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Les Allemands délaissent la religion pour payer moins d'impôts

L’Allemagne a mis en place une taxe obligatoire pour toutes les personnes juives ou chrétiennes baptisées. Beaucoup préfèrent s'en débarrasser.
Religion, Germany, taxes - Composite image: Michelangelo’s ‘Creation of Adam’ split in two by stock image of coins.
Gold: IMAGO/Panthermedia | The Creation of Adam by Michelangelo

Peu de gens le savent, mais les chrétiens et juifs d’Allemagne versent chaque mois entre 8 à 9 % de leurs impôts à l’Église ou à la synagogue. Cette pratique, connue sous le nom de Kirchensteuer (« impôt d’Église » en allemand) ou Kultussteuer (« impôt de culte »), permet aux fidèles de contribuer au financement des institutions religieuses dans lesquelles ils ont été baptisés et enregistrés lorsqu’ils étaient enfants. Ces taxes concernent les institutions catholiques et protestantes ainsi que les synagogues, tandis que les chrétiens orthodoxes, les bouddhistes, les musulmans et quelques autres groupes en sont exemptés.

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Replaçons les choses dans leur contexte : avec un salaire mensuel moyen d’un peu plus de 3 500 euros avant imposition, un Berlinois devra payer plus de 46 euros d’impôt d’Église. Ce dernier est calculé sur base de ses cotisations sociales, c’est-à-dire sur les impôts prélevés à la fin du mois sur ses revenus et salaires, dont le taux peut varier entre 14 et 45 % en Allemagne. Dans cet exemple, notre Berlinois fera donc un « don » de 550 euros à un service dont il n’a peut-être que faire.

Les églises catholique et protestante d’Allemagne ont perçu 12 milliards d’euros à travers cet impôt en 2020, soit 800 millions d’euros de moins que l’année précédente. En fait, de plus en plus d’Allemands décident de quitter l’Église en partie pour échapper à cette fameuse taxe inscrite d’une manière ou d’une autre dans la loi allemande depuis 1919. Rien qu’en 2019, ils ont été plus d’un demi-million à quitter l’Église, avec des chiffres en chute libre pour les nouvelles confessions catholiques et protestantes. Parmi les Allemands croyants qui paient encore cette taxe, un tiers a déjà envisagé d’abandonner la foi l’année dernière, selon un rapport publié en 2021.

Andrea, 26 ans, est l’une de ces ex-adeptes. Elle a décidé de quitter l’Église protestante en 2020, juste après un Noël en famille passé à Gütersloh, une petite ville d’Allemagne occidentale. Alors que sa grand-mère lui demandait quand elle était allée à l’église pour la dernière fois, elle s’était rendu compte qu’elle n’y avait plus mis les pieds depuis un voyage scolaire en 2014. « Elle n’a pas vraiment apprécié que ça fasse si longtemps », raconte Andrea. « Elle m’a dit qu’elle allait prier pour moi. C’est là que j’ai pris la décision de quitter l’Église pour de bon. »

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Andrea avait déjà envisagé de le faire depuis son installation à Hambourg pour ses études, sans jamais réussir à aller jusqu’au bout. « C’était en partie par paresse, en partie par ignorance, et en partie parce que je ne voulais pas décevoir ma grand-mère », explique-t-elle.

Carsten Frerk, humaniste et expert en finances ecclésiastiques, précise que les chrétiens allemands ne sont théoriquement censés payer la taxe qu’une fois qu’ils sont devenus officiellement membres de l’Église, après leur confirmation. Mais dans la pratique, toute personne baptisée voit la taxe déduite de son salaire à la fin du mois.

Il y a, bien sûr, d’autres raisons pour lesquelles de plus en plus d’Allemands décident de quitter l'Église. En Allemagne comme partout ailleurs, l’Église catholique a été secouée par de nombreux scandales. En juin 2021, le cardinal Reinhard Marx, l’un des plus hauts responsables du clergé allemand, a présenté sa démission. Celle-ci faisait suite à un rapport stipulant qu’entre 1946 et 2014, l’Église catholique allemande aurait dissimulé au moins 3 677 cas d’abus sur des enfants. Le pape a refusé cette démission. En août de la même année, le pays tout entier a été choqué par les détails macabres d’une affaire d’abus sexuels sur mineurs perpétrés dans un foyer géré par l’Église catholique près de Munich. Abus qui se sont déroulés pendant des décennies au cours des années 1960 et 1970.

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Les hauts responsables de l’Église tentent souvent d’étouffer ce genre d’affaires par des accords à l’amiable. Mais lorsqu’il s’agit d’indemnisation, la branche allemande de l’Église catholique est étonnamment près de ses sous. Au cours des trois dernières années, l’archevêché de Cologne a dépensé environ 2,8 millions d’euros en avocats et consultants spécialisés dans les médias et la communication. Seulement un peu plus de la moitié de cette somme a été offerte aux victimes d’abus sexuels.

Et l’Église ne manque pas non plus d’idées pour gaspiller l’argent des contribuables. En 2013, l’évêque Franz-Peter Tebartz Van Eslt est devenu célèbre grâce aux révélations sur ses dépenses prodigues. Inspiré par les moult dorures des résidences papales, l’évêque allemand a dépensé plus de 31 millions d’euros pour la rénovation de sa maison. Oui : 31 millions.

Si de nombreuses Églises imposent une certaine forme de taxe à leurs fidèles, le système allemand est quelque peu plus contraignant. En Italie et en Espagne, un don est également exigé de la part des contribuables, mais il ne représente qu’entre 0,7 et 0,8 % de leurs revenus annuels. Sur un salaire de 3 500 € avant imposition, cela équivaut donc à environ 26 euros par mois, contre 46 en Allemagne. En outre, les individus peuvent choisir d’envoyer cet argent à une église en particulier ou à une organisation laïque (comme un institut de recherche, par exemple), quelle que soit leur appartenance religieuse. Mais il existe d’autres pays d’Europe qui obligent les croyants à payer un impôt sur le culte : l’Autriche, la Suisse, la Finlande, la Suède et le Danemark.

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Pour Frerk, la France est un bon exemple de pays qui possède une approche différente. Là-bas, dit-il, il n’y a pas d’impôt ecclésiastique, mais un jour spécial où les fidèles sont invités à faire un don à leur Église. « Cela favorise le système ecclésial », ajoute Frerk. De nombreux pasteurs s’invitent souvent à la table des familles de leur congrégation pour le dîner. « C’est du Win-Win ; la famille se sent honorée de la présence du pasteur, qui prononce les grâces », explique Frerk. En échange, l’Église reçoit un petit coup de pouce financier.

Heureusement pour les Allemands qui veulent quitter l’Église — du moins en termes officiels et légaux —, la démarche est assez simple. Il suffit d’avoir plus de 14 ans et d’être en possession d’un passeport ou d’une carte d’identité valide. Néanmoins, ce n’est pas toujours sans complication. Chaque État allemand possède ses propres règles concernant le processus d’auto-expulsion. À Berlin, dans le Brandebourg, en Rhénanie-du-Nord–Westphalie et en Thuringe, il faut par exemple se présenter devant un tribunal. Dans les autres États, une visite dans un bureau d’état civil suffit. Certains États demandent de payer une taxe, d’autres laissent partir les ex-fidèles gratuitement. Aucun État, cependant, n’exige une déclaration officielle des raisons ayant motivé cette décision.

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Pour Andrea, quitter l’Église lui a coûté un jour de congé et la prise de rendez-vous dans un tribunal local. « Devoir me présenter en personne a été très contraignant », explique-t-elle. « Bien sûr, ça s’est finalement passé assez rapidement, mais j’avais l’impression que ça servait juste à compliquer un peu plus le truc. Surtout quand on sait que les résiliations d’abonnements presse peuvent se faire par e-mail. »

Après avoir réglé les frais, ces « déserteurs » reçoivent un certificat de sortie par la poste. Ils doivent penser à le conserver bien précieusement puisqu’il s’agit de l’unique et irrévocable preuve de leur sortie légale de l’Église. Si, pour une raison quelconque, le bureau des impôts leur demande à nouveau de payer des impôts ecclésiastiques, ce document devrait entraîner l’annulation de ces charges.

Le fait que l’Église soit tenue informée de cet exil peut cependant vous retourner le cerveau. Peu de temps après ses démarches, Andrea a reçu une lettre du pasteur de son ancienne paroisse. Ce dernier lui mettait la pression pour connaître les raisons de son abandon, une sorte de harcèlement moral digne d’un ex-petit ami jaloux. La lettre informait également Andrea qu’elle avait violé ses devoirs en tant que chrétienne.

Pourtant, elle ne regrette pas d’avoir renoncé à son affiliation à l’Église. L’argent qui y était consacré est désormais placé dans son épargne-pension. « Ça me semble plus raisonnable que de faire le pari d’une éventuelle vie épanouie après la mort », conclut-elle.

Cet article a été initialement publié sur VICE Germany.

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