Chez « Bompas and Parr » : dans les coulisses d'un studio de design culinaire

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Chez « Bompas and Parr » : dans les coulisses d'un studio de design culinaire

Un peu d'architecture, de la science et beaucoup de magie : voici les ingrédients dont le célèbre duo de designers londonien se sert quand il organise un dîner.

« Harry [Parr] ne pourra malheureusement pas se joindre à nous. On vient d'apprendre que l'on devait organiser un dîner pour plus de mille personnes en Corée dans même pas deux semaines, donc il est complètement focus là-dessus. C'est mieux comme ça. »

À peine embarrassé, Sam Bompas s'excuse de l'absence de son complice, Harry Parr, avec qui il a fondé le désormais célèbre studio d'art culinaire londonien, Bompas and Parr, dans lequel ils m'ont donné rendez-vous. C'est ici, avec leurs équipes, qu'ils préparent et mettent au point leur gagne-pain : des concepts de repas originaux qu'ils donnent aux quatre coins du monde.

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On connaît surtout le duo pour ces gelées aux couleurs criardes en forme de monuments historiques, mais il s'est aussi rendu célèbre pour avoir fait apparaître un nuage de gin tonic au beau milieu d'une cathédrale, pour avoir sculpté des masques mortuaires en chocolat ou encore, pour leurs séances de dégustation de vieux whiskys sur des corps nus.

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Sam Bompas et Harry Parr, designers culinaires. Crédits photo : Stefan Braun.

Présenté comme ça, on s'imagine leur studio comme un endroit hors-du-temps, un lieu qui bouillonne d'inventions et de créativité. Un peu comme la chocolaterie de Willy Wonka – ce n'est peut-être pas un hasard, pendant le quart-d'heure que durera notre entrevue, Samy fera référence pus d'une douzaine de fois. Car chaque installation et chaque mise en scène nécessitent de déployer un travail de titan. À en croire toutes les réunions et les « calls internationaux » dans lesquels je me suis retrouvée impliquée malgré moi par hasard entre le moment où je suis arrivée dans le studio et celui où j'ai serré la main de Sam, je me dis que les gens qui bossent ici ne sont certainement pas là pour enfiler des perles – plutôt pour remplir des moules à gelée, en effet.

En même temps, vous imaginez la logistique à l'œuvre quand il est question d'envoyer un grain de café dans l'espace ? – l'un de leurs plus récents et ambitieux projets.

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Mais Sam explique qu'en fait, pour lui, le gros du travail, c'est de créer un décor dans lequel le spectateur est le point central.

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« Nous voulons créer des histoires dont vous êtes le héros, m'explique-t-il. Quand tu vas manger chez Gordon Ramsay, par exemple, il n'y a pas de sel ni de poivre à table parce qu'il estime avoir assaisonné à la perfection – si tu n'aimes pas, tu peux aller te faire foutre. Nous, on fonctionne différemment : on se demande ce qu'on peut faire pour que tu vives une expérience incroyable dans laquelle tu as un rôle clé. »

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St Paul's Cathedral en jelly orange. Crédits photo : Bompas and Parr.

L'amour de Sam pour ces expériences culinaires participatives semble trouver son origine dans un souvenir d'enfance bien précis.

« L'un de mes souvenirs les plus marquants lié à la bouffe, c'est quand je suis allé voir Medieval Times à Los Angeles (une sorte de cabaret à l'américaine, N.D.L.R). On t'attribue une couleur et ensuite ton chevalier se bat en joute pour gagner la main de la princesse et pendant ce temps-là, on te sert du poulet comme si c'était toi le roi, se souvient-il. J'adore ce genre de spectacles ou de soirées avec un thème et une histoire et un univers. La nourriture est un moyen de transmettre ce sens de la convivialité. »

Si au départ, Harry était le seul membre du duo à avoir une expérience professionnelle en cuisine (il était traiteur privé à côté de ses études d'architecture), on peut convenir qu'après dix ans de service, ils ont cumulé assez d'heures derrière les fourneaux.

« Un mois après avoir lancé notre entreprise, on s'est retrouvé à devoir faire un petit-déjeuner victorien en douze services pour 1 000 personnes. Chaque petit-déjeuner contenait plus de 4 000 calories », se souvient Sam.

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Jelly funéraire. Crédits photo : Charles-Villyard

À force d'expériences, ils ont aussi appris à mesurer les dangers du travail en cuisine.

« Quand on fait des gelées (les « jellys » en anglais, N.D.L.R), on s'expose à pas mal de désagréments… comme les jelly fingers », lance-t-il en grimaçant.

J'hésite à lui demander des explications. En fait, je crois que je ne suis pas sûre que je veux vraiment savoir ce que c'est.

« On plonge les moules dans l'eau chaude, et à cause de l'acidité et du sucre qu'ils contiennent, ça peut provoquer des petites coupures sur la peau et il y a un risque que ça s'infecte un peu », m'explique-t-il.

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Un banquet de desserts élisabéthain. Crédits photo : Ann Charlott Ommedal.

C'est moi qui grimace à présent. Il faut que je change de sujet. Sur une table en face de moi, j'ai repéré des canettes de bière et des brins de paille. Sam m'explique qu'il s'agit des restes d'une dégustation qui a eu lieu ce matin pour l'un de leurs derniers projets en date.

« On organise un Dinner at the Twits (basé sur l'histoire de Roald Dahl The Twits ou Les Deux Gredins en français, N.D.L.R) alors on fait des recherches sur les études scientifiques et psychologiques qui parlent du dégoût dans la société humaine. »

Sam m'explique que la plupart de leurs projets commencent généralement par des recherches sur le sujet et donc, des lectures scientifiques assez poussées.

« On essaye toujours d'amener différentes perspectives dans le monde culinaire. Les chefs vivent en général dans leur petite bulle, ils ne parlent qu'à d'autres personnes qui font partie du monde de la cuisine. Donc ce qu'on aime faire, c'est inviter des physiciens, des magiciens et des microbiologistes. Leurs travaux sont alors présentés à un public totalement nouveau et on espère créer ainsi un repas qui sera intéressant pour tout le monde. »

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Chocolate face Egg in box (credit Ann Charlott Ommedal)

Masque mortuaire personnalisé en chocolat. Crédits photo : Ann Charlott Ommedal

Mais quel est le rapport entre les bières et Roald Dahl ?

Le Dinner with the Twits part déjà avec une bonne accroche qui plaira aux journalistes : l'idée que le duo a brassé une bière à partir de la levure retrouvée sur le dossier de la chaise où écrivait Roald Dahl. Mais lorsque Sam commence à m'expliquer l'envers plus scientifique du décor, l'événement devient encore plus intéressant.

« Certains scientifiques pensent actuellement que notre microbiome n'influence pas seulement notre santé mais aussi notre caractère, explique Sam. En 2011, un article expliquait comment des scientifiques ont pris des souris, certaines craintives et d'autres plus aventureuses. Ils ont transféré le microbiote des souris craintives aux souris aventureuses et inversement. Et ensuite, les souris se sont comportées en fonction de leur nouveau microbiome. »

Ok, jusque-là, ça va.

Sam continue : « Donc peut-être que les gens qui vont goûter notre bière vont se mettre à penser comme l'un de nos plus grands auteurs ! Peut-être que 14 000 personnes vont s'inoculer la levure de Dahl et se mettre à écrire. Peut-être que dans le futur, on présentera la Grande-Bretagne ainsi. »

Peut-être. Mais surtout, il faut aussi faire en sorte que les convives passent un bon moment.

« Pour juger de la qualité de nos installations, on se demande souvent : si tu as rencard avec quelqu'un qui se trouve en fait être une horrible personne, est-ce que tu pourrais quand même passer un bon moment ? Si oui, alors imagine à quel point ta soirée sera réussie si tu y vas avec le rencard de tes rêves. »

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Alcoholic Architecture4 Interior (credit Ann Charlott Ommedal)

Architecture Alcoolique. Crédits photo : Ann Charlott Ommedal.

Il ajoute : « En fait ce qu'on veut, c'est que quand tu iras au bistrot avec tes potes le vendredi soir, tu aies une semaine cool à raconter, tellement cool que ça va commencer à les saouler. »

Est-ce que ses potes lui disent de la mettre en veilleuse quand ils sortent ensemble boire des coups et qu'il raconte sa semaine remplie de trucs cool ?

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Il rigole : « Non, quand je sors, je suis plutôt du genre à ne pas parler beaucoup et à rester tout tranquille. »

Alors que je le vois partir vers son prochain rendez-vous, je comprends tout à fait pourquoi il préfère rester calme en fin de semaine : moi, ça ne fait qu'une demi-heure que je suis dans le studio Bompas and Parr et honnêtement, je suis déjà épuisée.

Cet article a été initialement publié sur MUNCHIES UK.