’adore les renards ».

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Elle aussi observe des évolutions, mais pointe la méconnaissance. « En battue, lorsqu’on est au bord des routes, les gens peuvent insulter, klaxonner. Et je reçois pas mal de railleries de jeunes, autour de la vingtaine. On nous laissait tranquille avant. Mais la période n’est plus propice ». Et si elle reconnaît, lors de sa première saison, avoir dû faire ses preuves en tant que femme, « c’était un challenge », elle apprécie aujourd’hui être la seule femme quand elle va chasser.

« On ramasse les douilles, on repeuple quand nécessaire en relâchant perdrix ou lapins, on fait attention à la chaîne animale » - Laëtitia, 41 ans

Des femmes désireuses de communiquer sur leur passion, donc, et qui mettent en avant le plaisir d’être dans la nature, revendiquant le fait d’en prendre soin. Pascale, 50 ans, 24 ans de permis, et Laëtitia, 41 ans dont 11 de permis de chasse, parlent avant tout du bonheur d’être en pleine nature. « Le plein-air, les odeurs, la beauté des paysages » sont pour Pascale les premières raisons de son amour pour la chasse. Pour elle aussi, les chasseurs gagneraient à communiquer mieux et davantage. « Je suis contente quand je peux remettre de la vérité dans le débat. Nous sommes respectueux de la nature. Nous respectons les périodes de nidification des animaux, entretenons les territoires, taillons les haies, régulons les espèces qui font trop de dégâts ». Laëtitia acquiesce : « on ramasse les douilles, on repeuple quand nécessaire en relâchant perdrix ou lapins, on fait attention à la chaîne animale ».

Issue d’une famille de chasseurs et trésorière de l’association départementale des chasseresses de Loire-Atlantique, cette mère de famille transmet cette passion à ses trois adolescents, deux garçons et une fille. Les gars, déjà « pêcheurs no kill », et leur sœur de 16 ans, accompagnent leurs parents le dimanche. « O n est des mordus dans la famille. Le contact avec la nature, les chiens, se promener en famille. Notre chasse est forcément consommée ». Elle reconnaît que la chasse l’a rendue « moins timide.». Et observe une diminution des comportements machos. Les deux femmes acceptent les questionnements, la curiosité, voire même les réticences, et invitent les non-chasseurs à venir découvrir la chasse. « Des amis anti-chasse sont venus avec nous une fois » raconte Pascale. « Ils ont vu et ont changé de regard. Ils ont perçu le moment convivial, le respect. Ça n’a rien d’une boucherie !»

L’avenir dira si les femmes chasseresses sont meilleurs communicantes que leurs homologues masculins. En attendant, leur présence croissante et leur franc-parler dans un domaine historiquement réservé aux hommes rend la chasse moins misogyne. Et c’est toujours bon à prendre.