Las Vegas est l'une des rares villes des États-Unis où il est autorisé de picoler librement dans la rue et en particulier sur le « strip », cette gigantesque avenue centrale bordée par les casinos. Une seule obligation légale néanmoins : le récipient qui contient l'alcool ne doit pas être en verre. Une aubaine pour les fabricants de gobelets qui — dans la ville de tous les excès plus que n'importe où ailleurs sur la planète — en profitent pour rivaliser d'une inventivité au bon goût des plus relatifs.
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Faites place au « yard-longs », ces gobelets démesurés remplis d'alcool qui font plus d'un mètre de haut et qui sont de véritables pièges à touristes adulescents en quête d'une mite rapide et d'un jouet à ramener à la maison. Ces créations en plastique au format XXL sont un peu l'équivalent liquide et à emporter de ces buffets à volonté dérisoires que l'on trouve un peu partout dans « Sin City », à l'exception du fait qu'ils coûtent en moyenne 40 balles.
Est-ce que cela fout la honte de se trimballer avec un de ces gobelets géants ? Franchement, la question ne se pose pas : qui s'en branle encore de quelque chose à Végas. Quoi de plus déconneur que de déambuler dans la rue en sirotant un bon daïquiri aromatisé bacon-donut-sirop d'érable dans un gobelet « lady-boy » aux formes suggestives ? Même topo pour les cocktails à base de rhum qui sont servis dans des pintes géantes en forme de bikini ou de bottes de strip-teaseuses. Quant aux cocktails granités à très forte teneur en alcool, ils sont proposés dans des récipients en forme de ballon de football américain, de bottes de cow-boy ou reprennent l'idée de la lampe-jambe comme dans A Christmas Story.
Quoi, vous avez tout claqué au casino et vous êtes à court de tunes ? Vous avez peut-être eu le temps d'acheter une de ces pintes de Bud Light Straw-Ber-Rita avec des pailles géantes qui vous font passer pour le plus gros flambeur du coin. Peut-être que vous avez aussi eu la bonne idée d'acheter un de ces « yard-longs » en forme de guitare électrique, de Tour Eiffel ou de tour de l'hôtel Stratosphere. Dans ce cas, vous êtes refaits car ils resteront désormais à jamais dans un coin poussiéreux de votre appartement pour vous rappeler à quel point vous avez été débile ce jour-là.
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Mais pourquoi penser au futur, puisque vous êtes encore coincés à Végas ? Et là, tout de suite, vous êtes sûrement en train de ramasser à la vue de tous ces mecs déguisés qui font les marioles sur le « strip » pour gratter quelques dollars. Ce vieil homme assez âgé qui se dandine dans un monokini façon Borat devient tout de suite plus supportable avec votre litron de piña colada servi dans un énorme ananas en toc.
Le strip, c'est de toute façon le carnaval du grotesque et la mauvaise sensation d'avoir pris une mauvaise cuite sans n'avoir jamais rien bu. Alors autant se la coller tout de suite et bien.
Dans cette course à l'absurde, le récipient dans lequel vous buvez votre boisson semble définir la personne que vous êtes réellement. Le gobelet joue alors un rôle social : vous pouvez choisir de rester une pipe en buvant dans un verre en plastique ou au contraire, de montrer au monde entier que vous êtes un putain de fêtard en picolant dans une fiole de whisky géante.
D'ailleurs ici, tout le monde se toise : puisque tout le monde doit faire semblant de ne pas être en train de se faire chier, c'est devenu l'activité principale. Une déprime post-fièvre du jeu que l'on noie — comme l'on peut — sur le « strip » dans la piquette et des colliers de fleurs en plastique made in china. Pour autant, lever son « yard-long » à la santé de « Sin City » et de l'Amérique reste peut-être l'acte le plus digne et respectable que vous aurez à faire pendant toute la durée de votre séjour.