J’ai entretenu mon culte pour la série Seinfeld dans un bar à la gloire de George Costanza

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J’ai entretenu mon culte pour la série Seinfeld dans un bar à la gloire de George Costanza

À Melbourne en Australie, le George's Bar est devenu le point de ralliement des admirateurs de Costanza, le prince des névrosés et des beautiful losers.

Fitzroy – un quartier au centre de Melbourne. Il est 17h30 : le George's Bar ouvre dans une demi-heure mais des grappes de clients font déjà le pied de grue devant la porte. Car l'endroit est le nouveau lieu de passage obligé pour tous les fans de l'irascible George Costanza, l'un des principaux personnages de la série Seinfeld.

L'ouverture du bar s'est faite de manière assez confidentielle, la veille du Nouvel An. Le lendemain matin, les propriétaires du bar se sont réveillés avec la plus belle des gueules de bois. Jason Alexander himself, l'acteur qui incarnait George, s'est fendu d'un tweet félicitant l'initiative : « Je n'ai peut-être pas gagné d'Emmy mais j'ai maintenant un petit bar en mon honneur à Melbourne, en Australie. » Il n'en fallait pas plus pour que le George's Bar et sa déco très années quatre-vingt-dix devienne le point de ralliement mondial des admirateurs de Costanza, le prince des névrosés et des beautiful losers.

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Dans le George's Bar. Toutes les photos sont de Thomas Graham.

À ma connaissance, c'est le seul bar entièrement dédié à un personnage de série télé. Ça ne m'étonne pas que ce genre de bar en l'honneur de George Costanza voie le jour dans notre pays, l'Australie : ici, les gens passent leur vie à s'offusquer pour pas grand-chose et à manger de la bidoche grillée au barbecue – il existe de vraies affinités entre notre culture et le caractère du personnage dans Seinfeld.

D'ailleurs, l'affection que l'on porte à Costanza est telle qu'elle s'invite même parfois sur la scène publique nationale. Le jour où notre ancien premier ministre, Tony Abbott, s'est vu offrir un oignon cru par un agriculteur, il a croqué dedans comme dans une pomme en référence à une scène mythique de Seinfeld. À l'époque, l'événement avait déclenché l'hystérie des fans de la série dans tous les pays.

En novembre 2014, alors que le Parlement Australien vivait une semaine de débat particulièrement intense, le youtubeur Huw Parkinson a publié un genre de mash-up dans lequel il remplaçait les têtes de nos politiciens par celles des personnages de Seinfeld – tout le monde est devenu complètement fou de cette vidéo.

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Au menu : un grilled-cheese décliné en cinq variations.

Un bonheur n'arrivant jamais seul, on a appris la semaine dernière qu'un restaurant de bagels s'inspirant de Larry David – le producteur de génie à l'origine de Seinfeld et plus tard, de Curb Your Enthusiasm – allait ouvrir vers Thornbury, un quartier en périphérie de Melbourne. Les propriétaires des deux lieux à thème jurent ne pas s'être concertés avant leurs lancements respectifs. Cette coïncidence révèle la ferveur avec laquelle les habitants de Melbourne vénèrent leurs idoles : non contents de les apprécier dans l'intimité de leurs foyers, ils veulent pouvoir crier au monde tour leur amour pour l'humour et les icônes de la pop culture américaine.

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Si vous faites un tour à Fitzroy, vous comprendrez que le quartier est devenu le cœur d'un mouvement culinaire éclectique – un bouillon de culture où plein de spots ouvrent pour rendre hommage à des éléments de la culture populaire. Par exemple, il y a un mec qui vient d'ouvrir un kebab Notorious B.I.G., pour rendre hommage au meilleur rappeur de la Côte-Est de tous les temps. À une station de tram de ce dernier, on peut aussi taper la croûte dans un formidable food truck post-apocalyptique.

D'après l'analyse de Dave Barrett, le propriétaire du George's Bar, Costenza est le seul personnage de Seinfeld à pouvoir réellement apprécier le charme de FItzroy : le quartier se prête parfaitement à son légendaire esprit sarcastique et à son impressionnante collection de chemises à carreaux.

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Dave Barrett, proprio.

L'idée de départ était d'ouvrir un bar baptisé du même nom que le beau-père de Dave, qui s'appelle George. Mais de fil en aiguille, avec sa femme, ils ont voulu étoffer un peu leur concept. Il se trouve que le couple adorait Costanza et que pas mal de potes de leur entourage partageaient avec eux cette passion : soit autant de clients potentiels prêts à venir dans un bar en l'honneur du personnage.

George Costanza n'est pas un fin gourmet ni un grand connaisseur en matière d'alcool. Dans la série, on ne peut pas dire qu'il brille pour le raffinement de ses choix culinaires. Au final, on ne vient pas au George's Bar pour manger comme Costanza. Ici, on se nourrit plutôt de l'ironie du personnage et des centaines de répliques devenues cultes que par ailleurs, tous les Australiens connaissent par cœur.

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Pour l'avoir testé moi-même, le Goerge's Bar a été à la hauteur de mes espérances. J'avais un peu peur de tomber sans une sorte de musée ou de parc à thème mais au final, l'endroit a cela d'authentique qu'il a été pensé pour plaire à George s'il passer y boire un coup : il n'y a pas beaucoup de choix au menu et on a toujours la possibilité de se rabattre sur le distributeur de Twix et les petits bols de bretzels à 2 $.

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Pour ceux qui seraient vraiment venus ici dans l'intention de se restaurer, le bar propose cinq sandwiches toastés – le choix des garnitures reste assez sommaire : de l'emmental et des tomates entre deux tranches de pain de mie. Mais à 5 $, force est de reconnaître que ce sont sûrement les moins chers de la ville. Les sandwiches de Dave n'ont rien d'exceptionnel – comme George ! – mais remplissent bien leur fonction : caler le bide, et c'est tout à fait l'effet recherché. Un sandwich économique et efficace, une barre chocolatée, une bonne bière et une petite partie de Frogger sur la borne d'arcade : quoi de plus pour passer une bonne soirée ?

Ce serait trahir cette incarnation de médiocrité attachante qu'est George que de vouloir l'assimiler à une décoration trop sophistiquée. En vrai, le seul truc que George a envie de trouver dans un bar, ce sont de « big junks of cheese » (d'énormes morceaux de fromage) ; on sait qu'il sue à grosses gouttes quand il tombe sur de la viande trop épicée. Les noms de plats comme « Mom and Pop » (du jambon et du cheddar) et « The Quitter » (mozzarella, tomate et pesto) font un peu kitsch mais restent bien dans l'esprit du lieu.

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Les habitués comme les gens du coin restent d'accord sur un point : les serveurs enchaînent les commandes et le lieu ne désemplit pas. En faisant la queue pour avoir le mien, j'entendais des rires s'échapper des différents groupes d'amis qui étaient venus exactement pour la même chose que moi : manger un bout tout en se remémorant les meilleures phases d'Art Vandelay ou la fois où George est devenu mannequin mains.

Dave veut que son établissement soit aussi reconnu pour sa qualité de bar, une fois passée la fièvre Costanza. C'est pour ça qu'il s'est entouré d'une équipe de choc et qu'il porte une attention toute particulière à sa carte de boissons : « Ce que je voulais, c'est un très bon bar avec des produits locaux et de qualité, une offre solide et un environnement agréable. »

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Pour ma part, j'ai choisi un Summer of George, un rafraîchissant mélange de jus de Granny-Smith tout juste pressé avec une lichette de bitters et une liqueur au choix (le barman m'a conseillé du Sailor Jerry pour donner un petit parfum vanillé à mon verre). J'ai pu ensuite entamer une conversation avec un inconditionnel de la série à propos du Hand Model, le cocktail qu'il avait choisi. Il m'a fait remarquer que la couleur du breuvage – rose, le tout servi dans un petit gobelet – était probablement trop féminine pour pouvoir plaire à George.

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« Les gens ont toujours des remarques à faire », me confie Dave à propos de ces clients qui ont une idée très précise de ce qu'il faudrait supprimer ou améliorer. Il explique que certains fans « ne seraient satisfaits que le jour où ils débarqueront dans le bar et que Jason Alexander en personne viendra leur servir un verre » Je dois avouer qu'à cet instant je croisais intérieurement les doigts pour que ce scénario se produise.

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Dans l'ensemble, les fans de George sont satisfaits de cet endroit sans prétention dans lequel ils en ont pour leur argent en matière de clins d'œil à l'univers de George Costanza. Loin de l'esthétique Scandi-chic qui est à la mode en ce moment, les meubles en bois sombre rappellent plutôt le décor du restaurant préféré de George dans la série. Le reste de la soirée fut semblable à toutes les soirées que j'ai pu passer dans un bar normal. Tu restes un peu au comptoir pour commander, tu picoles, et tu reviens au comptoir pour recommencer.

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Mais ce soir-là, j'ai été assez amusé d'apprendre que Seinfeld n'était pas qu'un « truc de vieux ». Quelques ados de 16 ans – qui venait de se faire refouler après avoir voulu s'incruster incognito à l'intérieur du bar – se sont écriés en s'éloignant du bar : « On reviendra quand on sera majeurs ! » Je me suis retourné vers le couple aux cheveux grisonnants qui était assis près de moi et qui sirotaient tranquillement leur cocktail en profitant de l'atmosphère du lieu : ils riaient de manière aussi sarcastique que moi.

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Tu viens quand tu veux en Australie, George.