Aux quatre coins du monde à la recherche des miels rares

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Aux quatre coins du monde à la recherche des miels rares

De retour de leur voyage initiatique sur les traces du « miel pur », Arthur et Max commercialisent les miels les plus fous qui leur ait été donné de goûter.

« C'est rare d'en trouver du pur aujourd'hui. » Artur demande au barman des cuillères et pose devant lui un carton qu'il ouvre avec la plus grande précaution. Il en déballe cinq pots de miel. « Tu vas m'en dire des nouvelles. » Je reste sceptique, je n'ai jamais utilisé le miel que pour sucrer mes tisanes du dimanche soir, adoucir les grogs des apéros d'hiver ou noyer mon toast de chèvre chaud. Je n'avais jusqu'alors pas envisagé une seule seconde que ce produit puisse faire l'objet d'une dégustation gastronomique.

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Je ne peux pas en dire autant de mon interlocuteur. Arthur a 25 ans, il aime les romans – il en a même écrit un – et, surtout, le miel. « C'est un graal », me dit-il, une lueur de folie dans les yeux. Obsédé par le miel depuis sa tendre enfance, Arthur s'est formé à l'apiculture avec son meilleur pote, Max, fraîchement sorti d'HEC et visiblement tout aussi passionné. Après plusieurs mois en Ardèche chez un producteur, ils sont partis en voyage initiatique à la recherche de miels « purs, donc rarissimes » – car, comme me l'explique Arthur, l'essentiel des miels que l'on trouve aujourd'hui sur le marché ne l'est pas.

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Si ces deux-là sont très préoccupés par le sort dramatique des abeilles – entrées, on le rappelle, dans la catégorie des espèces en voie de disparition en 2016 –, l'idée d'un tel projet est surtout née d'un ras-le-bol, celui de bouffer des miels dégueulasses. En effet, si chaque plante produit un nectar qui a sa propre composition en sucre et en minéraux, les abeilles, grâce à un enzyme, font elles la synthèse des nectars des fleurs à environ cinq kilomètres à la ronde. « Le miel est le reflet exact et précis de son environnement, et donc chaque miel a une histoire. » Mais celui-ci peut être modifié de 100 manières différentes. « Ceux qui proviennent de ruchers industriels sont des miels d'abeilles nourries au glucose, qui n'ont jamais vu la couleur d'une fleur », m'explique Arthur. On les trouve en supermarché sous le nom « miel toutes fleurs ». D'autres vendeurs ou petits producteurs s'autoproclament « créateurs de miel » : en fait, ils fusionnent carrément plusieurs types de miels. Imaginez un œnophile à qui on dirait qu'on a mélangé de très grands vins. « Ce serait tout bonnement impensable, commente Arthur. Il y a une surenchère autour de l'ignorance du client. Un produit comme le vin est très connu par la clientèle. Alors que le miel, en général, on n'y comprend rien. »

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Aujourd'hui, le miel est essentiellement utilisé comme sucrant dans des assaisonnements, par exemple en vinaigrette, pour caraméliser une sauce ou comme liant en pâtisserie. Mais il est aussi utilisé hors-restaurant pour ses nombreuses vertus : tous les miels sont antiseptiques et antioxydants. Ils participent à la régénération cellulaire et on trouve du miel dans les cosmétiques, en parapharmacie… Mais depuis peu naît l'idée que le miel peut être utilisé en gastronomie et avoir une vraie valeur ajoutée dans un plat. C'est ce qu'ont cherché à prouver Max et Arthur, en se mettant en tête de rapporter de leurs voyages les miels les plus fous qui leur ait été donné de goûter. Ils ont même réussi à en commercialiser certains sur leur site Le Miel Sauvage, en nouant des partenariats avec des producteurs locaux à l'autre bout du monde.

Miel de Saint Sacrement

Le premier miel que je goûte est « mono-floral » : il n'est composé que de nectar de Saint-Sacrement. « Saint-Sacrement », c'est le nom donné en Martinique à une petite fleur blanche en forme de croix, l'héliocarpe, qui ne pousse nulle part ailleurs que sur la montagne Pelé. C'est la seule plante rescapée de l'éruption volcanique de 1902 qui a détruit ce qui était alors la plus grande ville de l'île, Saint-Pierre, et exterminé ses habitants et les espèces végétales alentour. Seule l'héliocarpe a survécu et s'est propagée dans le cratère et sur les pentes du volcan, comme un manteau de neige.

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Le miel qui en est issu est ambré, marqué par l'avocat, la mangue, la goyave. Il a aussi l'acidité du fruit de la passion. Une vraie petite friandise, sucrée mais pas piquante. « On l'imagine facilement dans des pâtisseries très simples : un macaron ou un sorbet au miel de Saint Sacrement », commente Arthur, la bouche pleine, lui aussi. Alors qu'il n'existe que peu de ruches sur les flancs du volcan, ils se sont associés à un apiculteur martiniquais et en ont rapporté un bidon dès leur première visite.

Miel de Mangrove

La seconde cuillérée vient aussi de Martinique, mais cette fois-ci des forêts marines du Lamentin. C'est un miel de mer récolté dans des ruches sur pilotis au cœur de la mangrove, à partir de la fleur de palétuvier. La cuvée qu'Arthur me présente est la première récolte depuis un autre ravage, celui du cyclone Dean qui a détruit en 2007 tout l'écosystème de la mangrove. Les palétuviers ont mis plusieurs années à se redresser, et les abeilles ont peu à peu repeuplé les airs.

Le miel de Mangrove est sombre, aux reflets rouges. Il est boisé et quand il fond, il laisse des arômes d'iode et de sel dans la bouche. « On a un pied dans deux environnements : l'océan et la forêt », commente Arthur. Son goût est incroyable, il est littéralement sucré-salé. Comme il fait saliver, ce miel est prisé des chefs. Mais Arthur le préfère dans des petits punchs, « avec un rhum blanc Trois Rivières, cuvée de l'océan ».

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Miel de l'île de Bornéo

L'île de Bornéo se situe entre la Malaisie et l'Indonésie. Là-bas, les hommes chassent le miel d'abeilles géantes, perchés à 30 mètres dans les arbres « Lalau ». Ils chantent des formules sacrées pour faciliter la récolte et se donner du courage : chaque arbre abrite une vingtaine de nids, et chaque nid compte près de 10 000 abeilles chacun. Le miel récolté dans les arbres Lalau a la saveur d'une confiture de prune, d'abricot et de raisin. Il est doux, mais pas trop. Max et Arthur n'en vendent pas, mais ils en conservent un petit pot qu'ils n'ouvrent que pour les grandes occasions.

Le Miel d'Arganier

L'arganier est endémique à la région d'Essaouira, au sud-ouest du Maroc. Il est célèbre pour l'huile d'argan qui en est extraite. Celle-ci qui joue un rôle important dans le métabolisme des lipides et du cholestérol, et prévient les risques cardio-vasculaires. Parmi ses autres qualités, l'argan nourrit le cerveau, draine le foie et réduit l'hypertension et le diabète.

Mais l'arganier permet aussi la production d'un miel qui concentre les bienfaits de l'arbre au tronc noueux. Sa texture est onctueuse, douce, avec un léger goût de noisette. Malheureusement, l'importation de miel du Maroc est interdite, et cette petite douceur fait uniquement partie de la collection privée des deux amateurs.

Miel de forêt d'Ardèche

Le dernier miel que je goûte ne vient pas de très loin, puisqu'il est récolté en Ardèche, à la limite entre la haute et la basse altitude. Il a le goût du sapin, avec des arômes de crème de marron et de caramel. Le rucher est à une altitude intermédiaire entre les forêts de sapin et celles de châtaigner, deux essences antagonistes. Chaque année, la ligne de démarcation fluctue en fonction du climat, et le rucher donne un miel radicalement différent. Mais d'une année sur l'autre, on y retrouve invariablement des arômes de vanille et de macadamia propre aux terroirs provençaux.

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Ce dernier miel vient clore la dégustation. C'est celui qui me transporte le plus, pas dans l'espace, mais dans le temps : sa texture crémeuse relève presque du mâcher, on a envie de le triturer et de le malaxer. Je revois pendant quelques secondes la magie du miel, avec sa couleur d'or, qu'on étale gamin sur du pain pour le goûter. Mais j'ai aussi découvert des saveurs méconnues du palais européen, des miels produits par des abeilles et des fleurs très rares et qui ont toute leur place dans la gastronomie. J'imagine facilement des pâtissiers remplacer le traditionnel glaçage de l'éclair au café par un nappage au miel de caféier sauvage, au goût plus fin et plus intéressant. Et, avec la communauté grandissante des amateurs de miel, la création d'un label « miel pur », pour qu'ils sachent un peu mieux ce qui atterrit le matin sur leur tartine.