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Culture

Les Grands Feux de Wallonie sous l’objectif du photographe Romain Vennekens

À la fin de l'hiver, de nombreux Belges se réunissent pour allumer de grands bûchers et ordonner à l’esprit du feu de rendre les terres fertiles pour l’année qui vient.
HP
Brussels, BE
Romain Vennekens
Brussels, BE

Après avoir assisté pour la première fois à cette tradition l’année dernière, le photographe belge Romain Vennekens (30 ans) a parcouru différentes régions wallonnes avant le confinement pour photographier les Grands Feux. En gros, des jeunes construisent des bûchers, y mettent le feu et ça dure toute la nuit. Bien sûr, la coutume est plus complexe et renferme pas mal de concepts intangibles ; et c’est ce que nous a transmis Romain, qui s’est introduit au sein des populations locales pour livrer une série d’images qui retranscrit le côté originel presque sacré de ces évènements.

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VICE : Tu peux nous décrire la tradition des Grands Feux et ce qu’elle symbolise ?
Romain : Les Grands Feux c’est un folklore rural qui a lieu en Wallonie, principalement dans les provinces de Namur, de Liège et du Luxembourg, mais aussi en Flandre et d’autres endroits en Europe. C’est une tradition ancienne issue de croyances primitives et d’anciens cultes païens où on faisait un grand feu pour célébrer les saisons et les cycles astronomiques de l’année. Ces photos sont celles des Grands Feux de la fin de l’hiver, en mars. L’idée c’est d’ordonner à l’esprit du feu, qui représente la chaleur et la lumière, de rendre les terres fertiles pour toute l’année à venir.

« L’idée c’est d’ordonner à l’esprit du feu, qui représente la chaleur et la lumière, de rendre les terres fertiles pour toute l’année à venir. »

Comment se passe la préparation de cet évènement ?
Il y a d’abord la construction du feu qui prend plus ou moins de temps. C’est souvent les jeunes qui rassemblent le bois et, selon la tradition, font du porte à porte pour récupérer tout ce qui peut être brûlé. Puis iels construisent un bûcher. Il y a aussi une idée de sacrifice car on brûle Monsieur Hiver. Parfois, des ingénieur·es réfléchissent à comment avoir une cheminée à l’intérieur pour s’assurer que le feu prenne même sous la pluie.
Il y a aussi des concours du plus grand feu entre les villages. Le Grand Feu de Bouge, le premier feu que j’ai photographié et le plus connu en Belgique, est réputé pour sa taille et sa structure.

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Et pour la mise à feu ?
Normalement, il y a un calendrier très précis pour décider le jour où le feu va brûler. Le feu de Bouge a lieu le premier dimanche de Carême. Je pense qu’à un moment l’Église a essayé de christianiser ces événements alors qu’ils ne l’étaient pas. D’ailleurs, ça fait seulement 30-40 ans qu’on fait à nouveau ces Grands Feux, parce que l’Église avait essayé de supprimer ces traditions païennes. Le feu est allumé par le dernier couple marié de l’année, ou une personne désignée et mise à l’honneur par le village. Une fois qu’il commence à brûler, la fête peut commencer. Aujourd’hui, c’est en mode chapiteaux, techno et feux d’artifices, mais à la base on faisait des rondes et on chantait autour du feu. Le lendemain, les gens venaient ramasser les cendres pour les jeter dans leurs champs. Il y avait un côté superstitieux et sacré qui n’est plus vraiment présent.

« Ça fait seulement 30-40 ans qu’on fait à nouveau ces Grands Feux, parce que l’Église avait essayé de supprimer ces traditions païennes. »

Depuis quand tu assistes à cette tradition, puisque tu viens de Wallonie ?
J’ai appris que ça existait récemment, car je ne viens pas d’une région où il y en a. Il y a deux ans j’ai eu envie d’aller voir ; un ami m’en avait parlé donc on a été en voir un. J’ai trouvé qu’il y avait quelque chose d’hyper esthétique dans le feu et le rapport à la croyance primitive m’a tout de suite intéressé. Donc je me suis dit que j’allais y retourner l’année d’après et travailler sur une série.

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Comment tu as choisi les endroits et comment ça s’est passé sur place ?
Il y a plusieurs feux tous les week-ends donc tu ne peux pas aller partout. J’ai choisi un des plus populaires, et j’avais envie de retourner où j’avais été l’année d’avant à Rienne. C’est là que j’ai suivi les jeunes pendant la construction. Le confinement allait bientôt être annoncé en Belgique et tous les feux étaient annulés les uns après les autres. Pourtant des jeunes étaient là en train de construire. Un d’entre eux est venu vers nous et nous a proposé une bière donc on en a bu une, deux, trois… C’était assez dramatique car il a commencé à pleuvoir et iels ont continué de construire sans savoir si ça allait brûler. On a été accueillis dans le groupe et j’ai pu faire les photos sans la moindre barrière. J’ai fait quatre films en dix minutes.

« C’est le côté mystique et sacrificiel qui m’a touché au départ, pas la bière et les pains-saucisses. »

Comment tu as pensé la série ?
J’ai vraiment réfléchi à une narration qui ramène le Grand Feu à ce qu’il a pu être en tant que croyance. Je voulais isoler les éléments avec la photo pour montrer ce qui était proche du rituel païen, de la célébration. Ce n’est pas évident parce qu’aujourd’hui c’est devenu un spectacle avec des barrières, de la musique et parfois même des feux d’artifices qui n’ont rien à voir avec le rituel. Je pense que les éléments sacrés sont encore présents mais ils sont noyés sous tout ce qu’il y a autour. C’est le côté mystique et sacrificiel qui m’a touché au départ, pas la bière et les pains-saucisses.

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Selon toi, quel est l’impact de ces évènements sur la jeunesse wallonne et les populations qui vivent dans les villages alentours ?
L’impact est important de manière locale parce que ça dynamise la vie sociale et culturelle. Les Grands Feux sont des fêtes de village, les premières après l’hiver. Tout le monde se retrouve et fait la fête. Les folklores en général lient les gens et créent un sentiment d’appartenance. C’est donc très fort, mais ça peut aussi être enfermant. Quand on y va et qu’on ne vient pas de là, ce n’est pas toujours simple d’accès. Certains codes sont liés au fait d’avoir grandi dans ces endroits. Quand moi j’arrive, on sait tout de suite que je ne suis pas d’ici. Mais l’excuse d’avoir un appareil photo et l’envie de s’intéresser à ce qu’iels font ouvrent des portes assez incroyables.

« L'excuse d'avoir un appareil photo et l'envie de s'intéresser à ce qu'iels font ouvrent des portes assez incroyables »

Toi qui vit à Bruxelles, comment est-ce que tu comparerais cette ambiance à la nightlife des villes belges ?
Je trouve intéressant de voir des jeunes de mon âge pris·es dans une tradition car ce n’est pas quelque chose avec lequel j’ai grandi. D’ailleurs, la popularité des folklores a tendance à augmenter. La grosse différence, c’est qu’ils ont lieu une fois par an, donc il y a une excitation qui monte pendant des semaines. L’année peut être rythmée autour de ces évènements. Ça crée quelque chose de très spécial, une tension qui explose au moment du folklore et fait atteindre des extrêmes dans la fête et dans le grotesque. Tout le monde se connaît, alors que dans les villes on est plus anonyme. Après, ce qui lie ces deux ambiances c’est le sens de la fête de la Belgique et le fait qu’il n’y a pas beaucoup de honte à se mettre dans certains états.

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Certains événements de folklore belge sont perçus comme racistes et/ou sexistes. Comment tu te positionne là-dessus ?
Il y a une ambivalence dans les folklores. C’est un sujet très sensible parce qu’on touche à des traditions et donc à des affects. Vu de l’extérieur, un carnaval peut paraître extrêmement vulgaire et violent. Il y a une vraie différence entre être simple spectateur·ice et devenir acteur·ice d’un folklore. Certaines traditions véhiculent encore une forme de sexisme et de racisme, dans le fait d’être encore réservées aux hommes pour certaines, ou par les personnages représentés dans les cortèges des carnavals…

C’est en train de changer, mais il y a un aspect encore un peu moyenâgeux en Belgique. Je pense qu’il faut comprendre de quoi on parle tout en faisant avancer les choses. Les folklores ont toujours été en mouvement, il ne faut pas avoir peur de les faire évoluer, ce sera bénéfique pour tout le monde.

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Tu sais d'où viennent les costumes (qui rappellent tout de même ceux du KKK) ?
Ce sont les habits des bourreaux dans la tradition européenne et catholique et c'est c'est le KKK qui a repris ces costumes bien plus tard. Du coup aujourd'hui, c'est à eux qu'ils font penser, mais en fait tu les retrouves dans énormément de processions en Belgique mais aussi en Espagne, en Italie,…

« Les folklores ont toujours été en mouvement, il ne faut pas avoir peur de les faire évoluer, ce sera bénéfique pour tout le monde »

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Tu comptes poursuivre ces recherches visuelles ?
Je voudrais poursuivre le projet des Grands Feux l’année prochaine car je n’ai pas pu voir et faire tout ce que je voulais cette année à cause du contexte. De manière générale, je vais continuer d’explorer les éléments qui peuvent relier le matériel et l’immatériel, et il y a encore énormément de folklore à découvrir. Je ne suis pas arrivé au bout de cette question !

Plus de photos de Romain ci-dessous et sur son Instagram.

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