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La taxidermiste qui cuisine et mange les animaux qu'elle empaille

Beth Beverly est une taxidermiste qui a la particularité double d'avoir appris à tuer et cuisiner les animaux qu'elle empaille en regardant des vidéos sur Youtube. is a taxidermist who is taking things one step further than most of her peers by...
Beth Beverly

Il y a peu, je suis devenue complètement accroc à Immortalized, une émission de télé-réalité sur les taxidermistes. J'ai englouti les huit épisodes de la première saison dans une spirale frénétique avant d'apprendre que le programme ne possédait pas de seconde saison. Avec le manque, ce qui n'était en apparence qu'une passion éphémère pour le monde étrange des animaux empaillés s'est transformée en une véritable obsession. Je m'étais toujours dit qu'à force d'avoir les mains dans des créatures mortes toute la journée, les taxidermistes devaient être les personnes les psychologiquement fortes au monde. Mais après avoir maté ce programme, je sais qu'ils ont aussi un cœur.

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Ma fascination pour cette émission est montée d'un cran le jour où je suis partie rendre visite à Beth Beverly, une taxidermiste qui tient boutique à Philadelphie et —accessoirement— l'un des protagonistes de la série Immortalized. Quand je suis rentrée dans son atelier elle se tenait assise derrière un bureau sur lequel traînaient quelques chutes de papier de verre, des pattes de lapins et des plumes de pintade. Pas vraiment le décor fait de sang et de chair à vif auquel je m'étais préparée. J'ai fini par choper un tabouret et je me suis installée derrière elle pendant qu'elle frottait un peu de pâte d'argile noire sur les paupières de Tyrone, un petit chien bâtard qu'un client lui avait commandé.

Beverly conserve la plupart des animaux en attente d'être empaillés dans un grand congélateur à rayures rouge et blanches. Ce jour-là, le congélateur était plein à craquer et une grosse boite en métal posée sur le capot faisait office de poids pour l'aider à fermer. À l'intérieur, des lapins congelés de calibre moyen, trouvés morts dans les champs, empoissonnés par les pesticides. Pour trouver ces spécimens dits « morts d'une cause naturelle », elle se rend généralement dans une ferme de l'État de New York tenue par Thomas McCurdy et Bailey Hale, des amis à elle qui élèvent des oies, des cochons, des lapins et des poulets. Elle vient d'ailleurs tout juste de finir leur cadeau de mariage : une belle naturalisation de la tête d'Orka, leur brebis préférée morte en mettant bas. Beverly n'a jamais été à la chasse de sa vie mais il y a peu, elle a vécu une expérience qui a changé à jamais son rapport avec les animaux.

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Et elle en parle encore comme si c'était hier. Mais c'était l'été dernier lors d'une après-midi passée à la ferme des McCurdys. Elle se souvient de s'être penchée pour attraper un petit lapin, de l'avoir délicatement installé au creux de ses bras et de s'être ensuite mise à lui parler d'un ton apaisant en lui caressant les oreilles et le pelage. Quelques secondes plus tard, elle lui brisait la nuque.

Beverly a ensuite jeté la petite bête — toujours en vie — sur un plan de travail et Thomas McCurdy s'est chargé de lui couper la tête à l'aide d'une hache. « Il gesticulait encore, m'a-t-elle expliqué. Tu leur coupe la tête mais ils continuent d'agiter leurs pattes dans tous les sens pendant un bon petit moment ».

Un lapin anonyme, mort pour la taxidermie.

Beverly s'est spécialisée dans la confection d'accessoires de prêt-à-porter. Et elle est plutôt créative : un jour elle s'est fabriquée un chapeau à partir d'un scrotum de renard. C'est en allant acheter un faisan chez son boucher pour s'entrainer à la dissection qu'elle a été pour la première fois curieuse de goûter à la viande des animaux qu'elle empaille. De retour chez elle, au moment de dépecer méticuleusement le faisan avec son scalpel, elle s'est retrouvée avec l'envie furieuse de croquer dans la chair à pleines dents. Plus elle séparait la peau de la chair et puis la chair des os, plus son appétit pour la viande de faisan grandissait. « Ce que j'avais en face de moi était devenu bien plus qu'un simple morceau de protéine animale quelconque achetée à la boucherie du supermarché », m'expliqua-t-elle avant de poursuivre : « J'ai grandi dans une famille où tout le monde était au régime toute l'année et où la nourriture était considérée comme quelque chose de mauvais. La taxidermie m'a aidé à m'intéresser davantage à l'origine de la nourriture que j'ingurgite et à développer une relation plus intime avec les animaux que je naturalise ».

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McCurdy en train de dépouiller le lapin.

À nouveau, elle évoque les circonstances de son premier crime professionnel. Pour tuer le lapin l'été dernier, elle a d'abord regardé un tutoriel vidéo sur YouTube pour savoir comment s'y prendre. Puis elle a avalé un grand shot de whisky. Elle fut plutôt surprise de ne pas s'être mise à pleurer juste après avoir tordu le cou de l'animal : « C'est comme si je n'avais ressenti aucune émotions». Elle donne des détails sur la méthode employée : _« Tu dois commencer par le faire saigner rapidement. _Ensuite il faut dépouiller le lapin_ »_. Pour ça, elle suspend le lapin à une planche de bois par les pattes arrières et le laisse se vider progressivement de son sang. Puis, elle commence à le dépecer en tirant progressivement sur la peau du lapin comme on retirerait des collants. Cette fois là, les entrailles du lapin étaient encore chaudes quand elle y a plongé ses mains pour extraire le cœur. Beverly a essayé d'ôter la vessie en une seule fois mais elle s'est retrouvée avec de la pisse de lapin partout sur les mains. La poche d'urine qu'elle a extrait faisait la taille d'une grosse bille et faisait penser à une petite bombe à eau blanche, marbrée de veines rouges.

Voilà à quoi ressemble une vessie de lapin.

After

Aussitôt après s'être lavée les mains, elle est partie filer un coup de main à McCurdy et ils se sont attelés à la préparation d'un ragoût de lapin mijoté, façon Reine Elizabeth. Au même moment, Beverly réalisait qu'elle s'apprêtait à manger l'un de ses futurs sujets de taxidermie : « Pour la première fois, je ne me suis pas sentie coupable et je n'ai ressenti aucune honte. Il y avait tellement de bonne nourriture devant moi, il fallait que je m'en régale jusqu'au dernier petit morceau ».

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Le ragoût de lapin, façon Elizabeth.

Le lendemain, Beverly n'allait sûrement pas rentrer chez elle les mains vides. Elle a rempli une glacière avec la tête du lapin, sa peau, ses pattes et ses abats et a chopé le premier bus direction Philadelphie. De retour à son atelier, elle s'est rapidement mise au boulot. Elle a d'abord gratté les crânes et fait bouillir les cervelles dans de l'eau de source pour fabriquer une pâte à tanner la peau de lapin maison. La recette, confiée par une amie à elle d'origine amérindienne, sert à préserver les cuirs et les empêcher de pourrir. À la fin, on obtient une espèce de bouillie grise et visqueuse qui pue un peu le rayon boucherie. Pour monter la tête du lapin, elle l'a empaillé et y a ajouté une paire de cornes en plastique fabriquées à l'imprimante 3D pour donner naissance à un magnifique jackalope, ce lapin à cornes imaginaire très présent dans le folklore américain. La peau du lapin, tannée à la bouillie de cervelle, s'est transformée en un joli foulard pour McCurdy. Quant aux abats, ils ont fini dans le ventre de ses chats (ils en raffolent).

Le lapin naturalisé, transformé en jackalope.

Quelques jours plus tard, un nouveau faisan atterrissait sur le plan de travail de Beverly : la commande spéciale d'un chasseur qui voulait le faire monter en trophée. Après avoir dépecé et vidé le gibier, elle a jeté les morceaux de viande de faisan dans une cocotte avec des oignons, des carottes, du céleri, une gousse d'ail et un bouillon de légumes. Elle a mis l'oiseau de chasse à mijoter pour trente-six heures, le temps pour la viande de bien s'attendrir. Selon elle, la viande de faisan a un peu le même goût que la viande de dinde :

« Je me suis rendu compte que cette viande était super bonne et j'ai décidé de ne plus jamais la jeter directement à la poubelle. »

Depuis, même quand elle n'empaille pas, elle a pris le réflexe d'utiliser toutes les parties comestible des animaux qu'elle achète. Elle vient de commander un cochon de ferme entier et absolument tous les morceaux de la bête seront cuisinés, sans exceptions.

« Je me sens tellement plus épanouie depuis que mon métier me fait manger, au sens propre comme au figuré », affirme-t-elle, non sans un brin de malice dans les yeux.

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