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Stuart Franklin : J’ai étudié le dessin, la peinture et la photographie au cours d’une formation à ce qui s’appelait autrefois le West Surrey College of Art and Design.
En ce qui concerne la photographie, cette formation m’a donné une meilleure perception de la lumière et m’a amené à n’avoir peur de rien – ni des différents formats, ni des obstacles techniques. Quant à la post-production, j’ai pu monter très tôt ma propre chambre noire à Londres, où je traitais mes propres pellicules et où je bossais en tant que photographe de presse – ce qui m’a également beaucoup servi.
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Je pense qu’il y a deux choses à prendre en compte : le style et l’approche. La manière dont j’approche la photographie est presque toujours la même. Il s’agit d’une approche douce et réfléchie que j’applique lors de presque chaque situation. Les outils que je prends avec moi pour les différentes tâches et projets varient selon le lieu et le temps. Mais je pense qu’au fond, ma base de travail, c’est de ne pas faire de bruit. Mes outils, ce sont ceux que j’ai le jour-même – un crayon comme un appareil photo.
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Au début des années 1980, j’avais déjà beaucoup travaillé à Mexico ; j’étais correspondant pour Telegraph Magazine. J’ai également beaucoup travaillé dans le nord de l’Angleterre, où j’y documentais le déclin de l’industrie sidérurgique. J’ai fait des travaux similaires en France, dans le Pas-de-Calais et la région de Metz. J’ai commencé comme ça. J’ai rejoint Sigma en 1980 et pendant cinq ans, ils m’ont envoyé couvrir l’actualité partout dans le monde. Mon premier gros sujet, c’était les attentats contre les casernes américaines à Beyrouth en 1983. 240 soldats américains y ont été tués. J’ai couvert la guerre civile au Liban aussi – tout ceci s’est passé avant que je parte au Sahel pour faire mon sujet sur la famine.
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Je me rappelle d’un de mes premières boulots pour Sigma : les attentats de l’IRA à Hyde Park, en 1982. Sigma m’ont appelé de Paris et demandé d’aller couvrir l’événement. Quand je suis arrivé, il y avait des cordons de police partout, à des kilomètres de ce qui s’était passé. Je ne pouvais pas voir grand-chose ; du coup, je suis rentré chez moi. Ils m’ont appelé plus tard, énervés, pour me demander ce que j’avais réussi à choper. Je leur ai dit que ce n’était pas très intéressant. Ce jour-là, j’ai appris que, dans une telle situation, tous les éléments visuels avaient de la valeur – même un simple cordon de police avec un truc un peu flou à l’arrière-plan.
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Eh bien, ça ne s’est pas vraiment passé comme ça. Quand je suis rentré de Chine, je suis allé voir Michael Rand dans son bureau du Sunday Times. Il était en train de placer l’une de mes photos en couverture du magazine, mais il s’agissait d’une autre de cette série – un mec torse-nu, les bras levés. Celle-ci aussi a été célèbre pendant un temps. La photo de « l’homme au tank » a pris de l’importance au fur et à mesure, mais elle ne s’est pas démarquée du reste de mon travail immédiatement après l’événement.Mais oui, c’est vrai que plus les années passaient, plus on me parlait de cette photo. Est-ce que ça m’agace ? Eh bien, on ne peut pas vraiment être agacé par ce genre de choses. Je suis simplement content d’avoir été là. Tout ce que je sais, c’est que j’ai fait mon métier et que je pense l’avoir bien fait.
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Tout était très incertain. La police et les agents de sécurité allaient de chambre en chambre dans l’hôtel où j’étais, à la recherche de journalistes – tout ça pour leur confisquer les pellicules. L’atmosphère était irrespirable. Je me rappelle avoir rangé ma pellicule dans une boîte de thé, fournie par l’hôtel, avant de demander à un ami qui rentrait à Paris de la prendre avec lui. Je suis resté un peu en Chine, sans la pellicule. Je n’avais plus à m’inquiéter de quoique ce soit une fois la pellicule partie, et ça ne me dérangeait pas de perdre un ou deux appareils photo en chemin. Ça n’a pas été simple – on s’est fait tirer dessus à plusieurs occasions – mais j’ai eu de la chance.
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Le drame du Heysel a été, à l’époque, un événement très important. En Europe, c’était même plus important que la place Tiananmen. Paris Match lui a consacré 22 pages. Dans le photojournalisme, avant que la télé ou Internet ne changent la donne, la photographie était primordiale pour faire des reportages approfondis sur le monde autour de nous. Aujourd’hui, tous les journaux relatent à peu près les mêmes stories et se servent des mêmes photos. Ce n’était pas le cas en 1980. Chaque magazine avait ses propres stories.
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Eh bien, au sujet des villes, comme je l’ai dit plus tôt, mon premier contrat en tant que photographe m’a mené à bosser dans les coins les plus pauvres de Manchester – le quartier de Moss Side, donc – puis de Liverpool, Glasgow, Newcastle et enfin, à Mexico. Lorsque je suis arrivé à Mexico et que j’ai vu les bidonvilles, j’ai pensé aux théoriciens de l’anthropologie américains, Oscar Lewis notamment, qui avait dit que les pauvres se trouvaient dans des bidonvilles parce qu’ils le méritaient. Bien entendu, c’était des conneries. Toute personne qui vit quelque part, qu’il s’agisse d’un manoir ou d’un carton, aspire forcément à quelque chose.
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Je suppose que plusieurs facteurs ont engendré Narcissus. J’avais fini par être frustré par la notion de « photographie globale », cette idée d’un méta-projet montrant les « plus beaux endroits sur Terre » ou les « pires taudis sur Terre » – tout ce truc. Et j’avais déjà tellement fait ça : Dynamic Cities a été fait dans, au moins, 40 villes dans le monde. Je me suis dit qu’il me manquait quelque chose. Pour moi, Narcissus c’était comme quand les musiciens se remettent à leurs gammes. J’ai voulu affiner ma vision, mon propos.Je m’étais mis à réfléchir à la notion de photographie de paysage et à la photographie « naturelle » de manière générale. Je me suis rendu à l’évidence : le paysage c’est comme tout. Ce qui m’attirait là-dedans c’était l’abstraction, découper quelque chose dans le tissu qui se tenait devant moi. Il s’est avéré que ce qui m’attirait dans les paysages, c’était ce qui me rappelait certaines situations de ma vie, la vie sociale et humaine que j’avais menée jusque là. Dans le paysage, je voyais se dessiner des formes humaines, à demi-humaines, ou zoomorphiques. Je pense que lorsque Freud parlait de photographie, il la rattachait plus à la fonction mémorielle qu’à la simple vision. Ce projet a été complètement différent, en effet, et je ne le referai pas – mais en le faisant, j’ai beaucoup appris. J’ai appris à travailler dans un petit espace et à limiter mes besoins. Tout était spartiate et finalement, très cohérent.
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