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Stuart Franklin a pris la photo la plus célèbre du XXe siècle, et d’autres trucs

L’ancien président de Magnum, Stuart Franklin, est essentiellement connu pour sa photo d’un homme d’âge moyen, des sacs de courses dans les mains, en train de défier une colonne de tanks sur la place Tiananmen. Il a pourtant pris beaucoup d'autres...

IRLANDE DU NORD. Belfast. Émeutes. 1985.

L’ancien président de Magnum, Stuart Franklin, est essentiellement connu pour sa photo d’un homme d’âge moyen, des sacs de courses dans les mains, en train de défier une colonne de tanks sur la place Tiananmen. Mais, comme je l’ai appris lors de mon entretien avec lui, le succès de cette photo n’a pas été instantané ; ça a même pris des plombes avant de devenir ce classique des manuels d’histoire-géo de troisième. Avec lui, j’ai parlé de l‘influence qu’ont eu les écoles d’art sur son boulot, de la différence entre les concepts d’approche et de style, et de ce que signifiait réellement le mot « photojournalisme ».

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VICE : Contrairement à d’autres personnes à qui nous avons parlé pour cette série, vous avez suivi une formation classique en photographie.
Stuart Franklin : J’ai étudié le dessin, la peinture et la photographie au cours d’une formation à ce qui s’appelait autrefois le West Surrey College of Art and Design.
En ce qui concerne la photographie, cette formation m’a donné une meilleure perception de la lumière et m’a amené à n’avoir peur de rien – ni des différents formats, ni des obstacles techniques. Quant à la post-production, j’ai pu monter très tôt ma propre chambre noire à Londres, où je traitais mes propres pellicules et où je bossais en tant que photographe de presse – ce qui m’a également beaucoup servi.

Quartier du Moss Side, Manchester, Angleterre, 1986.

J’ai l’impression que vos styles et sujets sont plus variés que ceux de la plupart des photographes. Vous attribuez ça au fait que vous n’avez pas peur d’utiliser différents formats, différentes techniques ?
Je pense qu’il y a deux choses à prendre en compte : le style et l’approche. La manière dont j’approche la photographie est presque toujours la même. Il s’agit d’une approche douce et réfléchie que j’applique lors de presque chaque situation. Les outils que je prends avec moi pour les différentes tâches et projets varient selon le lieu et le temps. Mais je pense qu’au fond, ma base de travail, c’est de ne pas faire de bruit. Mes outils, ce sont ceux que j’ai le jour-même – un crayon comme un appareil photo.

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Vous êtes devenu célèbre après votre reportage sur la famine au Sahel dans les années 1980, alors que vous veniez juste de terminer vos études d’art. Comment avez-vous débuté dans le photojournalisme ?
Au début des années 1980, j’avais déjà beaucoup travaillé à Mexico ; j’étais correspondant pour Telegraph Magazine. J’ai également beaucoup travaillé dans le nord de l’Angleterre, où j’y documentais le déclin de l’industrie sidérurgique. J’ai fait des travaux similaires en France, dans le Pas-de-Calais et la région de Metz. J’ai commencé comme ça. J’ai rejoint Sigma en 1980 et pendant cinq ans, ils m’ont envoyé couvrir l’actualité partout dans le monde. Mon premier gros sujet, c’était les attentats contre les casernes américaines à Beyrouth en 1983. 240 soldats américains y ont été tués. J’ai couvert la guerre civile au Liban aussi – tout ceci s’est passé avant que je parte au Sahel pour faire mon sujet sur la famine.

Beyrouth, Liban, 1983. Des soldats américains fouillent les ruines d’un camion piégé après explosion.

Comment avez-vous perçu ces premières tâches par rapport aux attentes que vous aviez ? La photographie en tant que métier a-t-elle changé votre perception des choses autour de vous ?
Je me rappelle d’un de mes premières boulots pour Sigma : les attentats de l’IRA à Hyde Park, en 1982. Sigma m’ont appelé de Paris et demandé d’aller couvrir l’événement. Quand je suis arrivé, il y avait des cordons de police partout, à des kilomètres de ce qui s’était passé. Je ne pouvais pas voir grand-chose ; du coup, je suis rentré chez moi. Ils m’ont appelé plus tard, énervés, pour me demander ce que j’avais réussi à choper. Je leur ai dit que ce n’était pas très intéressant. Ce jour-là, j’ai appris que, dans une telle situation, tous les éléments visuels avaient de la valeur – même un simple cordon de police avec un truc un peu flou à l’arrière-plan.

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La matérialité de tout sujet – de guerre ou d’actualité – a outrepassé sa simple valeur esthétique, ou du moins, pendant un certain temps. Ça a été un choc pour moi. Je m’attendais à prendre des photos puissantes, saisissantes, mais le plus souvent, on me demandait de shooter tout ce qui me passait sous les yeux.

En parlant de photos saisissantes, parlons de votre photo de l’homme devant les tanks sur la place Tiananmen. Avez-vous parfois l’impression que cette image fait de l’ombre au reste de votre boulot sur les manifestations étudiantes en Chine ?
Eh bien, ça ne s’est pas vraiment passé comme ça. Quand je suis rentré de Chine, je suis allé voir Michael Rand dans son bureau du Sunday Times. Il était en train de placer l’une de mes photos en couverture du magazine, mais il s’agissait d’une autre de cette série – un mec torse-nu, les bras levés. Celle-ci aussi a été célèbre pendant un temps. La photo de « l’homme au tank » a pris de l’importance au fur et à mesure, mais elle ne s’est pas démarquée du reste de mon travail immédiatement après l’événement.

Mais oui, c’est vrai que plus les années passaient, plus on me parlait de cette photo. Est-ce que ça m’agace ? Eh bien, on ne peut pas vraiment être agacé par ce genre de choses. Je suis simplement content d’avoir été là. Tout ce que je sais, c’est que j’ai fait mon métier et que je pense l’avoir bien fait.

Place Tiananmen, Pékin, Chine, 1989.

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Qu’est-ce qui s’est passé immédiatement après, pour vous et les manifestants ? Ça n’a pas dû être facile de sortir du pays avec ces photos.
Tout était très incertain. La police et les agents de sécurité allaient de chambre en chambre dans l’hôtel où j’étais, à la recherche de journalistes – tout ça pour leur confisquer les pellicules. L’atmosphère était irrespirable. Je me rappelle avoir rangé ma pellicule dans une boîte de thé, fournie par l’hôtel, avant de demander à un ami qui rentrait à Paris de la prendre avec lui. Je suis resté un peu en Chine, sans la pellicule. Je n’avais plus à m’inquiéter de quoique ce soit une fois la pellicule partie, et ça ne me dérangeait pas de perdre un ou deux appareils photo en chemin. Ça n’a pas été simple – on s’est fait tirer dessus à plusieurs occasions – mais j’ai eu de la chance.

Bruxelles, le drame du Heysel. Des fans de Liverpool en route pour le stade, le 29 mai 1985.

J’imagine que la manière dont les photos sont utilisées dans l’actualité a évolué depuis les années 1980. Quels autres événements de cette époque vous semblent importants aujourd’hui ?
Le drame du Heysel a été, à l’époque, un événement très important. En Europe, c’était même plus important que la place Tiananmen. Paris Match lui a consacré 22 pages. Dans le photojournalisme, avant que la télé ou Internet ne changent la donne, la photographie était primordiale pour faire des reportages approfondis sur le monde autour de nous. Aujourd’hui, tous les journaux relatent à peu près les mêmes stories et se servent des mêmes photos. Ce n’était pas le cas en 1980. Chaque magazine avait ses propres stories.

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À cette époque, je travaillais sur le hooliganisme dans le football, qui prenait de l’ampleur au Royaume-Uni. On n’était pas vraiment sûrs de la manière de le couvrir, du coup on a décidé d’aller à Bruxelles avec les supporters de Liverpool. Il s’est avéré que c’était la finale de la Coupe d’Europe. On ne s’attendait pas à ce qu’il se passe quoique ce soit ; c’était simplement un moyen de pénétrer la vie des hools et de voir quels rapports ils entretenaient au monde qui les entourait. Ça devait être une story de début de mag. Je suis allé dans les tribunes avec eux et, bien sûr, vu ce qui s’est passé ce jour-là, c’est devenu quelque chose de… différent. Ça illustre une forme de reportage approfondi, sur le long terme, chose qu’on ne voit plus que très rarement. À l’époque, c’était la norme.

Bruxelles, Belgique. Finale de la Coupe d’Europe. Drame du Heysel, le 29 mai 1985.

Aujourd’hui quel est votre rapport aux villes ? On a discuté avec Jonas Bendiksen récemment, et il pense que les bidonvilles devraient être considérés comme des parties nécessaires au bon fonctionnement d’une ville, et non comme ces prétendues « aberrations ».
Eh bien, au sujet des villes, comme je l’ai dit plus tôt, mon premier contrat en tant que photographe m’a mené à bosser dans les coins les plus pauvres de Manchester – le quartier de Moss Side, donc – puis de Liverpool, Glasgow, Newcastle et enfin, à Mexico. Lorsque je suis arrivé à Mexico et que j’ai vu les bidonvilles, j’ai pensé aux théoriciens de l’anthropologie américains, Oscar Lewis notamment, qui avait dit que les pauvres se trouvaient dans des bidonvilles parce qu’ils le méritaient. Bien entendu, c’était des conneries. Toute personne qui vit quelque part, qu’il s’agisse d’un manoir ou d’un carton, aspire forcément à quelque chose.

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Année après année, je suis retourné dans le même barrio de Mexico. Au fil du temps, des jardins sont apparus, et je voyais les routes de mieux en mieux entretenues. Je pense que les bidonvilles sont le premier pas d’une transformation de la ville : de terrain vague, elle devient zone régulée. Au fil du temps, les gens passent de vendre des produits au marché à posséder leur propre magasin – et payer des taxes.

Narcissus, 2009-2013.

Ça n’a rien à voir, mais comment votre œuvre Narcissus a-t-elle fini par faire partie de votre travail ? Elle diffère de tout ce que vous avez fait auparavant.
Je suppose que plusieurs facteurs ont engendré Narcissus. J’avais fini par être frustré par la notion de « photographie globale », cette idée d’un méta-projet montrant les « plus beaux endroits sur Terre » ou les « pires taudis sur Terre » – tout ce truc. Et j’avais déjà tellement fait ça : Dynamic Cities a été fait dans, au moins, 40 villes dans le monde. Je me suis dit qu’il me manquait quelque chose. Pour moi, Narcissus c’était comme quand les musiciens se remettent à leurs gammes. J’ai voulu affiner ma vision, mon propos.

Je m’étais mis à réfléchir à la notion de photographie de paysage et à la photographie « naturelle » de manière générale. Je me suis rendu à l’évidence : le paysage c’est comme tout. Ce qui m’attirait là-dedans c’était l’abstraction, découper quelque chose dans le tissu qui se tenait devant moi. Il s’est avéré que ce qui m’attirait dans les paysages, c’était ce qui me rappelait certaines situations de ma vie, la vie sociale et humaine que j’avais menée jusque là. Dans le paysage, je voyais se dessiner des formes humaines, à demi-humaines, ou zoomorphiques. Je pense que lorsque Freud parlait de photographie, il la rattachait plus à la fonction mémorielle qu’à la simple vision. Ce projet a été complètement différent, en effet, et je ne le referai pas – mais en le faisant, j’ai beaucoup appris. J’ai appris à travailler dans un petit espace et à limiter mes besoins. Tout était spartiate et finalement, très cohérent.

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Cliquez pour voir plus de photos de Stuart Franklin.

Grande-Bretagne. Agence pour l’emploi, 1986.

Yokohama, Japon. Voitures Nissan, 1987.

Kaboul, Afghanistan. Des femmes soldats ; membres de milices, participent à un rassemblement en soutien au Parti démocratique populaire d'Afghanistan devant leur président, le général Najibullah, 1989.

Honduras. Guerre civile, El Capire. Des cadavres de soldats nicaraguayens sandinistes, exposés à la presse internationale. Les Sandinistes auraient été tués pendant une incursion transfrontalière contre les camps de guérilléros nicaraguayens, 1986.

Honduras. Guerre civile, 1986.

Soudan. Réfugiés à l’époque de la famine, 1985.

Narcissus, 2009-2013.

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