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photo : János Szüdi via Unsplash


Sexe

Le pire conseil en matière de sexe

Si, aujourd’hui, la plupart des conseils de merde sont plus embarrassants qu’autre chose, certains peuvent laisser des séquelles – la preuve avec ce petit tour de table de quelques potes.
Nadia Kara
Antwerp, BE

L’éducation sexuelle connaît un boom sans précédent : le sujet du consentement, l’éthisation du porno, la démocratisation du kink et du polyamour… Des suppléments week-end du journal de vos parents aux TikToks de gens plus préoccupés par leur bien-être que par leur tableau de chasse, il y a de quoi (se ré)jouir.

Mais l’information n’a pas toujours été à portée de main : quand j’étais ado, au début des années 2000 (je viens d’avoir 35 ans, je vous évite le calcul), on ne pouvait pas juste faire une recherche Google pour répondre à nos questions. Alors on devait s’en remettre aux films, aux paroles de rap ou à nos potes (tout aussi peu expérimenté·es que nous) pour espérer devenir des bêtes de sexe : du fourrage de tarte rendu populaire par American Pie à la légende urbaine qui dit qu’il faut se laver la bite avec du bain de bouche avant l’acte, ça partait dans tous les sens. Et si, aujourd’hui, la plupart des conseils de merde sont plus embarrassants qu’autre chose, certains peuvent laisser des séquelles – la preuve avec ce petit tour de table de quelques potes. 

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Hendrik (29 ans) – « Entraîne-toi à la maison, le sexe anal ne te fera plus mal »

VICE : Dis-moi qu’on parle de sextoys…
Hendrik
: Dans ce cas-ci, malheureusement non. La personne qui m’a partagé cette pépite de sagesse – mon premier partenaire – avait plutôt en tête quelque chose qu’on trouve dans un panier de fruits et légumes bio.

Oh non…
Et si. Je pense que c’était dit sur le ton de la rigolade, mais la vérité, c’est que même s’il s’agissait de sextoys, le fait de s’entraîner avec des plugs ou des godemichés ne va pas rendre la pénétration anale magiquement plus facile. Ça aide peut-être à s’habituer à la sensation, mais c’est pas comme si tu pouvais t’élargir l’anus à l’avance pour ne plus devoir le faire dans le feu de l’action.

T’as quand même essayé ?
Ouais, mais j’ai eu la présence d’esprit de le faire avec mes doigts plutôt qu’une courgette.

Si tu devais contrer ce conseil pourri avec un vrai bon conseil pour quelqu’un qui est intimidé par le fait de recevoir du sexe anal, qu’est-ce que tu dirais ?
Que c’est sur le moment-même qu’il faut vraiment prendre son temps et faire les choses bien : tu dois pouvoir te sentir confortable, à l’aise, avoir un bon lubrifiant… Y’a pas de solution miracle pour accélérer ou faciliter les choses, ne va pas te blesser en pensant avoir trouvé un hack.

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Lucie* (36 ans) – « Les hommes ont des besoins, parfois il faut se forcer un peu »

VICE : Ah ouais, c’est un grand classique celui-là.
Lucie :
Ouais, le fameux « devoir conjugal ». C’est cette idée que si tu ne satisfais pas ton homme quand il a envie, il ira voir ailleurs, et à raison. Le pire c’est que comme ma première vraie relation était assez toxique et que l’ex en question abusait vraiment de ça, c’est une idée qui s’est ancrée en moi très profondément. Pendant les dix ans qui ont suivi, quand j’étais avec un mec qui avait envie et moi pas, je me mettais à pleurer.

Tu te sentais coupable ?
Oui, terriblement. Je m'excusais de la situation, j'avais l'impression d'être la pire meuf, et d'être incapable de satisfaire mon copain. Je plaçais clairement son bien-être et ses besoins avant les miens. Même si c'est loin derrière moi, d'une certaine façon c'est quelque chose sur lequel je suis en travail constant. J'ai toujours fait passer les besoins de mes ex avant les miens et sur le long terme, ça n'apporte que de la rancœur.

Quelle a été la réaction de tes partenaires ?
La plupart étaient un peu ébahis, ils comprenaient pas vraiment pourquoi je me stressais tellement avec ça. Le plus souvent, leur réaction, c’était « non mais t’inquiète, ça va hein ». J’ai l’impression que cette notion de devoir conjugal, c’est quelque chose qu’on inculque vraiment chez les meufs, alors que les mecs sont pas (ou plus) spécialement éduqués à croire que leur meuf doit satisfaire tous leurs besoins, même quand elles n’en ont pas envie. Du coup, les filles nourrissent le truc en silence, emmagasinent des traumas de sexe non-consensuel, et parfois leurs partenaires ne s’en rendent même pas compte.

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« La pièce est tombée il y a quelques années, quand la parole s'est libérée et qu'on a commencé à parler de viol conjugal. »

Qu’est-ce qui t’a fait réaliser qu'on t’avait mal conseillée ?
La pièce est tombée il y a quelques années, quand la parole s'est libérée et qu'on a commencé à parler de viol conjugal. Ça a été une claque très violente, je me suis rendu compte que c'est ce que j'avais vécu durant toute ma première relation, et qu’à mes yeux,  ce conseil de merde légitimait la violence de mon ex à mon égard. 

Ça t’a aidée, de pouvoir placer ton expérience dans un contexte sociétal ?
Grave. Ça faisait un moment que j’avais compris que ce « conseil » n’en était pas vraiment un, mais il y avait toujours un fond de culpabilité bien présent. Pouvoir mettre des mots sur ce que j’avais vécu et expliquer d’où venait le malaise, ça a été une libération complète.

Qui t’avait donné ce conseil ?
Ma mère. Elle pensait sincèrement m'aider en m'expliquant qu'une femme doit savoir bien cuisiner et être toujours partante au lit pour maintenir un couple heureux. Beaucoup de femmes ont grandi avec ce genre d’idées imposées par le patriarcat, ça se transmet de génération en génération. Ma mère a grandi dans un milieu abusif et violent, donc sa boussole n'est pas très bien réglée à ce niveau là.

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Si aujourd’hui tu pouvais conseiller une jeune fille en matière de sexe, qu’est-ce que tu lui dirais ?
En dehors de ce conseil de merde, j'ai été élevée avec un rapport très positif au sexe, où on m'expliquait que rien n'était tabou ou interdit. Donc je pense que je répèterais ça, en lui disant de surtout se demander si elle est consentante dans ce qu'elle fait, si elle en a vraiment envie, ou si elle fait ça pour se faire aimer. J’insisterais sur le fait qu'elle a toujours le droit de dire non ou de changer d'avis, même en plein milieu.

Tim* (38 ans) – « Pense à ta grand-mère pour durer plus longtemps »

VICE : D’office tu l’as déjà testé celui-là.
Tim:
Ben oui, évidemment ! Mais bon, j’avais 16 ans et j’avais aucune expérience ; du coup, un conseil qui pouvait me transformer en bête de sexe, j’étais bien obligé de le suivre !

Et ça a porté ses fruits ?
Pour ma partenaire probablement, oui, mais ça m’a quand même fait vraiment bizarre d’amener ma pauvre grand-mère dans mes ébats d’ado.

Tu te souviens qui t’a conseillé ça ?
C’était un pote d’école, le premier du groupe à perdre sa virginité et forcément, la référence de la classe en matière de sexe. Mais bon, c’est aussi un conseil que j’ai beaucoup entendu avec différents degrés de sérieux autour de moi et dans les séries télé.

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Après, je comprends le besoin de base – vouloir faire durer la session de sexe un peu plus longtemps. Quand t’as un pénis, y’a quand même beaucoup de pression autour de la performance.
C’est clair. Quand j’étais plus jeune, je pensais vraiment devoir endosser le rôle de satisfaire mes partenaires, je leur demandais aussi souvent ce qu’elles avaient pensé de mes prestations, j’avais besoin de validation. Avec les années, j’ai appris que l’orgasme ne doit pas nécessairement être le but ultime d’un rapport sexuel. C’est beaucoup plus important de pouvoir en profiter, ensemble, du début à la fin. Et si tout le monde a un orgasme, encore mieux, et si vous arrivez à synchroniser, c’est la cerise sur le gâteau… Mais au final, c’est le gâteau que je préfère.

Est-ce que vous parlez souvent de ça entre mecs ?
Ce qui me frappe quand j’y pense, c’est qu’entre nous, ça parle en long et en large de coups d’un soir ; en revanche, la parole est beaucoup moins libérée quand il s’agit de sexe dans le cadre d’une relation amoureuse. C’est un peu dommage.

Ouais, comme quoi la masculinité stéréotypée est encore bien présente. Et avec tes partenaires, t’en discutes ?
Oui, j’ai déjà eu pas mal de discussions ouvertes et constructives à ce sujet avec mes partenaires. À propos de nos attentes mutuelles, de nos préférences… ça aide à réduire la pression en matière de performance et à recentrer la vie sexuelle sur les besoins particuliers de chacun·e.

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Et aujourd’hui, tu fais quoi pour te distraire quand tu veux te retenir ?
Je pense à mon taf, à une promenade dans les bois ou à mes problèmes d’argent. Mais bon, t’as toujours le risque de débander complètement et de ruiner le mood du moment. C’est un jeu risqué ! Très honnêtement, ça fait des années que je ne le fais plus. Entretemps, j’ai trouvé d’autres techniques plus efficaces pour durer plus longtemps, je travaille sur ma respiration, ce genre de truc. Et si ça marche pas, c’est pas la fin du monde !

Si tu pouvais remonter le temps et donner un vrai bon conseil à l’ado que t’étais, tu lui dirais quoi ?
Sois présent dans l’instant. Ne t’encombre pas la tête avec ce que l’autre attend de toi, tu n’as pas à impressionner qui que ce soit. Au final, personne n’est omnipotent·e ou parfait·e en matière de sexe, le plus important c’est de profiter ensemble du moment.

Gregory* (28 ans) – « Fais ta douche anale à l’eau très chaude »

VICE : Pardonne ma question ignorante, j’ai encore jamais fait de douche anale… Pourquoi c’est un mauvais conseil ?
Gregory :
Parce que ton colon est très sensible. Si l’eau est trop chaude, ça peut être une expérience extrêmement douloureuse et potentiellement dangereuse. Dans mon cas, je me suis carrément brûlé la première fois que j’ai essayé.

Aïe.
Ouais, c’était assez traumatisant. Après, c’est très révélateur de l’expérience que vivent beaucoup de gens homo. On n’est pas égaux quand il s’agit d’éducation sexuelle : en tant que personne queer, bien souvent, tu dois te débrouiller tout·e seul·e pour trouver tant bien que mal réponse à tes questions.

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Tu trouves que c’est mieux maintenant ?
Oui et non. Clairement, il y a beaucoup d’info disponible et on a accès à plus d’expériences via les réseaux sociaux, les séries… Mais dans l’éducation sexuelle « officielle », celle qui se fait dans les écoles par exemple, on continue de mettre l’accent sur l’aspect biologique du sexe, sur les risques et la prévention. On ne parle pas de plaisir, et ça perpétue le mystère et le tabou autour de questions pratiques comme celle que je me posais à l’époque, ou sur le plaisir des femmes par exemple.

Charlotte (36 ans) – Une boite de pilules contraceptives

VICE : OK, pose-moi le contexte.
Charlotte :
Le jour de mes 18 ans, ma mère a déposé une boite de pilules sur mon bureau, sans message ni rien. J’imagine que c’était sa façon de me mettre en garde, en mode « ne tombe pas enceinte ».

J’en conclus qu’on parlait pas vraiment de sexe dans ta famille.
Alors là non, pas du tout. Sur le coup, en trouvant mon « cadeau », j'étais super gênée, mais aussi très surprise. À la maison, on ne discutait jamais de sexe, d'intimité, de relations ou d'amour. J'ai même jamais vu mes parents nus. Et là, d’un coup, sans aucune discussion, ma maman mettait le sujet sur la table, mais uniquement sous l’angle des risques et en mettant toute la responsabilité sur moi, en tant que jeune femme. J’avais l’impression d’avoir été prise en flagrant délit, surtout que j'avais déjà eu des relations sexuelles. 

« Pendant longtemps, je pensais que le sexe ça voulait dire  “être désirée” et “être belle” ; je me posais pas la question d’être satisfaite ou d’avoir une vraie connexion avec quelqu'un. »

Avec le recul, est-ce que ce manque d’éducation sexuelle a causé des problèmes dans ton développement par après ?
Je crois que j'ai surtout mis du temps à concilier l’intimité avec le sexe. Pour moi, le sexe, c’était surtout un moyen d'impressionner, et comme personne ne m’avait appris à parler de ce que j’aime, qu’on pouvait se découvrir ensemble en prenant le temps, j'ai copié ce que voyais, ce que je pensais savoir. Pendant longtemps, je pensais que le sexe ça voulait dire  « être désirée » et « être belle » ; je me posais pas la question d’être satisfaite ou d’avoir une vraie connexion avec quelqu'un. Ce n'est que plus tard, quand j'ai décidé d'être célibataire et de me concentrer sur ce que je voulais vraiment faire de ma vie que j'ai trouvé l’assurance de dire « non » à tout le monde. Jusqu'à pouvoir dire « oui », haut et fort, à l'homme de ma vie. Avec lui, j'ai élevé une belle-fille qui est maintenant adulte et j'ai un fils qui a presque 8 ans.

Du coup, comment ça se passe de l’autre côté de la barrière ? Est-ce que tu parles de sexe avec tes enfants ?
Avec ma belle-fille, j’ai toujours insisté sur une chose : les cases, c’est dans ta tête. Filles, garçons, les deux, ni l’un ni l’autre. À un, deux ou trois à la fois, ou les un·es après les autres, relation ou pas, sexe ou pas, tout est possible tant que toutes les personnes concernées y consentent. Mon fils de 8 ans, lui, commence à prendre conscience du mot « sexe » : il l'entend à l'école. Avec lui, j’insiste beaucoup sur le fait que des notions comme le genre sont des constructions sociales, que tout n'est pas binaire. En fait, pour moi, l'éducation sexuelle c’est une petite partie de l'éducation au corps : les bourrelets, les poils, la cellulite, je lui explique que c’est normal, qu’il n’y a pas à porter de jugements. Je suis aussi très ouverte sur mes règles. Et puis, je lui inculque que « stop », c’est « stop », que ce soit pendant un jeu, une taquinerie, peu importe : je pense que c’est important qu’il intègre le concept de consentement comme quelque chose de normal.

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