En 2008, entre janvier et juillet, cinq jeunes ont été tués à Enfield : Henry Bolombi, 17 ans, Louis Boduka, 18 ans, Iyke Nmezu, 16 ans, Bakari Davis, 24 ans, et Melvin Bryan, 18 ans. « La communauté locale en était rendue à demander aux forces de l’ordre de mettre fin à cette montée dramatique de la violence et tenter de refaire d’Enfield un lieu sûr pour ceux qui y vivent », lit-on dans les notes de Heidi Stonecliffe QC, l’une des avocates de l’accusation travaillant sur l’affaire Boombox. Trente-cinq hommes ont été condamnés à la suite de l’opération. La plupart d’entre eux étaient noirs, âgés de 16 à 41 ans, et reconnus coupables d’infractions allant du trafic de drogue au trafic d’armes.« Si ces agents infiltrés avaient été découverts, il n’y aurait probablement pas eu de discussions, vous savez, ça aurait été très violent. Fin de l’histoire » - Heidi Stonecliffe, avocate.
Un soir, Chinhemba a reçu un appel inattendu de Tyrone, qui avait de nombreuses questions sur ses activités. « Évidemment, dans ma tête, ça n’a pas fait tilt, [jamais je n’aurais pensé que] ce type pouvait être un flic. Notre conversation portait essentiellement sur la musique. J’essayais de lui faire comprendre que je voulais percer dans l’industrie. [Je pensais] qu’il pourrait me proposer un job. C’est ce que j’avais en tête. Il ne m’est jamais venu à l’esprit que ce type pouvait essayer de nous piéger », dit-il.Un jour, Chinhemba était au Boombox lorsque Tyrone l’a abordé et lui a dit qu’un de ses amis arrivait d’Irlande ; il était bon, disait Tyrone, mais c’était aussi un toxicomane et il avait besoin d’héroïne. Il a demandé à Chinhemba s’il pouvait le dépanner.« C’est comme ça qu’ils nous ont piégés. Ils nous ont poussés à commettre un crime parce qu’ils ne nous avaient jamais vu faire quoi que ce soit de criminel. » - Chinhemba

Nawrozzadeh explique : « L’argument de la défense était que les agents infiltrés ont piégé les accusés en les incitant à commettre des infractions qu’ils n’aurait pas commises sans leur intervention. »« Ces infractions ont été fabriquées par la police qui s’est servie d’officiers noirs plus âgés sous couverture et a cherché à criminaliser les jeunes du quartier plutôt que d’obtenir des preuves de crimes que ces derniers avaient déjà commis ou avait l’intention de commettre », ajoute-t-il.« Parmi les incitations et les pressions, on retrouve une utilisation régulière des studios d’enregistrement, des cigarettes et des boissons gratuites, recharger gratuitement son téléphone portable, fournir à l’accusé du cannabis et l’autoriser, lui et d’autres personnes, à fumer dans les locaux, et lui faire miroiter un avancement dans sa carrière musicale », poursuit Nawrozzadeh. Mais ces points n’ont pas interpellé le juge. Stonecliffe estime que ceci fait partie intégrante de la relation qui s’est établie entre l’agent infiltré et le prévenu, et que les incitations étaient en grande partie un effort, de la part de Fish, d’empêcher le prévenu de commettre d’autres délits.« La police s’est servie d’officiers noirs plus âgés sous couverture et a cherché à criminaliser les jeunes du quartier plutôt que d’obtenir des preuves » - Abbas Nawrozzadeh, avocat.
Sur les 35 individus arrêtés dans le cadre de l’opération Peyzac, 30 ont été identifiés par la police et dans la presse populaire comme des membres de gangs. Ce terme a d’ailleurs été invoqué lors du procès. Cependant, un autre accusé qui a souhaité ne pas être nommé raconte à VICE que si certains d’entre eux connaissaient leurs coaccusés, la majorité d’entre eux contestaient le fait que cela représentait l’appartenance à un « gang ».Interrogé sur son implication dans les gangs, Chinhemba indique qu’il n’avait aucune conscience de ce qu’était un gang. « Je faisais comme tout le monde, je m’intégrais dans la société anglaise, et l’environnement dans lequel je vivais était majoritairement noir », dit-il. En 1998, la police britannique a lancé l’opération Trident. En 2001, la police de Manchester a créé la Manchester Action Against Guns and Gangs (MAAGGs). Ces équipes spécialisées de la police et de la justice pénale (les unités « armes à feu » et « gangs ») ont été créées en réponse à l’émergence et à la croissance en Angleterre de gangs à l’américaine caractérisés par un comportement criminel avec des armes à feu et des couteaux et par la perpétration d’infractions violentes. Au cours des 20 années qui ont suivi, d’autres politiques ont été introduites en réponse à la croissance perçue du nombre de gangs en Angleterre, mais, fait important, il existe peu de preuves de leur efficacité.« On affirme que ces opérations sont d’énormes succès alors qu’il n’y a précisément aucune preuve de leur réussite » - Juanjo Medina et Jon Shute, chercheurs.
Au Royaume-Uni, les opérations policières d’infiltration sont régies par la loi de 2000 sur la réglementation des pouvoirs d’investigation (RIPA). Le Home Office Code of Practice on Covert Human Intelligence Sources (CHIS), élaboré en vertu de cette loi, fournit des règles détaillées sur ce que les agents sous couverture peuvent et ne peuvent pas faire lorsqu’ils sont en mission. Outre la RIPA, les opérations d’infiltration sont régies par une série d’autres lois, telles que la loi sur les droits de l’homme de 1998, la loi sur la police et les preuves criminelles de 1984 et la loi sur les poursuites judiciaires de 1985. Les agents de police doivent également se conformer au code de conduite national pour les agents de police sous couverture, élaboré par le National Undercover Working Group et le College of Policing. Malgré l’existence d’un cadre solide de réglementation statutaire, il est peu probable que les agents infiltrés soient poursuivis pour leurs actions tant que celles-ci s’inscrivent dans le cadre de leur rôle sous couverture. « Les opérations de police sous couverture ont dû évoluer au fil du temps et s’adapter à un environnement assez difficile. Mais elles restent efficaces », affirme Richard Carr, ancien commissaire de police de Merseyside et maître de conférences au Liverpool Centre for Advanced Policing Studies. « Je pense que le travail sous couverture a un rôle vital à jouer dans le maintien de l’ordre. Mais il faut le faire de manière éthique et mesurée. Il faut respecter les règles. Tout cela doit être autorisé. » « Certaines de ces personnes sont peut-être innocentes et ont été piégées. Et je ne sais pas si c’est le cas [ici], mais cela ne signifie pas que les opérations de police sous couverture sont inefficaces », ajoute-t-il. « Cela signifie simplement que cette opération n’a pas été menée aussi éthiquement que l’on pourrait le souhaiter. »Mais le cas de Chinhemba soulève des questions sur les limites de la conduite de la police. « Je ne veux pas passer pour une personne anti-police ou anti-gouvernement ou pour quelqu’un qui ne regrette pas ses erreurs », dit-il. « Je n'essaie pas de minimiser mes actes. »« Ce que je dis, c’est que le maintien de l’ordre aurait pu être assuré d’une meilleure manière. Ils auraient pu faire le tri et dire “Ce mec n’a pas sa place en prison. Il peut être réhabilité au sein de la communauté. Ce mec est dans une situation vulnérable”. Je n’avais pas à passer 15 mois en prison. »Camilla Patini est sur Twitter, Nick Thompson aussi VICE France est sur TikTok, Twitter, Insta, Facebook et Flipboard.« Je pense que le travail sous couverture a un rôle vital à jouer dans le maintien de l’ordre mais il faut le faire de manière éthique et mesurée » - Richard Carr, ancien commissaire de police.
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