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Food

Une histoire des politiciens qui se sont pris de la bouffe dans la gueule

Depuis l'Antiquité, l'homme a compris que l'on pouvait transformer la nourriture en projectile et c'est une forme de contestation politique alternative complètement recevable.
Foto von Ilya Varlamov

Il serait bien trop naïf de penser que l'humanité a attendu l'arrivée d'internet pour jouer avec la bouffe. Bien avant les vidéos de mentos dans les bouteilles de coca, bien avant que l'on puisse taper le mot « sitophilie » dans la barre de recherche sur les sites pornos, il y avait déjà des histoires de militants politiques qui utilisaient la nourriture comme une arme de contestation massive. Quand on dit « arme », on ne parle pas des éventuelles lames de rasoir cachées dans des croûtes de pizza ni des pastèques tueuses lancées comme des boulets de canons – même si ça peut être cool. On pense plutôt à tous cette famille aliments – du classique œuf pourri jusqu'à la tarte à la crème en passant par les spaghettis – qui une fois jetés à la gueule d'un homme politique ont le pouvoir de niquer complètement sa réputation.

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Car de tout temps, l'on a considéré que transformer les aliments en missiles était une méthode de contestation politique alternative carrément recevable – quelque chose de plus efficace que de distribuer des tracts et de moins dangereux que de porter une ceinture d'explosifs dans un périmètre sécurisé.

Il y a quelques mois, le Consulat de Russie dans la ville ukrainienne d'Odessa a ainsi été victime d'un de ces fameux « attentats culinaires ». Selon une expression locale, quand on se fout de la gueule de quelqu'un on dit qu'on lui « met des pâtes sur les oreilles ». Et pour le groupe de manifestants ukrainiens, c'est exactement ce que font les médias russes qu'ils accusent de faire de la désinformation à propos de la crise en Crimée. C'est pourquoi ils ont décidé, le plus logiquement du monde, de recouvrir généreusement la porte d'entrée du consulat avec des spaghettis arrosés au ketchup.

Image by Ilya Varlamov)

Photo : Ilya Varlamov

Le premier homme à s'être fait bombarder d'aliments est Vespasien, à l'époque où il était gouverneur de la province romaine qui s'étendait alors de la Tunisie à la Libye actuelle. En 63 av.-JC, des manifestants lui ont jeté des navets à la figure – sans doute pour protester contre les taxes élevées et les mesures punitives qu'il venait de mettre en place. Il semblerait d'ailleurs que les aliments pourris aient hanté Vespasien jusqu'à sa mort, puisqu'il a succombé d'une diarrhée fulgurante.

Mais depuis l'Antiquité, la bouffe militante a fait un petit bout de chemin. L'une de ses manifestations contemporaines les plus splendides reste la tarte à la crème. Alors que son potentiel comique a été utilisé dans les films muets dès le début du XXe siècle, la tarte dans la gueule a trouvé sa réelle vocation politique dans les années soixante-dix. On dénombre pas mal de groupes de militants politiques qui ont fait de l'entartrage leurs spécialité : Al Pieda, la Biotic Baking Brigade, les Entartistes du Canada et plus près de chez nous, l'Internationale Pâtissière. On peut au passage saluer tout l'effort qu'ils mettent dans les noms qu'ils se choisissent.

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L'un des premiers entartrages à avoir marqué l'histoire est celui d'Anita Bryant, une star américaine des années cinquante, ouvertement homophobe. En 1977, alors qu'elle faisait une conférence de presse uniquement pour exprimer son dégoût envers la communauté gay, un ardent défenseur de la cause homosexuelle l'a interrompu en lui envoyant une bonne tarte dans la tronche. Ce qui s'est passé ensuite est encore plus fou : une fois l'agresseur pâtissier immobilisé, Anita Bryant et son mari se sont mis à prier pour le salut de son âme d'entarteur gay.

La France et la Belgique tombent aussi régulièrement sur le coup des attentats pâtissiers. La plupart sont souvent revendiqués par une seule et même personne : Noël Godin, surnommé aussi George le Gloupier ou tout simplement, l'entarteur. Il est épaulé dans sa très noble mission qui consiste à « jeter des tartes à la crème sur les fâcheux » par des membres de l'Internationale Pâtissière. De Jean-Pierre Chevènement à Bill Gates en passant par Nicolas Sarkozy, le tableau de chasse pâtissier est impressionnant. Leur approche est pleine de panache puisqu'ils ponctuent toujours leurs attaques d'un vers accusateur en alexandrin, comme pour justifier leur méfait dans un ultime acte de revendication.

image via exiledonline.com

Photo via exiledonline.com

Pour certains, le choix de l'aliment à balancer est très symbolique. En Grèce, le yaourtama est une pratique qui vise à utiliser du yaourt pour attaquer les politiques. Elle a été inaugurée dans les années cinquante par la frange grecque des Teddy Boys, une bande de jeunes gens avec des délires un peu violents qui aimaient jeter du yaourt à la gueule de ceux qu'ils jugeaient ringards. La popularité du « yaourtage » s'est intensifiée avec l'apparition des pots en plastique – une belle innovation ergonomique pour cette arme portable. La mode est devenue telle qu'en 1958, le gouvernement grec a dû faire passer une loi pour enrayer le phénomène. La « loi 4 000 » condamne ainsi tous ceux qui seraient pris la main dans le tzatziki à des peines relativement lourdes et odieuses.

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La loi a été abolie dans les années quatre-vingt mais le yaourtama n'a pas disparu. D'ailleurs, dans le contexte actuel de crise économique en Grèce, le pays a vu réapparaitre la pratique. En 2012, le journaliste Panagiotis Vourhas a reçu Ilias Kasidiaris, le porte-parole d'un parti grec d'extrême droite, sur son plateau dans le cadre d'une interview. Quelques jours après l'émission, des gens plutôt remontés par le fait que Kasidiaris a pu avoir une tribune à la télé sont venus punir Vourhas en faisant pleuvoir les yaourts dans son studio.

C'est assez somptueux :

Il n'y a pas que les Grecs qui mettent en valeur les spécialités de leur cuisine nationale sur le champ de bataille. En mars 2009, un politicien britannique a été couvert de crème pâtissière verte pour avoir voulu ajouter une piste d'atterrissage à l'aéroport de Heathrow. L'assaillante était une ménagère remontée appartenant au groupe Plane Stupid. Cette phase est tellement british qu'on est étonné de ne pas les avoir vus se serrer la main après, par respect du geste. Aujourd'hui, l'aéroport de Heathrow possède toujours le même nombre de pistes, donc il faut croire que cela a eu son petit effet. On raconte aussi qu'un jour, des fans de Lady Di fous furieux ont encerclé Camilla Parker Bowles sur le parking d'un Stainsbury pour lui jeter des petits pains.

La quasi-totalité de ces attaques à la bouffe est menée par de jeunes plutôt progressistes, mais en 2013 des collégiens australiens ont fait exception à la règle en menant l'attaque culinaire la plus débile du monde. Ils ont tenté de balancer un sandwich à leur Premier Ministre Julia Gillard en référence à un mème ultra-sexiste qui circule sur internet, « make me a sandwich ». Le message à faire passer était visiblement le suivant : la place d'une femme est dans la cuisine et non au parlement. Mais ils avaient 15 piges et même si c'est assez inquiétant de penser que l'Australie est peuplée d'ados misogynes, Julia Gillard a balayé l'incident d'un revers de tablier en expliquant simplement qu'il s'agissait d' « un peu de chahut ».

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Mais aujourd'hui elle n'est plus en fonction. Et devinez qui l'a remplacé ? Tony Abbott : un bon miso de base.

Le roi de la bouffe-missile est sans conteste l'oeuf. Adoptée par les anarchistes et les farceurs en tout genre, cette grenade naturelle a la particularité d'exploser et de répondre une odeur pestinentielle. En 2001 un fermier enragé avec une coupe mullet a lancé à bout portant un oeuf sur John Prescott, à l'époque député. Ancien boxer, Prescott a répondu avec un missile alimentaire de son cru en balançant une bonne grosse tarte à cinq doigts dans la mâchoire du fermier, sosie de Mac Gyver local.

Dans le club de ceux qui se sont pris des œufs dans la gueule, on compte Arnold Schwarzenegger, le magicien David Blaine, ou encore le politicien Ed Miliband (pour qui ça semble être une habitude). Il faut reconnaitre que c'est une arme alimentaire de premier choix, tant il devient délicat de poser pour la photo après un tel attentat culinaire. Comment garder sa dignité quand on a les cils pris dans un mélange visqueux à base de bébé poulet non fertilisé et de bouts de coquille ?

Mais le jour où c'est arrivé à l'ancien président ukrainien Viktor Yanukovych, il n'avait aucune chance. Durant sa campagne présidentielle, un oeuf lui est tombé sur la tête alors qu'il descendait d'un bus. Après avoir jeté un oeil sur son manteau, il s'est aussitôt effrondré comme si on venait de lui tirer dessus. Un vrai réflexe de cuir à cuire.