C’est la grosse merde – aussi – au Venezuela


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Alors que Viktor Ianoukovitch s’est fait destituer et que la situation en Ukraine semble se stabiliser, les rues du Venezuela continuent à se remplir d’hommes et de sang. Depuis trois semaines, les manifestations étudiantes, attisées par les anti-gouvernementaux de droite, ont pris une tournure chaotique et une ampleur nationale.

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La fronde populaire contre le régime vénézuélien de Nicolas Maduro s’est violemment intensifiée. Lors des dernières vagues de manifestations massives, quatorze personnes ont été tuées et 150 ont été blessées. Les manifestants protestaient contre une inflation incontrôlable, une pénurie de nourriture et de produits de première nécessité, une répression policière grandissante et une insécurité massive. Ce lundi, les étudiants étaient toujours dans les rues de Caracas – malgré plusieurs signes d’essoufflement – alors que le président Maduro appelait au dialogue. Mardi, toujours dans la capitale, des milliers de motards défilaient dans les rues pour soutenir le gouvernement en place. Aujourd’hui se tiendra une conférence « pour la paix » qui rassemblera « tous les courants sociaux, politiques, corporatistes et religieux » afin de conclure des accords favorables au pays.

J’ai parlé en début de semaine à une amie vénézuélienne, Josefina Bravo, 26 ans, diplômée en science politique à l’Université Centrale du Venezuela. Elle a quitté son pays il y a deux semaines, au tout début des protestations, afin de s’installer à Paris. On a discuté de la complexité des affaires vénézuéliennes et évoqué les récentes vagues de violence.


Photo : Manaure Quintero/Transterra Media

VICE : Salut Josefina. Explique-moi comment ces révoltes sont passées de simples manifs étudiantes à une affaire nationale ?
Josefina Bravo : La première mobilisation date du 6 février, lorsque des centaines d’étudiants ont dénoncé la criminalité persistante et les difficultés économiques du pays. Le 12 février, les événements se sont emballés quand les militaires ont traité ces étudiants comme des criminels en les tabassant et en leur tirant des balles en caoutchouc dessus. Ces clashs ont fait trois morts – trois étudiants tombés sous les balles.

Le mouvement s’est alors propagé dans plusieurs villes du pays. Au fil des manifs, certaines revendications sociales se sont ajoutées et les partis d’opposition ont rejoint les rangs des étudiants.

Depuis qu’une partie de la population a rejoint les étudiants dans les rues, chaque manifestation tourne à l’affrontement à la tombée de la nuit. La police antiémeute utilise des armes classiques – canons à eau, gaz lacrymogènes et balles en caoutchouc – tandis que les manifestants érigent des barricades en feu et lancent des projectiles pour établir leur quartier.


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Tu as abordé le problème économique du pays. Comment un eldorado pétrolier comme le Venezuela peut être confronté à une crise financière ?
C’est à cause de la gestion hasardeuse du régime et de l’avidité des sociétés pétrolières. Notre pays est riche – le Venezuela possède plus de pétrole que l’Arabie saoudite – mais le Trésor public ne touche pas assez d’argent de l’or noir ; l’industrie des hydrocarbures s’engraisse au détriment des citoyens. Quant au problème de pénurie, que l’on pensait économique, il vient d’une manipulation qui ressemble à une blague grotesque. Début février, la police a trouvé des tonnes et des tonnes d’aliments et de produits de première nécessité dissimulés dans des entrepôts, et tout ça dans le but d’attiser la colère de la population à l’encontre du gouvernement.

Je vois. Quel est ton point de vue sur les manifestations ?
Les gens sont descendus dans la rue car leur colère était légitime. Les manifestations étudiantes ont eu un effet précurseur sur la population, surtout sur la classe moyenne supérieure. Mais ce qui se passe au Venezuela est plus qu’un simple conflit de rue entre les civils et la police – ça s’est transformé en un conflit droite-gauche où chacun défend ses intérêts. Si certains protestent contre le gouvernement en contestant sa « légitimité », l’opposition n’est pas nette non plus. L’opposition – des partis de droite qui reçoivent des soutiens financiers des États-Unis – profite de la confusion et du ras-le-bol des citoyens pour les rallier à leur cause et se rapprocher du pouvoir ! Aussi, quand on sait que Leopoldo López, emblème de la contestation anti-gouvernement, a joué un rôle important dans le coup d’État temporaire de 2002, on peut se demander si le mouvement de l’opposition n’est pas celui de l’anti-démocratie.


Photo : Manaure Quintero/Transterra Media

Le pays est divisé en deux – les pro-Maduro d’un coté et une opposition de droite pro-américaine de l’autre, c’est ça ?
Oui, et aucun des camps n’arrive à se mettre d’accord sur quoi que ce soit – la répression (ou non) de Maduro, le nombre de morts, les circonstances de la mort des victimes, etc. On dit que la police vénézuélienne bénéficierait de l’aide des forces armées cubaines pro-gouvernement, alors que l’opposition reçoit le soutien états-unien.

En tant que Vénézuélienne à Paris, que penses-tu des informations relayées dans les médias occidentaux et sur les réseaux sociaux ?
Je trouve qu’il y a un clivage important entre ce que je connais du Venezuela et ce que je lis ou vois dans certains médias. Certains ont manipulé les populations en utilisant Photoshop ou des photos de conflits étrangers.

En effet, certains policiers sont violents et devraient être punis au plus vite ; oui, le pays traverse une crise ; mais dire que Maduro est anti-démocratique, ce n’est pas vrai. On pourrait même dire que ce coup a été orchestré par la droite pour provoquer la salida – « la sortie » – du président actuel.

Sur les réseaux sociaux, certains ont parlé de la censure de Maduro à l’encontre des médias vénézuéliens, mais les grosses chaînes telles que El Universal, Ultimas Noticias,El Nacional, qui sont les plus grandes sources d’information du pays, sont privées. Aujourd’hui, je pense que ce sont les manifestants qui ont tort. Et même si je comprends le désarroi des citoyens – sur les questions de sécurité par exemple – l’idée d’un renversement du régime me fait penser au coup d’État du 11 septembre 1973 au Chili.


Photo : Manaure Quintero/Transterra Media

Il semble qu’aujourd’hui, la seule arme du peuple est de prendre les rues comme on l’a vu sur les places Tahrir ou Maïdan, mais dans le cas bolivarien, le peuple serait pour toi la marionnette de la droite ?
C’est cela. Dans le cas du Venezuela, la cause étudiante était justifiée, mais aujourd’hui ça va beaucoup trop loin. Avec la réappropriation des manifestations par les partis de droite, l’axe du débat a été dévié.

Faire face à cette révolte est le premier vrai test pour Maduro, même s’il semble bien ancré au pouvoir grâce au soutien populaire qu’il reçoit – et celui de l’armée. Il faut adapter la politique du gouvernement aux problèmes actuels, et non changer de gouvernement. Il est vrai que le « chavisme » pur ne fonctionne plus vraiment, mais d’un autre côté les disparités de richesses au Venezuela ont vraiment été réduites. J’espère que la paix s’installera à nouveau dans mon pays. Pour ça il faut que le président Maduro traite les sujets d’insécurité rapidement, et que la population s’instruise sur les problèmes actuels et leurs causes.

Merci, Josefina.